Réforme du marché du gaz : de nombreuses inquiétudes
Si la réforme du stockage du gaz et l'arrivée d'une place de marché unique (PEG) pour fusionner les zones nord et sud devraient assainir le marché fournisseurs, elles suscitent de nombreuses inquiétudes chez les acheteurs. Explications à l'occasion du salon Gazelec.
Je m'abonneComment vont évoluer les prix du gaz ? Comment anticiper sur sa facture les conséquences de la réforme du stockage du gaz décidée par le gouvernement ? Autant de questions soulevées par les acheteurs à l'occasion d'une table ronde sur la réforme du marché du gaz organisée mi-octobre dans le cadre du salon Gazelec. Pour rappel: afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement en gaz dans l'Hexagone, les fournisseurs déterminent eux-mêmes le niveau de stock de gaz à acquérir pour couvrir les besoins de leurs clients pour l'année. Un mécanisme autrefois imposé par le gouvernement via un système d'obligation de stockage. Et désormais, la commercialisation de ces capacités de stockage pour les fournisseurs se fait lors d'enchères annuelles organisées par Storengy et Terega, les deux acteurs du stockage en France. Ce qui entraîne une plus forte volatilité des coûts. "On voyait cette réforme d'un bon oeil car sur nos derniers appels d'offres, on était amené à choisir les fournisseurs "les plus malins". Avec ce nouveau dispositif on attendait une plus saine concurrence sur le marché fournisseurs mais malheureusement cela s'est traduit par une explosion des coûts (stockage, fiscalité, transport)", explique Jacques-Alexis Szpicak, Energy strategic purchasing manager chez Arkema. "L'énergie est un poste de coût important. C'est donc un vrai point de vigilance pour la compétitivité de nos sites industriels".
Double facturation
Cette réforme du stockage semble mal vécue par les différents acteurs, autant fournisseurs qu'acheteurs. "Quel est le service associé à ce coût? Est-ce que les coûts de stockage sont justes?", s'interroge Jacques-Alexis Szpicak chez Arkema. Car dans les faits, les prix du gaz s'envolent. Bien qu'au sein de l'alliance Nissan-Renault-Mitsubishi, les achats d'énergie monde représentent 300 millions d'euros d'achats, soit très peu au regard des achats de matières premières qui se chiffrent en "milliards d'euros", "Le coût n'est pas adapté car si on revient un an en arrière avec des coûts régulés, on avait des coûts de stockage de 2 à 3 euros maximum par megawatt-heure (MWh) mais aujourd'hui sur certains sites, nous avons 5 à 6 euros de coût de stockage", s'étonne Jean-Pierre Maissant, regional supplier performance manager energie chez APO Renault Nissan Mitsubishi.
Outre l'explosion des prix du gaz, le sujet de la double facturation fait débat. En effet, les acheteurs estiment avoir payé le stockage de gaz deux fois, soit fin 2017 suivant l'ancien dispositif et une seconde fois suite à la réforme du 1er avril 2018. Et pour les acheteurs présents dans la salle, "assez peu de fournisseurs ont remboursé ce écart de double facturation". Réponse des fournisseurs: cela dépend des clauses contractuelles et de la prise en compte ou non de la réforme dans celui-ci. "Contractuellement, certains client avaient fait le choix d'être facturés en euros megawatt-heures pour leurs coûts de stockage et d'autres en euros par mois, soit un étalement des coûts engagés par le fournisseur".
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Un délai d'application trop court
Du côté acheteurs, on voit dans cette réforme "un effet d'aubaine pour les fournisseurs". Et Cyril Vincent, directeur énergie et clients professionnels chez Gaz de Bordeaux assume : "Si les acheteurs n'étaient pas forcément au courant des nouvelles méthodes de calcul, en tant que fournisseurs, on ne peut pas dire qu'on ne savait pas. Car la formule de calcul est connue depuis 6 mois à un an. Il y a eu des discussions sur le sujet et différentes hypothèses. On aurait pu faire un tarif régulé comme pour le transport ou la distribution mais ça n'a pas été la solution retenue par le marché. Au final, la nouvelle formule ne reflète pas la totalité du coût du stockage. Car à aucun moment, la CRE n'a expliqué que c'était le reflet de ce que chaque site devait souscrire pour le stockage. C'est davantage une assurance pour payer le stockage au niveau France."
Une méthode de calcul et une assiette qui ne devraient pas être revus "avant 2020". Mais il persiste des différences en fonction des profils des sites et des zones géographiques notamment là où la CAR (consommation annuelle de référence)(2) ne reflète pas la consommation réelle. Si le projet de départ était noble (assainir le marché fournisseur, stockage en gaz pour éviter les pénuries en hiver, ...), la mise en oeuvre de la réforme semble en avoir éprouvé plus d'un, comme l'explique Kilian Dubost, directeur commercial chez Natgas France : "Le rôle d'un fournisseur c'est d'expliquer les changements réglementaires ou les évolutions de marché pour donner les informations les plus claires à ses clients afin qu'ils puissent prendre des décisions. Or, la CRE a publié son décret(1) le 27 mars pour une mise en une application au 1er avril. Ce qui est un délai trop court". Il comprend le désarroi des acheteurs qui ont "les informations en bout de course" et plaide pour une facturation directe des gestionnaires de réseau auprès du client final afin d'éviter l'image du "fournisseur qui essaye de s'en mettre dans la poche en récupérant une partie de la marge".
Une zone de marché unique (TRF) pour simplifier les appels d'offres
Autre sujet d'actualité : l'instauration d'une zone de marché unique (la Trading Region France (TRF)) sur l'ensemble du territoire français pour le prix du gaz au 1er novembre 2018. une démarche saluée par l'ensemble des intervenants. "Cette plus grande transparence engendrera plus de compétitivité et permettra de rééquilibrer celle-ci vers les sites du sud", explique Cyril Vincent, directeur énergie et clients professionnels chez Gaz de Bordeaux, qui cite en exemple un de ses clients acteur de l'agroalimentaire qui privilégie ses trois sites industriels du nord de la France pour ensuite livrer ceux du sud en gaz. Car dans les faits, les prix du gaz dans le sud de l'Hexagone sont actuellement plus chers que dans le nord.
Une réforme également saluée par Jacques-Alexis Szpicak, Energy strategic purchasing manager chez Arkema, pour son entreprise qui a de nombreux sites industriels dans le sud. "Nous avons beaucoup souffert avec des écarts de prix à la journée entre le nord et le sud pouvant varier d'un euro à plus de 20 euros". Outre un rééquilibrage de la compétitivité entre nord et sud, cette zone de marché unique aura pour conséquence une simplification du marché et par conséquent des appels d'offres. "Pendant des années, les clients dans le sud ont du faire une gymnastique intellectuelle et administrative pour allotir leurs marchés afin d'assurer un certain niveau compétitivité entre leurs sites du nord et du sud", détaille Edouard Letzelter, responsable BtoB chez Gazprom Energy. Un constat partagé par les acheteurs : "Cela sera plus facile car avant nous avions des appels d'offres nord et sud. Nous pourrons donc désormais découper différemment nos appels d'offres", souligne Arnaud Thamin, directeur support réseau et transformation chez Foncia.
Cependant, il ne faut pas que cette zone unique "pénalise le sud. Ce qui serait un problème pour Renault et PSA qui assemblent beaucoup de pièces de fournisseurs externes basés dans le sud de l'Hexagone", explique Jean-Pierre Maissant, regional supplier performance manager energie chez APO Renault-Nissan-Mitsubishi . Enfin, prévient, Cyril Vincent, directeur énergie et clients professionnels chez Gaz de Bordeaux, "si la fusion des zones est une bonne chose, en situation tendue il y a 10% des journées où le gaz ne passe pas entre le nord et le sud et 30% en situation extrême. Des situations plus fréquentes en avril et septembre/octobre. Et le prix des fournisseurs pour déplacer le gaz en France est difficile à chiffrer avec possiblement une répercussion sur le tarif du gaz". Une mise en garde qui ne peut que confirmer les craintes des acheteurs sur le sujet.
(1) Délibération N°2018-022 - De?libe?ration de la Commission de re?gulation de l'e?nergie du 7 fe?vrier 2018 portant de?cision sur l'e?volution du tarif d'utilisation des re?seaux de transport de gaz naturel de GRTgaz et TIGF au 1er avril 2018
(2) La Consommation Annuelle de Référence (C.A.R.) est l'estimation de la consommation de gaz sur un an, dans des conditions climatiques moyennes. Exprimée en kWh, elle s'applique du 1er avril d'une année donnée au 31 mars de l'année suivante.
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