Nouvelles mobilités : "l'entreprise doit être claire sur ce qu'elle veut privilégier"
Si la pandémie a accéléré certaines tendances, elle en a aussi sérieusement ralenti d'autres en matière de mobilité, notamment... Pour savoir où en sont aujourd'hui les entreprises en termes de mobilités alternatives, nous avons fait le point avec François Piot et Aymar de Lestrange.
Je m'abonneDans le cadre de l'événement dédié à l'économie positive, "B for Good" organisé très récemment par le groupe NetMedia (auquel appartient Décision Achats), nous avons proposé un focus sur les nouvelles mobilités en entreprise. Etat des lieux et des tendnaces avec François Piot, président de l'Arval Mobility Observatory et Aymar de Lestrange, directeur business development et innovation chez Edenred France:
François, l'Arval Mobility Observatory a récemment publié son Baromètre des flottes et on y découvre, notamment que les flottes vont grandir... est-ce à dire que les nouvelles mobilités ne prennent pas ? Où en est-on aujourd'hui ?
François Piot - Il y a une stratégie à bâtir. La transition vers la mobilité verte et partagée ne s'invente pas. Elle demande un certain temps de réflexion ; une réflexion générale et un arbitrage entre les trois côtés du triangle : ce que veulent les salariés, les objectifs en matière de développement durable et... les objectifs en termes de budget. Ces trois objectifs sont opposés et l'entreprise doit être claire sur ce qu'elle veut privilégier. Avoir un vrai positionnement et une vision claire sur la manière et les moyens nécessaires pour y parvenir.
Quelle est la tendance que vous observez?
François Piot - Beaucoup d'entreprises avaient d'énormes ambitions en la matière et étaient prêtes à consacrer du budget à ces changements, mais la pandémie a freiné ce bel élan en ramenant souvent les entreprises à la réalité économique. Aujourd'hui, beaucoup se concentrent sur la survie. Le reste est passagèrement reporté. Le sujet ne sera pas abandonné pour autant, notamment par les grandes entreprises qui ont le besoin impérieux de réduire leur empreinte carbone, puisque notées sur leurs performances extra-financières. Selon le Baromètre 2021, neuf entreprises de plus de 1000 salariés sur dix ont déjà mis en place une solution de mobilité alternative ou prévoient de le faire à trois ans.
Qu'en est-il du plan de mobilité ? Les entreprises qui voulaient le mettre en place l'ont fait. Et celles qui n'en ont pas l'intention, ne feront rien. On ferme les bans ?
François Piot - Je ne serai pas aussi manichéen. Un certain nombre d'entreprises ont mené cette démarche, adopté cette approche valorisante. Elles ont mis tous leurs services autour d'une table pour établir les besoins, challenger les déplacements, réfléchir aux motorisations les plus intéressantes pour les véhicules à conserver, etc. Ces réflexions ont vraiment débouché sur des choix énergétiques, des changements d'organisation, ou encore la création de postes de "mobility managers".
Les nouvelles mobilités sont à l'image de ce que nous avons vécu sur le véhicule électrique... il y a des tentatives sur le vélo, la trottinette, le forfait mobilités durables, etc. Pour l'instant, c'est marginal mais il faut du temps pour que l'acceptabilité s'installe. Globalement, toutefois, l'envie est là. Selon notre Baromètre des flottes et de la mobilité, le vélo partagé pourrait ainsi concerner six entreprises sur dix d'ici trois ans.
Aymar, la crise de la Covid facilite-t-elle le déploiement de ce forfait mobilité dont il vient d'être question?
Aymar de Lestrange - Dans la loi LOM, qui prévoit le plan de mobilité des entreprises, il y a un paragraphe relatif à la mobilité des salariés. Il prévoit un forfait mobilités durables de 500 euros qui peuvent être versés au salarié pour participer, exonérés de charge. Avec ce dispositif d'aide à la mobilité douce, défiscalisé donc, le sujet et la notion politique de mobilité, reviennent donc sur le tapis.
La crise de la Covid est bien évidemment un accélérateur pour les nouveaux modes de déplacement. Et, au-delà du confinement, les questions du trajet domicile/travail vont véritablement se poser. Le forfait est un bon moyen d'accompagnement.
Le forfait mobilité s'inscrit dans le cadre du plan de la mobilité. Est-il nécessaire d'avoir mis en place ce plan de mobilité pour pouvoir proposer ce forfait mobilité à ses salariés ?
Aymar de Lestrange - Non, il est bien sûr recommandé de s'inscrire dans ce cadre, mais il n'y a pas de caractère obligatoire. Ce qui est par contre obligatoire est d'en parler une fois par an avec les partenaires sociaux, avec un objectif de le rendre obligatoire à 5 ou 10 ans.
Comment fonctionne-t-il ?
Aymar de Lestrange - La loi est écrite en copier/coller du Ticket Restaurant - il y a des univers de consommation prédéfinis et les titres sont utilisables auprès de prestataires référencés - par nous, dans le cas de notre offre - de façon à ce qu'il n'y ait pas de justificatifs à fournir par l'employé à l'entreprise. L'idée étant d'éviter une comptabilité fastidieuse mais également de garantir une juste utilisation du dispositif.
En ce qui concerne le co-voiturage, par exemple, nous avons identifié trois acteurs principaux en France et c'est eux qui sont référencés. Le salarié ne peut pas donner ses tickets à un particulier qui ferait du covoiturage. Nous avons référencé des marchands de vélo, les transports en commun pour la vente de billets à l'unité. Et il y a le même principe de péremption que pour les tickets restaurant.
Quels sont les freins au déploiement de ce dispositif ?
Aymar de Lestrange - C'est un sujet pour lequel il y a un certain nombre de marches à gravir : le dialogue social, le budget - car c'est une nouvelle ligne de dépense - et la gestion du changement. Le collaborateur va venir travailler autrement qu'avec une voiture, aussi cela s'accorde-t-il souvent avec une démarche pédagogique
C'est aussi un moteur d'image - la RSE est porteuse - et de rééquilibrage social. Les gens qui vont travailler en transports en commun, bénéficient d'une aide de l'entreprise qui, rembourse une partie de leur abonnement, alors que ceux qui viennent par leurs propres moyens n'ont rien
N'est-ce pas surtout un sujet de "bobos" ?
Aymar de Lestrange - Non. Le vélo en usage propre ou en libre-service est très répandu en zones urbaine et périurbaine, maintenant pour toute taille de ville, ainsi que le covoiturage en grandes banlieues et en zone rurale.
Combien de grands comptes utilisent aujourd'hui votre solution ?
Aymar de Lestrange - Nous avons déjà un nombre important de clients mais la plupart la testent en pilote sur une population très réduite. En effet, les entreprises sont dans une situation d'attentisme ; mais le retour à la "normale" va certainement signer un grand intérêt pour les mobilités douces car beaucoup de collaborateurs iront moins souvent au bureau et le réflexe voiture va s'estomper.
François.... Qu'en est-il de l'autopartage aujourd'hui ? Est-ce la fin de ce dispositif ?
François Piot - Il n'est pas totalement arrêté mais, en raison de la crise sanitaire, il faut aujourd'hui prévoir des précautions très contraignantes en termes de désinfection. Cela rend donc le dispositif plus lourd. Mais les raisons d'y recourir restent d'actualité et survivront à la crise sanitaire. Si l'on mène une approche par l'usage, que l'on développe la mutualisation, l'autopartage a tout son sens.
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