Indicateurs de bascule : mieux comprendre l'adoption de la mobilité électrique
Identifier le vrai déclic de la mobilité électrique. Pour comprendre comment et à quel rythme les différents usagers passent à l'électrique, BNP Paribas Mobility a conçu des indicateurs sur mesure. À la clé : une lecture fine des freins, des leviers, et des signaux faibles de la transition, qu'il s'agisse des particuliers, des entreprises ou des acteurs industriels. Barbara Blanc, directrice de la Mobilité pour BNP Paribas France, trace une ligne claire entre intention et adoption réelle de ces dynamiques. Interview.

Comment les indicateurs de bascule ont-ils été conçus ?
Pour construire les indicateurs de bascule, la première étape a été de bien définir les cibles, car les comportements et les critères d'adoption sont très différents selon qu'il s'agit d'un client particulier, d'une entreprise gérant une flotte ou d'un acteur industriel. Cette distinction est essentielle pour avoir une lecture pertinente des dynamiques.
Il était aussi fondamental que les indicateurs puissent être suivis dans le temps. L'objectif n'était pas simplement d'avoir une photographie ponctuelle, mais bien de construire un outil de mesure régulier, permettant d'identifier les évolutions et les tendances. Cela s'inscrit dans une volonté de contribuer à la décarbonation des mobilités en identifiant les leviers d'action les plus efficaces.
Une fois cette méthodologie posée, nous avons étudié un ensemble de données publiques et internes. Nous nous sommes par exemple appuyés sur les observatoires d'Arval pour les entreprises, de BNP Paribas Personal Finance et Cetelem pour les particuliers, ou encore de BNP Paribas Artegy pour les industriels. Nous avons également intégré les retours issus d'études d'organismes reconnus, d'entretiens clients dans nos différentes entités, et d'échanges avec nos partenaires, y compris les experts du consulting.
Ce travail itératif nous a permis d'identifier les grands facteurs qui influencent l'adoption de la mobilité électrique : le coût et les bénéfices, l'infrastructure de recharge, l'acceptabilité des contraintes, les réglementations et, bien sûr, les comportements. Chaque facteur s'est vu attribuer un poids spécifique dans notre modèle, déterminé à la fois par les études consultées et notre propre expertise en la matière. L'essentiel était de maintenir une cohérence méthodologique dans le temps afin de garantir la fiabilité des comparaisons dans la durée.
Quels écarts concrets observez-vous dans l'adoption de la mobilité électrique entre particuliers, entreprises et industriels ?
Nous avons traduit l'indicateur de bascule vers la mobilité électrique sous la forme d'une note sur 10. Pour les clients particuliers, cette note s'élève à 4,5 sur 10. Pour les flottes d'entreprises, elle est légèrement plus basse, à 4 sur 10. Et du côté des véhicules industriels, le score chute à 2,3 sur 10. Ces différences sont significatives, bien qu'il existe quelques points communs. Par exemple, dans le cas des entreprises, les collaborateurs qui utilisent les véhicules de flotte sont aussi des consommateurs dans leur vie privée, ce qui crée des ponts entre les deux segments.
Mais il s'agit des spécificités propres à chaque catégorie. Pour les entreprises, trois grands facteurs ont été pris en compte dans l'analyse : l'adoption, l'infrastructure et les technologies. Nous avons exclu la fiscalité du calcul de l'indicateur, bien qu'elle soit un élément structurant, car ses évolutions sont incertaines et instables pour l'intégrer durablement au sein de notre modèle.
Dans notre indicateur pour les entreprises, l'adoption pèse pour 50 %. Cela inclut la part des entreprises ayant déjà intégré des véhicules 100 % électriques dans leur flotte, ainsi que la part des véhicules électriques dans les immatriculations neuves. Aujourd'hui, 31 % des entreprises ont intégré des véhicules électriques dans leur flotte, tandis que les véhicules électriques représentent 14 % des nouvelles immatriculations. Ces deux éléments permettent de mesurer à la fois le stock et le flux, c'est-à-dire l'équipement existant et les intentions récentes d'achat.
L'infrastructure et les coûts représentent 30 % du poids de l'indicateur. Nous avons étudié notamment l'équipement en bornes de recharge, le coût total de possession (TCO) et l'écart de prix entre véhicules thermiques et électriques sur les segments d'entrée de gamme. Cela reflète l'attention croissante des entreprises à la maîtrise de leurs frais généraux.
Les évolutions technologiques comptent pour 12 %. Ici, les critères retenus sont principalement l'autonomie des véhicules, un des freins majeurs, et le temps moyen de recharge, qui impacte directement la productivité.
Enfin, les réglementations et politiques publiques ont été pondérées à hauteur de 8 %, car bien que les ZFE aient un effet, elles influencent moins directement les décisions des entreprises comparées à la fiscalité.
Pour les flottes d'entreprises, quels sont les principaux défis à l'électrification, et comment ces entreprises perçoivent-elles l'impact en termes de coûts et de stratégies RSE ?
Le premier défi est de poser une stratégie claire en matière de rythme d'adoption, en l'alignant avec le déploiement des infrastructures. Cela suppose d'avoir un bon niveau de conseil pour construire sa politique automobile, en adaptant la composition des véhicules selon les profils des collaborateurs et leurs usages. Ce type d'analyse ne s'improvise pas : il faut faire appel à des professionnels capables de construire un plan d'investissement cohérent, année après année.
Les entreprises doivent considérer non seulement les coûts d'acquisition, mais aussi les coûts d'usage, d'entretien, et intégrer les outils permettant d'accompagner la conduite du changement. Cela inclut par exemple l'installation de bornes de recharge à domicile pour les collaborateurs, la mise à disposition de cartes de recharge pour les déplacements, et l'assurance d'une autonomie suffisante des véhicules.
En effet, les entreprises ont besoin de diagnostics complets. À titre d'exemple, des acteurs comme Arval, filiale de BNP Paribas, proposent ce type d'accompagnement : étude des véhicules adaptés, des services nécessaires, et planification dans le temps. Et sur certains segments, cette transition est déjà économiquement viable.
À partir de quelle typologie de véhicules cette bascule devient-elle économiquement pertinente pour une entreprise ?
Tous les véhicules ne sont pas encore à la parité, mais nous observons que les véhicules d'entrée de gamme y sont déjà. Jusqu'à présent, l'électrification a souvent concerné en priorité les modèles premium. Ces véhicules n'avaient pas toujours des autonomies suffisantes et restaient onéreux. Aujourd'hui, seulement 4 % des véhicules sur le marché offrent une autonomie supérieure à 500 km, ce qui limite encore les options.
Mais on note une tendance très nette à la baisse des prix sur les nouveaux modèles. L'exemple de la Citroën C3, ou encore celui de la Peugeot 208, montre que de plus en plus de modèles sont accessibles et atteignent la parité en prenant en compte la valeur résiduelle et les coûts d'entretien abordables. Cela reste très dépendant du profil des salariés à équiper et des besoins spécifiques de chaque flotte.
Quels leviers concrets vous semblent aujourd'hui les plus efficaces pour accélérer cette transition, notamment du point de vue des directions achats ?
Le levier principal reste la révision en profondeur de la car policy, avec une projection dans le temps de la composition des flottes. Cela va de pair avec une collaboration étroite avec les directions RH pour construire une démarche positive en faveur des véhicules électriques, à la fois auprès des collaborateurs et au sein des comités exécutifs.
L'exemplarité doit commencer par les cadres dirigeants, pour donner l'impulsion et valoriser cette transition. Cela permet aussi de mieux accompagner les usages, notamment en assurant l'existence d'infrastructures adaptées dans les sites de l'entreprise. Il faut aussi faciliter la recharge à domicile, mais également dans les lieux de passage ou de réunion, afin que les collaborateurs puissent recharger simplement, sans perturber leur quotidien.
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