[Interview] "Une dépense marketing n'est pas un coût mais un investissement"
Faut-il externaliser les achats de marketing? Quels leviers actionner pour optimiser les dépenses de cette catégorie? Nicolas Robert, d-g du cabinet Le Hub et Nicolas Gondeau, associé fondateur de The Observatory, tous deux spécialisés en stratégie achats marketing, livrent leurs précieux conseils.
Je m'abonne> Pourquoi les achats marketing et pub sont-ils si complexes?
Nicolas Robert : Les prestations marketing et publicitaires sont étroitement liées au relationnel, à l'humain, à la créativité. L'enjeu pour l'acheteur est d'arriver à encadrer la relation avec l'agence et à cadrer les différents projets de production. On constate que le spectre couvert par la fonction marketing s'est nettement élargi avec l'essor du digital. Il existe aujourd'hui plusieurs catégories et plusieurs métiers au sein même de cette famille d'achats ce qui implique des expertises techniques particulières et des ressources en conséquence ce dont ne disposent pas toujours les services achats.
Nicolas Gondeau : En effet, les services achats ont de plus en plus de responsabilités sur les achats marketing. Les budgets marketing augmentent avec des demandes fortes en termes de digital et de technologies comme Martech et Adtech. A tel point que le budget IT des directions marketing dépasse celui des DSI dans les entreprises. De plus le secteur s'est largement complexifié de par la multitude d'acteurs. Avoir une connaissance intime du marché et de ses tendances est donc difficile pour des équipes achats marketing réduites qui manquent de temps et d'outils pour effectuer un benchmark performant.
> Dans ce contexte les acheteurs ont-ils intérêt à externaliser tout ou partie des achats marketing?
Nicolas Robert : Faire appel à des expertises externes qui auront une connaissance fine des acteurs et des différents marchés ne peut qu'être bénéfique. Sous-traiter la phase sourcing va permettre de faire un benchmark et un cadrage efficaces. Or, plus que par la négociation d'un devis c'est par le cadrage du projet que passe l'optimisation des budgets. Au sein d'un projet cela passe par exemple par identifier en amont les éléments techniques susceptibles d'avoir un réel impact budgétaire et d'ancrer davantage les éléments fondateurs de la demande (mandatory nice-to-have), pour que la solution proposée par l'agence soit justement proportionnée et conforme au brief.
Avoir un conseil externe pour définir la stratégie achat permet d'avoir le recul nécessaire sur le choix des prestataires tout en conservant la main sur les phases déploiement et gestion, est une approche intéressante.
Nicolas Gondeau : Certaines entreprises préfèrent se doter de compétences achats marketing spécifiques en interne par ce que ces achats sont très stratégiques pour elles. Cette approche permet plus d'agilité, de proximité et une meilleure maîtrise mais cela sous-entend de recruter de nouveaux talents et de faire monter les équipes en compétences autrement dit du temps de mise en place. Donc bien souvent l'entreprise va chercher une expertise, une ressource, pour dessiner la stratégie mais aura encore un besoin d'externalisation sur la mise en oeuvre de cette stratégie.
> L'achat marketing est une catégorie à part qui ne répond pas aux codes classiques des autres familles d'achats. Quelle est selon vous la bonne approche achat?
Nicolas Robert : Sur le marketing, les acheteurs ont moins de poids naturel que sur d'autres familles d'achats. Pour se faire accepter des parties prenantes, il leur faut donc se positionner en tant qu'apporteur de solution et remiser au second plan la baisse des coûts. Les dépenses marketing ne doivent pas être considérées comme un coût mais comme un investissement. Face à un marché qui se complexifie, les équipes marketing ne sont pas toujours armées et beaucoup d'argent peut être gaspillé par faute d'encadrement. C'est en améliorant l'efficacité des méthodes de travail entre une agence et un annonceur que l'acheteur éliminera ce gaspillage et aura un bon levier d'optimisation budgétaire. Pour l'acheteur c'est une approche très différente de l'approche achat classique.
Nicolas Gondeau : On est plutôt dans la performance de la relation que dans l'optimisation financière en tant que telle. D'ailleurs de plus en plus d'agences refusent de participer à une sélection car le budget n'est pas estimé à sa juste valeur. Les honoraires forfaitaires fixes constituent le mode principal de rémunération des agences (à 85% selon le baromètre UDA 2016) et l'intéressement concerne 45% des contrats. L'incentive est pourtant un moyen efficace de manager la relation avec son agence. Le cadrage financier ne doit pas être figé. Il faut donner la possibilité de faire évoluer cette relation financière après une période réelle de collaboration. L'acheteur doit comprendre que l'achat marketing est de moins en moins un exercice financier mais le reflet d'une stratégie de pilotage de la relation avec ses fournisseurs en communication.