Quel rôle pour le facility management dans la production ?
En matière d'achats, production et hors production sont intimement liés. Est-il envisageable, dès lors, de faire appel à un FMer pour des activités relevant de la production ? Quelle est la véritable création de valeur du FM sur la supply chain ? Éléments de réponse.
Je m'abonneLe facility management est-il en train de devenir un élément de la supply chain, au service de la production et de la croissance ? On est en droit de se poser la question face à l'intégration croissante de la production et du hors production dans les entreprises. Le FM et le supply chain management sont de plus en plus visés par les directions achats pour générer de la performance économique. " Jusqu'ici, nous pouvions définir le FM par l'agrégation, via l'externalisation ou l'intégration, des bonnes personnes et compétences au bon endroit au bon moment, en vue d'optimiser les charges et les coûts de l'entreprise. Par analogie, le supply chain management est la coordination des processus interne/externe au bon endroit au bon moment, en vue de fluidifier et d'optimiser la création de la valeur pour le produit ou le service de l'entreprise. Demain, cette frontière et l'interaction entre les deux modèles s'estomperont ", prévient Christophe Dalla Torre, directeur de la BU facility management et infrastructure du cabinet de conseil en achats Epsa. En effet, la consolidation du marché pousse les FMers à intégrer et à développer de nouveaux métiers allant du support au stratégique, comme la fourniture d'énergie, en passant par la maintenance des lignes de production ou les services d'intégration de la supply chain.
FMer et logisticien, des métiers à la frontière poreuse
Cette évolution conduit les FMers à revisiter leur modèle pour s'intégrer à la supply chain de leur client et couvrir des services FM et de logistique de production, qu'on peut définir comme étant les prestations et les processus comprenant la logistique et toutes les fonctions périphériques à la production. Au sein des usines, les FMers peuvent glisser sur le terrain des logisticiens et inversement. " Logisticiens et FMers connaissent une pression forte des donneurs d'ordre sur les coûts. Ils peuvent y répondre grâce à leur capacité à mutualiser. La course à la taille et à la croissance est donc très importante, pour pouvoir continuer à bénéficier d'effets de mutualisation. Cela donne lieu à une diversification des activités. Résultat, des FMers historiques tendent vers des métiers traditionnellement rattachés à la logistique, et inversement ", analyse Erwan Giraud, associé du cabinet de conseil en supply chain management Traker.
Un constat partagé par Éric Sarrat, fondateur et dirigeant de GT Logistics, sous-traitant pour la logistique interne de grands comptes dans les secteurs automobile et aéronautique, entre autres. Ses équipes, spécialisées dans la réception, le contrôle qualité et la distribution des pièces au sein des usines, se voient parfois confier des activités de FM comme la gestion du courrier, les contrôles de sécurité des camions, le nettoyage sous les machines... " Nous collaborons en bonne entente car il y a des synergies évidentes entre nos deux métiers, avoue Éric Sarrat. Pour un FMer en place ou qui chercherait à l'être, nous représentons un bras armé qu'il peut utiliser pour des opérations pour lesquelles il serait mal outillé. "
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Une diversification des activités au service des donneurs d'ordre
La diversification des activités FM donne lieu à plusieurs avantages pour l'entreprise. " De nombreux donneurs d'ordre ont déjà fait le choix de confier l'exploitation de leurs plateformes logistiques à des FMers, explique Romain Chesnin, consultant associé du cabinet Traker. Comble de cette diversification, certains acteurs de la logistique et du transport ont eux-mêmes recours à des FMers. C'est le cas notamment d'un leader de la livraison de colis en France et en Europe : toute la manutention du hub logistique central, à savoir les déchargements et rechargements de camions, est réalisée par un FMer. " Un choix qui découle d'un besoin de flexibilité des ressources, les volumes pouvant varier fortement d'un jour à l'autre ou d'une semaine à l'autre. Mais ce n'est pas l'unique raison. En effet, la pression sur les coûts incite le FMer à être moins regardant sur les conditions de travail de ses équipes, à l'inverse du logisticien, attaché à sa marque employeur, dont les tarifs seront d'autant impactés. Ainsi, les deux métiers sont de plus en plus en concurrence sur un même site.
Cette diversification est aussi à l'oeuvre chez Air France, pour des raisons de mutualisation des ressources et donc de coût. À l'escale d'Orly, cohabitent des prestations de type FM classique pour l'entretien des locaux privatifs d'Air France et, par ailleurs, des prestataires aéroportuaires pour le traitement des flux passagers et avions. " Lors de l'appel d'offres, nous avons opéré un déplacement de frontière : la logistique du salon VIP d'Orly, consistant à installer la presse et à débarrasser les déchets, a été confiée à un FMer plutôt qu'à un prestataire aéroportuaire. Au sein des aéroports, la frontière entre FM et sociétés de services aéroportuaires peut bouger au niveau de la zone passager/transit ", confie Jean-Charles Cassé, responsable des achats corporate & marketing d'Air France-KLM et ancien responsable supply chain.
Bouchra El Hayani, senior business developer de la BU Afrique d'Engie Services, confirme cette tendance. " Au sein d'Engie Cofely, une entité est spécialisée dans l'aéroportuaire et prend en charge l'entretien des passerelles, leur raccordement aux avions, l'enregistrement des passagers et toute une panoplie de services allant jusqu'à la gestion des salons VIP et des salons des différents staffs ", illustre-t-elle. Chez Engie Services, chaque filiale a ainsi une spécialité pour aborder des corps de métier et des secteurs différents. " Nous envisageons toujours le FM par rapport à nos clients, nous voulons maîtriser leur environnement et leurs process et réajustons nos connaissances en fonction ", précise Bouchra El Hayani.
Confier à un FMer des métiers qui ne relèvent pas traditionnellement de son coeur de cible se justifie par au moins deux arguments : la présence géographique, qui donne au FMer une connaissance fine du site pouvant motiver la délégation d'autres tâches. Mais c'est aussi son rôle de pilote et de médiateur vis-à-vis de la prestation qui représente un avantage certain pour les achats. " En cas de problème avec le prestataire, et c'est ce qu'il s'est passé pour le prestataire du salon VIP d'Orly, il est plus aisé de changer, car c'est le FMer qui s'en charge directement ", souligne Jean-Charles Cassé. L'acheteur reconnaît toutefois que, même s'il peut confier aux FMers des tâches pour lesquelles ils ne sont pas spécialistes, plus l'activité est stratégique et moins il serait enclin à l'externaliser. " Pour l'instant, nous ne sous-traitons aux FMers que des activités de support ou de support à la production, mais qui ne relèvent pas de la production directe. Ça changera peut-être dans quelques années ", estime-t-il. Dans le cas particulier du secteur aéroportuaire, c'est aussi dû au fait que la production directe requiert des licences particulières que les FMers n'ont pas ou ne cherchent pas à avoir.
Le stratégique reste aux mains des spécialistes
Confier à un FMer déjà en place une activité de production permet à l'acheteur de bénéficier d'effets de mutualisation des ressources entre plusieurs activités, donc d'une réduction des moyens engagés. C'est une pratique courante lorsque l'acheteur fait du coût sa priorité. Mais s'il attend un certain niveau de qualité de service, il aura plutôt recours à des spécialistes. Air France, par exemple, avait réfléchi à confier un autre pan de la production à un FMer. En 2015, la compagnie a lancé un appel d'offres global pour la gestion des uniformes et vêtements de travail. " Nous avions envisagé d'interroger un FMer mais sans aller au bout de la démarche. Nous avons privilégié un spécialiste, pour lui confier la responsabilité unique de la supply chain vêtements. Celui qui a remporté le marché a donc la responsabilité du système de gestion, de la conception, de la fabrication... Avec ce critère de l'unicité de la responsabilité, nous nous assurons de la qualité du suivi et du process ", justifie Jean-Charles Cassé.
" Dès que l'activité est stratégique, l'entreprise doit mettre en place un partenariat dans la durée, avec un niveau de pilotage plus élevé pour se donner les moyens de suivre les opérations ", conseille Erwan Giraud. La porosité croissante entre FMers et spécialistes nécessite un suivi sur mesure de la part de l'acheteur pour pouvoir déployer un modèle de pilotage personnalisé cohérent avec les besoins terrain.
3 questions à Christophe Dalla Torre, directeur de la BU facility management et infrastructure du cabinet de conseil en achats Epsa
Les FMers ont-ils aujourd'hui les compétences pour assurer des prestations relevant de la production?
Il y a 15 ans, les FMers étaient positionnés sur les métiers annexes et marginaux, comme le jardinage et la sécurité, la propreté et quelques maintenances techniques... Aujourd'hui, ils ont remonté la chaîne de valeur jusqu'aux métiers supports et tendent vers les métiers stratégiques.
Du point de vue de l'acheteur, comment arbitrer et répartir les prestations entre FMer et spécialiste?
Nous préconisons que le fournisseur auprès duquel l'activité est externalisée ait un taux de couverture du besoin visé d'au moins 70%. C'est à partir des grilles d'évaluation des attentes de la direction industrielle et avec les fonctions internes, intégrant des principes budgétaires et techniques, que l'arbitrage se fait. Il faut garder en tête que plus le fournisseur est généraliste, plus il a la capacité à agréger les services, et plus il est spécialiste plus il a d'expertise. Le risque avec un généraliste est de perdre l'expertise. Il faut donc vérifier qu'il y a une véritable multi-expertise en interne, sinon ce n'est qu'une cascade de sous-traitants. Attention aussi avec le spécialiste, dont le niveau d'expertise ne doit pas dépasser le juste besoin pour éviter la surqualification de service. L'acheteur doit aussi privilégier le spécialiste pour du monoactivité, et le généraliste pour du multiactivité.
Que confier demain à un FMer sans que cela représente un facteur de risque?
Le FMer peut toucher à la production dès lors qu'il a des compétences MRO (maintenance and repair operations), expertise reconnue par le marché. Sinon, il ne faut lui confier que des activités relevant du service.