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Travel policy, ou l'art de ménager la chèvre et le chou en 2024

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Travel policy, ou l'art de ménager la chèvre et le chou en 2024

Confronté à une inflation démesurée des prix et à des critères RSE de plus en plus contraignants, les politiques voyages se doivent d'évoluer. Si l'activité semble reprendre du poil de la bête, elle le fait sous des paradigmes bien différents de ceux d'avant la crise sanitaire.

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Le tourisme d'affaire reprend du poil de la bête : les vols reprennent, les hôtels se remplissent... « On peut parler d'une vraie reprise, estime Laurent Bensaid, Directeur Account Manager France chez BCD Travel. Et elle s'est amorcée plus vite que prévu. » Néanmoins, il faut nuancer un peu le tableau. « Il faut prendre en compte les notions de secteur d'activité et de type d'industrie, continue Laurent Bensaid. Par exemple, chez les industriels, le voyage d'affaires a bien repris, retrouvant presque ses niveaux de 2019 ; mais derrière les chiffres, il faut comprendre que les prix ont fortement augmenté, jusqu'à 250 % pour certains pays. Cela a un vrai impact sur le budget. » Dans le domaine des services, par exemple, la reprise est plus timide, notamment à cause des problématiques de coût.

« Nous ne retrouverons pas les niveaux de 2019, estime Brigitte Jakubowski, CEO de JK Associates Consulting. Si l'on a aujourd'hui une augmentation des voyages en train et des vols moyens courriers, l'international n'a pas retrouvé son niveau, et est beaucoup plus cher. » Cette inflation forte fait exploser les budgets pour une activité sensiblement inférieure à celle de 2019, ce qui oblige beaucoup à repenser leur politique voyages, d'autant que les tarifs ne sont pas près de baisser - même si l'augmentation devrait se ralentir. Mais le prix n'est pas le seul facteur qui force les politiques voyage à évoluer.

PDM et RSE, nouveaux logiciels de la travel policy

« Deux concepts en particulier modifient en profondeur les politiques voyages dans l'entreprise : les Plans de Mobilité (PDM) et la RSE, avec tout ce qu'elle implique, y compris les questions de qualité de vie au travail », estime Brigitte Jakubowski. Les PDM deviennent maintenant une nécessité, compte tenu des évolutions des pratiques : aujourd'hui, travail et mobilité sont indissociables, au point que les organisations mêmes sont modifiées, notamment à cause du télétravail. Ces changements apportent des nouveaux déplacements professionnels, qui doivent être intégrés à la travel policy de l'entreprise. Par exemple, il faut maintenant penser en 2, 4 et 6 roues - vélo, voiture, et vélo + voiture...

La RSE entraîne, quant à elle, des modifications structurelles dans l'entreprise, tellement son impact est important, notamment avec les législations sur le CO2 et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. « C'est une convergence, souligne Brigitte Jakubowski. Il faut intégrer un modèle sociétal dans un modèle économique et financier. » Ce n'est pas une question de choix : il faut, aujourd'hui, décarboner. Et le voyage est un poste qui non seulement est une charge importante dans l'entreprise, mais aussi, selon le domaine d'activité, une des sources principales d'émissions.

Nouvelles pratiques et responsabilités

De plus, les nouvelles générations ne veulent plus voyager de la même façon, tout en étant relativement exigeants, à leur façon. « Le marché de l'emploi, pour les cadres, est difficile, souligne Laurent Bensaid. Recruter est difficile, et pour certains collaborateurs, la politique voyage - et de mobilité - est un facteur différentiant. C'est, de fait, devenu un argument de recrutement. » Le problème est que les exigences en question mélangent niveau de prestation et impact environnemental, à des degrés divers. Si certains demandent des transports propres, d'autres ne veulent pas faire 15 km à vélo... Outre les adaptations que cela demande, cela pose également le problème des conventions collectives, et du pouvoir de blocage qui vient avec.

Et c'est sans évoquer encore les questions de responsabilité. Par exemple, utiliser AirBnb parce que c'est moins cher (ce qui demande aujourd'hui réflexion, compte tenu de l'évolution des prix) ou Uber pose un problème potentiel de protection du salarié, sans même mentionner les débats éthiques. En effet, dans la jurisprudence actuelle, la personne qui autorise le déplacement est responsable du salarié au regard de son devoir de protection. « Avant la crise sanitaire, on estimait à 37 % le « leakage », à savoir les gens qui achetaient leurs billets et hôtels en direct, souligne Brigitte Jakubowski. Nous n'avons pas encore de chiffres actualisés, mais il est peu probable que la situation se soit améliorée. » Ces questions de responsabilité légale sont aussi la raison pour laquelle le « bleasure » (business leasure) est une fausse bonne idée : « la loi est stricte, continue Brigitte Jakubowski. Il faut savoir où sont les salariés en déplacement et qui a acheté le billet, sous l'autorisation de l'entreprise. » Si un salarié repart pendant le week-end après sa réunion parce que les billets sont moins chers, cela veut dire, d'un point de vue légal, qu'il est en déplacement professionnel. Et si le salarié enchaîne ses vacances dans le pays où il vient de se déplacer, et que le billet retour a été payé par l'entreprise, la responsabilité de cette dernière reste engagée, même si le salarié a signé une décharge. Tout le monde, en un sens, joue le jeu, mais il n'en reste pas moins que la loi est, sur ce plan, plutôt limpide.

Nouveaux arbitrages

Du coup, en prenant en compte tous ces facteurs, l'équation change : on ne se situe plus uniquement dans une logique économique. Entre le prix du billet, le coût du salarié, et le parcours de combattant nécessaire pour l'amener là où il doit être, organiser un voyage devient un vrai problème qui mélange qualité de vie au travail et questions économiques. Par exemple, si l'on décide de faire faire un aller-retour dans la journée à un cadre pour éviter une nuit d'hôtel, cela veut dire qu'il faut prendre l'avion, ce qui a des effets sur les émissions de gaz à effet de serre... Car si le train est deux fois plus cher, on va continuer à faire prendre l'avion. « La question de la nécessité du déplacement se pose de façon beaucoup plus aiguë, souligne Laurent Bensaid. D'un point de vue purement financier comme écologique. » Par exemple, les motifs de voyage sont en train d'évoluer. D'après une étude menée en 2020 par IdeaWorksCompany, les principales raisons pour voyager sont la vente et la prospection (25 %), les réunions interentreprises (20 %), les congrès et salons commerciaux (20 %), puis les services professionnels clients et recherche, le support technique et le soutien aux clients existants (10 % chacun). Dans toutes ces raisons de voyager, certaines peuvent être remplacées aisément par de la visioconférence, comme le support technique ; mais les congrès et salons, la vente et la prospection, notamment, ne peuvent pas se faire à distance, ou du moins pas systématiquement. De fait, l'arbitrage final - le voyage doit-il avoir lieu, et si oui, comment - doit du coup se faire au cas par cas, en intégrant tous ces nouveaux éléments de réflexion.

Des leviers encore limités

Et pour l'instant, c'est une démarche qui doit être menée presque « à la main ». Aujourd'hui encore, les outils disponibles ne permettent pas de faire ces nouveaux arbitrages. « Il existe des comparateurs de prix, de CO2, etc., mais il n'y a pas d'outil qui prenne en compte tous les éléments et permette de savoir si, par exemple, le voyage vaut la peine d'être fait ou non », explique Brigitte Jakubowski. Cela ne veut pas dire que les outils disponibles aujourd'hui sont inutiles : au contraire, ils sont indispensables pour obtenir les informations à jour sur les prix, les impacts environnementaux, pour faire les reportings... Et certains commencent à intégrer des processus d'approbation actifs, en allant chercher l'autorisation d'un manager suivant certains critères, par exemple si le coût du billet est trop élevé ; ou encore, en faisant des recommandations adaptées à la destination, par exemple de mode de transport. Ce sont des outils qui étaient déjà utilisés avant pour des raisons principalement financières, et qui aujourd'hui le sont de plus en plus avec des critères RSE.

Par ailleurs, « avoir une bonne agence de voyages est plus essentiel que jamais, estime Laurent Bensaid. Renégocier les contrats devient de plus en plus difficile, et quasiment impossible à la baisse ; en revanche, il est essentiel d'être flexible sur des questions de moyen de transport à adopter, ou de compagnie à utiliser. » Il n'existe pas de contrat qui aujourd'hui n'intègre pas de notions d'indexation, ou qui ne prévoit pas de donner des capacités de revoir les prix ou les prestations selon l'évolution de certains critères extérieurs, ce qui est compréhensible et d'ailleurs peu discuté par les entreprises elles-mêmes. Tout le monde, aujourd'hui, veut se donner la capacité de pouvoir réagir en cas de besoin.

Une chose est sûre, c'est que le métier de travel manager est devenu bien plus difficile qu'auparavant... Car en plus de devoir trouver des points d'équilibre avec tous ces facteurs, le travel manager doit aussi satisfaire les collaborateurs, qui demandent la même simplicité en termes de démarches que pour un déplacement personnel, et la comptabilité, en établissant les notes de frais ad hoc. Le tout en surveillant son budget et en satisfaisant également les demandes des Ressources Humaines pour continuer à attirer les talents... Une vraie quadrature du cercle.

 
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