Véhicule électrique : à quel TCO se fier ?
Au-delà de son image flatteuse et de son bilan carbone favorable, le choix du véhicule électrique repose sur sa rentabilité. Toute analyse comparative avec des modèles thermiques doit s'appuyer sur une décomposition du TCO intégrant l'ensemble des coûts.
Je m'abonneAvec 5 243 unités écoulées au cours du premier semestre 2017, le marché du véhicule électrique en entreprises est toujours infime. Il représente 1,3 % des immatriculations selon l'Observatoire du véhicule d'entreprise (OVE). Autonomie trop faible, prix d'achat élevé, valeur résiduelle incertaine sont des griefs connus mais qui ne condamnent pourtant pas nécessairement ces modèles face à leurs équivalents thermiques, réputés plus rentables. Selon les lois de roulage et les conditions d'utilisation choisies ou encore le mode de détention de la batterie, le TCO des VE peut même se révéler plus ou moins compétitif. C'est ce qui ressort du TCO Scope 2017, publié en juin dernier par l'OVE.
Premier exemple avec une Renault Zoe louée sur 48 mois pour 60 000 km. Son prix de revient kilométrique (PRK), de 0,419 euro, est proche de celui des Clio essence (0,387 euro) et diesel (0,385 euro) mais ne les égale pas. Explication : malgré le bonus écologique de 6 000 euros, la citadine électrique se trouve pénalisée par le coût de la location de ses batteries (soit plus de 4 700 euros sur la durée du contrat).
En revanche, le même type de comparaison réalisé avec la Volkswagen Golf donne des résultats inverses. Affichant un PRK de 0,568 euro, l'E-Golf fait mieux que ses jumelles essence (0,639 euro), diesel (0,660 euro) et hybride (0,681 euro). L'explication est à rechercher dans la loi de finances 2017 : en relevant à 30 000 euros les plafonds d'amortissement pour les véhicules émettant moins de 20 g de CO 2 /km, elle favorise clairement l'acquisition des véhicules électriques les plus onéreux. D'où, dans le cas de la Golf, un PRK plus favorable face à une version diesel pourtant 5 000 euros moins chère.
Faire baisser les coûts
Le prix d'achat des véhicules électriques constitue une première composante à optimiser. L'évolution des technologies et l'absence de recul sur le fonctionnement du marché de l'occasion ont rendu les loueurs longue durée prudents. En calculant des valeurs résiduelles modérées à la baisse pour couvrir un risque moins bien maîtrisé à la revente, les loyers proposés demeurent élevés. C'est pourquoi des formules d'acquisition telles que le buy-back présentent un intérêt pour ce type de motorisation. Cette formule, dérivée du crédit-bail, comprend un prêt bancaire pour le financement et un engagement de reprise de la part du vendeur. Avantage : l'entreprise qui prend des véhicules par ce biais est assurée de leur valeur de revente, quels que soient les soubresauts du marché de l'occasion. C'est le montage qu'a choisi la branche courrier-colis de La Poste pour sa flotte, qui compte 7 000 Kangoo ZE. Une filiale du groupe les acquiert en buy-back pour les louer ensuite à La Poste. Seules les batteries sont louées directement par La Poste à Renault.
Autre solution, dans le cadre de la location, l'allongement de la durée du contrat qui permet de mieux lisser l'amortissement du véhicule. "Nous allongeons les contrats au-delà de 48 mois, souvent à 60 mois, pour ce type de véhicules", préconise Sylvie Deneu, directrice associée de Cosma Experts, spécialisé dans l'optimisation des coûts.
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Rouler plus pour payer moins
"Le premier obstacle à l'optimisation de son TCO est de ne pas faire rouler un véhicule électrique", affirme Adeline Gogé-Lefaivre, directrice marketing et communication de Bemobi Conseil. Cette entreprise a récemment absorbé Greenovia, qui a coordonné un projet de recherche sur le VE baptisé "Infini Drive". Conduit entre 2012 et 2014 à partir des flottes d'ERDF et de La Poste, il est entré dans le détail de la performance économique des VE. "Leur TCO se compose de deux tiers de coûts fixes et d'un tiers de coûts variables, soit l'inverse des véhicules thermiques", analyse-t-elle. Autrement dit, plus un véhicule électrique roule, plus son TCO devient compétitif. Cependant, l'exercice se heurte à l'autonomie des batteries. "Pour des gros rouleurs, l'électrique n'est pas la solution, avertit Sylvie Deneu. Nous allons plutôt travailler sur de l'utilitaire avec des parcours plus limités. Le levier le plus important reste d'adapter l'usage du véhicule à la spécificité de l'électrique. Plus l'usage sera intensifié, plus le gain en TCO sera important."
Adapté aux tournées denses
Dans son analyse, Infini Drive montre que, dans le cadre de tournées optimisées, plus un véhicule thermique roule, plus son TCO se dégrade. "Le seuil de rentabilité de l'électrique, mesuré dans Infini Drive, est voisin de 15 000 km par an, mais ce point d'équilibre peut varier selon le prix du baril de pétrole", souligne Adeline Gogé-Lefaivre. Exemple à La Poste, où les véhicules chargés de distribuer le courrier parcourent une faible distance mais s'arrêtent plusieurs centaines de fois. "Dans une logique économique, nous affectons les Kangoo ZE à des tournées d'une soixantaine de kilomètres car pour ces faibles kilométrages, le recours au thermique n'est pas rentable", affirme Maud Marchand, responsable du domaine ingénierie de la distribution et des véhicules à la direction technique de la branche courrier-colis. Un bon moyen d'optimiser son TCO flotte consiste à associer des motorisations thermiques et électriques en fonction des usages.
Une maintenance moins coûteuse
Avec un véhicule thermique, la maintenance représente 16 % du TCO contre 9 % pour le VE, selon Infini Drive. Moins de pièces en mouvement ou encore des freins moins sollicités en raison du ralentissement opéré par la recharge du moteur durant les phases de décélération. Autre avantage, dans le cadre d'une utilisation sur de courts trajets en cycle urbain, plus de contraintes liées à la difficile montée en température du filtre à particules (FAP), qui finit par s'encrasser et provoquer des avaries récurrentes sur les diesels soumis à ce type d'utilisation.
Combiner les énergies
C'est ce qu'étudie Antsway. Cette start-up a développé un algorithme d'optimisation qui rentabilise les véhicules électriques sur des tournées et dimensionne le nombre de véhicules électriques susceptibles d'être intégrés dans une flotte. "Pour notre analyse, nous prenons en compte des éléments tels que les températures extérieures, la topographie ou encore le planning de recharge de la veille pour éviter les pics d'appel de puissance susceptibles de dégrader la compétitivité des véhicules électriques", explique Marc Grojean, directeur général d'Antsway.
Contraintes externes
Cependant, l'analyse par le TCO véhicule a ses limites. D'une part, la question de l'investissement dans des infrastructures de recharge et son intégration dans le calcul peut faire pencher la balance dans un sens ou dans l'autre. La Poste a, par exemple, choisi d'investir dans des bornes de recharge en décorrélant cette dépense du calcul du TCO puisqu'elle considère que les infrastructures seront encore utilisées après le remplacement de la génération actuelle des Kangoo ZE. D'autre part, le calcul économique du TCO ne peut suffire à guider le choix de l'entreprise dans tous les cas. Ainsi, lorsqu'il faut s'équiper de gros fourgons, l'offre thermique domine encore le marché, même si Renault vient d'y ouvrir une brèche avec son Master ZE (jusqu'à 22 m 3 ). Cependant, son autonomie, limitée à 200 km NEDC, le cantonne à des usages ciblés. Mais, là encore, l'évolution de la fiscalité, sur le véhicule électrique comme sur les carburants, pourrait rebattre les cartes à partir de 2018.
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Econocom : l'électrique, rentable au cas par cas
Pour cette entreprise de services spécialisée dans le numérique, l'introduction de véhicules électriques à sa flotte a été réalisée avec un TCO compétitif par rapport aux motorisations thermiques. Une rentabilité conditionnée par une définition très précise de leurs conditions d'utilisation.
Les neuf Renault Zoe et les deux Kangoo ZE ne représentent qu'une goutte d'eau à l'échelle des 1 500 cartes grises que compte la flotte d'Econocom. Pourtant, ces véhicules sont emblématiques de la démarche de l'entreprise qui consiste à expérimenter puis à mesurer les résultats pour faire évoluer sa car policy sur des bases solides. "Dans le cadre de notre démarche RSE, nous avons commencé par mettre des véhicules électriques à disposition de nos collaborateurs sous forme d'autopartage afin qu'ils puissent découvrir ce nouveau mode de déplacement", explique Arnaud Broust, responsable des achats, services et moyens généraux du groupe. À l'exception de véhicules affectés à certains clients sur des sites pour un usage captif, les principaux utilisateurs sont des techniciens qui n'ont pas de longs trajets à parcourir.
Déterminer la loi de roulage optimale
Comme les véhicules électriques coûtent cher à l'achat mais qu'ils sont peu en fonctionnement, le recours à l'autopartage augmente leur roulage. Econocom a prévu qu'ils puissent parcourir jusqu'à 5 000 km par mois. Pas davantage, leur faible autonomie limitant encore leur rayon d'action. Or, dans cette configuration, ces véhicules tirent très bien leur épingle du jeu, comme l'observe Arnaud Broust : "À partir de 1 150 km par mois, lorsque l'autonomie le permet, c'est-à-dire en zone urbaine ou pour des déplacements journaliers n'excédant pas 250 km par jour ou pour une utilisation captive sur un site, leur TCO devient plus intéressant que celui d'un modèle thermique équivalent. Par rapport à une citadine diesel, pour 20 000 km parcourus annuellement, l'économie est de l'ordre de 12 % sur le TCO", précise-t-il.
Les points forts du TCO
Premier atout : une consommation énergétique inférieure en raison d'une conduite plus coulée, du moins après que chaque conducteur a pris ses marques. "Lorsque nous affectons un véhicule électrique à un collaborateur, il arrive régulièrement qu'il désactive le mode "éco" pour bénéficier de toute la puissance offerte par la motorisation électrique. Cette pratique est généralement constatée durant les trois premiers mois d'utilisation. Par la suite, la tendance s'inverse, le conducteur cherchant au contraire à maximiser l'autonomie du véhicule en anticipant ses freinages et en adoptant une conduite plus souple", constate Arnaud Broust. Deuxième point fort : leur autonomie limitée dissuade naturellement les collaborateurs d'emprunter ces véhicules pour convenance personnelle, le soir ou le week-end, d'autant plus que leur carrosserie arbore un marquage volontairement peu discret. Résultat : un kilométrage parcouru inférieur de 60 % à celui des modèles thermiques. Dernier atout, le stationnement gratuit aux points de charge représente une économie substantielle de 500 € mensuels par véhicule.
Avec ou sans borne
Ce calcul du TCO ressort positif mais il n'intègre pas l'investissement dans des infrastructures de recharge. "Nous continuons d'équiper nos principaux sites d'une borne de chargement pour procurer aux salariés ayant fait le choix de l'électrique un avantage non négligeable : le stationnement réservé. L'investissement par site est de l'ordre de 5 000 € (borne plus travaux). Sur Paris et la région parisienne, nos collaborateurs utilisent l'abonnement à Autolib' ainsi que les parkings Vinci pour recharger", ajoute Arnaud Broust. Les collaborateurs rechargent également chez des clients tels que les collectivités locales, qui ont déployé leurs propres infrastructures. Quant aux sinistres, match nul avec les thermiques. La gravité et la fréquence sont similaires, ce qui s'explique par des utilisations principalement en zone urbaine.
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[Tribune] L'approche TCO est-elle favorable au développement des flottes électriques ?
Par Yann Guillaud, associé Euklead, expert en flotte auto.
Du point de vue du calcul TCO, un frein au développement de l'électrique réside dans le coût du loyer financier (qu'il s'agisse de LLD ou d'acquisition propre). En effet, malgré les incitations fiscales, les prix catalogues des véhicules sont trop élevés et restent dissuasifs.
Le calcul du TCO est un outil qui permet de rationaliser les choix. L'intérêt de cette méthode est, en effet, de tenir compte de tous les éléments qui constituent le coût d'utilisation du parc automobile (financier, SAV, consommation, fiscalité... pour la solution électrique nous tenons compte des coûts d'installation des bornes, d'entretien et de gestion). Les décideurs intègrent aisément cette démarche pour comparer les marques, les modèles, les motorisations, les modes de financement, car les données sont tangibles et contrôlables. Du point de vue des motorisations, les principales solutions disponibles sont l'électrique, l'hybride rechargeable, l'hybride, l'essence et autres GNV/GPL dans une moindre mesure.
Dans le calcul du TCO, les éléments qui contribuent au développement de l'électrique sont, par ordre d'importance, la consommation de carburant, la fiscalité et les coûts d'entretien. Pour les hybrides rechargeables, la fiscalité prend le pas sur la consommation de carburant. Nous nous basons, en effet, sur des autonomies mesurées en situation réelle (parfois inférieures de moitié aux données constructeurs). Les hybrides quant à eux n'ont d'autre avantage qu'une exonération partielle de la TVTS. Enfin, pour ce qui est de l'essence, l'alignement du taux de récupération de TVA sur celui du diesel est tellement progressif qu'il est sans impact à ce jour (pour rappel, il ne sera que de 2 % dans quatre ans pour les plus gros rouleurs !).
Du point de vue du calcul TCO, un frein au développement de l'électrique réside dans le coût du loyer financier (qu'il s'agisse de LLD ou d'acquisition propre). En effet, malgré les incitations fiscales, les prix catalogues des véhicules sont trop élevés et restent dissuasifs. La valeur marchande des véhicules en fin de vie est un frein supplémentaire. Les services occasion des loueurs techniques sont extrêmement frileux, ils appliquent des valeurs résiduelles dégradées. À l'inverse, les loueurs captifs (appartenant aux constructeurs) sont plus optimistes et travaillent avec des meilleures valeurs résiduelles. Cela étant, ils pratiquent des taux d'intérêt généralement plus élevés, ce qui vient minimiser ce bénéfice. L'entreprise qui fait le choix d'acquérir le véhicule en propriété se trouve également confrontée à un marché de l'occasion qui n'est pas mûr pour valoriser correctement les véhicules électriques. Son coût de détention financier ne s'en trouve donc pas amélioré.
Nos études (sur des modèles similaires) permettent de segmenter les solutions optimales en fonction de la loi de roulage annuelle :
- Moins de 10 000 km : électrique, hybride rechargeable, hybride et essence sont pertinentes ;
- De 10 000 à 20 000 km : hybride rechargeable, hybride et essence restent pertinentes ;
- De 20 000 et 30 000 km : la comparaison tourne en faveur du diesel ;
- Au-delà de 30 000 km : le diesel s'impose.
Une approche uniquement financière n'est pas encore favorable à la démocratisation de l'électrique au sein les parcs d'entreprise. Nous conseillons cependant d'anticiper et de commencer à intégrer une logique de solutions alternatives au diesel pour les lois de roulage inférieures à 20 000 km par an.