Radioscopie de la livraison collaborative en France
De nouveaux acteurs ont émergé dans le secteur de la logistique via la livraison collaborative. Calquée sur le modèle du covoiturage, la mission des particuliers consiste à livrer des colis en profitant de leurs trajets du quotidien. Tour d'horizon de ce marché qui prend de l'épaisseur.
Je m'abonneLe covoiturage à l'échelle du colis, des courses alimentaires ou des produits encombrants. Depuis quelques années, via le développement de la consommation collaborative, des plateformes en ligne se sont créées sur ce même principe dans le secteur de la logistique. Objectif ? Apporter de nouvelles solutions aux enseignes et e-commerçants sur ces enjeux du dernier kilomètre, via la livraison collaborative. En France, les premières initiatives ont émergé en 2010 mais ce nouveau format s'est développé en 2015 avec l'apparition d'applications comme Uber qui ont permis de démocratiser la mise en relation entre particuliers via une plateforme d'échanges.
«Ces plateformes jouent le rôle d'intermédiaire entre l'expéditeur et le transporteur tout en gérant l'association des acteurs, le paiement et les garanties liées à l'expédition», souligne Romain Hurez, senior consultant Retail et Logistique au sein du cabinet Sia Partners. Pour toutes, le défi est de constituer une communauté conséquente de "particuliers-livreurs". En 2019, une étude de Capgemini indiquait que 55% des consommateurs accepteraient d'effectuer des livraisons aux habitants de leur quartier. Pour 64% d'entre eux, la personne qui effectue la livraison n'est pas un critère important. Ils sont enfin 79% à se dire prêts à assurer ces livraisons pour un prix inférieur à celui proposé par les distributeurs. Pour les consommateurs, les avantages sont multiples: coûts de livraison plus faibles, délais souvent plus courts et horaires flexibles. Les plateformes mettent également en avant la réduction des émissions de CO2 des transports. «Lorsque nous avons fondé Cocolis en 2016 -start-up spécialisée dans le co-transportage longue distance-, nous sommes partis sur un double constat: se faire livrer un produit volumineux comme un meuble, notamment d'occasion, coûte très cher et, dans le même temps, de nombreux véhicules roulent à vide quotidiennement», explique Eliette Vincent, la co-fondatrice, laquelle revendique une communauté de 300 000?personnes.
Une livraison collaborative aux multiples facettes
La livraison collaborative est protéiforme. «Elle peut être catégorisée selon deux axes: la distance de la livraison, soit sur de la longue distance -exemple, un particulier qui souhaite expédier un canapé du sud de la France vers Paris- ou courte ou intra-urbaine dans des zones assez denses, analyse Romain Hurez (Sia Partners). Le second point concerne les acteurs impliqués dans cette livraison: B to C to C -des initiatives encore à l'étape de POC, d'expérimentation à un niveau local porté ou pas par une entité centrale ou nationale- ou C to C to C, des demandes plus ponctuelles où le marché doit dépasser le stade des early adopters.»
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De nombreuses enseignes notamment dans l'alimentaire ont mis à disposition ce nouveau service de livraison auprès de leurs consommateurs.
«Pour la grande distribution, c'est une occasion de proposer une offre différenciante, prônant des valeurs environnementales, et de toucher un nouveau public, en mettant en avant l'entraide entre particuliers», pointe Romain Hurez de Sia Partners. Plusieurs acteurs se sont positionnés sur ce créneau comme Shopopop ou Yper et collaborent aujourd'hui avec Leclerc, Intermarché, Système U, Carrefour, Cora, les supermarchés Match... «Les enseignes mettent à disposition des sacs isothermes pour maintenir la chaîne du froid, précise Johan Ricaut, l'un des cofondateurs de Shopopop (la plateforme compte 375 000 personnes dont 61 000 chauffeurs). Nous avons également mis en place des barrières techniques dans notre appli en planifiant un créneau de retrait dans la continuité de la livraison. Il n'est pas possible de récupérer une commande en magasin à 10h pour la livrer à 18h.» Les distributeurs spécialisés (groupe Eram, Bureau Vallée, Decathlon...) et les commerçants de proximité (fleuristes, cavistes, etc.) se mettent également à la livraison collaborative. «Nous voulions l'installer comme un nouveau standard, poursuit Johan Ricaut. Nous avons atteint ce pari.»
Pallier les lacunes des transporteurs traditionnels
Le modèle économique des plateformes se décompose en deux parties, les enseignes et commerçants s'acquittent de frais de service mensuels pour accéder à la plateforme. Côté particuliers, ceux qui bénéficient de la livraison paient des frais sur le site du distributeur et, sur cette somme, les acteurs de la livraison collaborative prennent une commission et reversent une partie aux particuliers-livreurs, qualifiés de "shoppers". Le prix tourne autour d'une dizaine d'euros pour le destinataire. «Nous avons complété la proposition de valeur du drive alimentaire en émergeant sur des zones qui n'étaient pas couvertes», souligne Jacques Staquet, le dirigeant d'Yper, laquelle recense une communauté de 200 000 personnes.
Un point fondamental pour l'expert en logistique urbaine Jérôme Libeskind: «La pérennité du modèle n'est possible que si les plateformes pallient les lacunes des transporteurs professionnels notamment dans les zones rurales où ces derniers n'ont pas suffisamment de marchés pour mettre en place des offres dans les drives, supermarchés ou surfaces commerciales en périphérie. La concurrence reste plus compliquée lorsque vous vous situez dans de grandes agglomérations: les modalités économiques ne sont plus les mêmes ainsi que la qualité de service.»
Autre difficulté, les livreurs ne doivent pas être des semi-professionnels dont l'activité principale serait de livrer des colis. Le transport de marchandises demeure une profession réglementée en France. Aussi, de nombreuses start-up restreignent le nombre de livraisons possibles et évitent de créer une dépendance de leurs livreurs. «Un utilisateur ne peut faire qu'entre 6 et 9 livraisons par mois, indique Johan Ricaut de Shopopop. Nous avons mis en place des algorithmes qui prennent en considération l'activité d'un utilisateur sur la plateforme et, si elle est jugée trop importante, nous allons afficher des livraisons disponibles dans un laps de temps supplémentaire par rapport à d'autres personnes qui auraient un usage moins intensif.»
Chez Yper, les gains sont limités à 400?euros par mois et à 4 000?euros par an. «Il faut résister à la tentation d'une pseudo-professionnalisation, pointe Jacques Staquet. Cette économie collaborative demande à être clarifiée d'un point de vue législatif.» Un équilibre pas simple à trouver entre le modèle économique, les volumes, les aspects réglementaire et écologique en pleine évolution. «Il existe une très forte concurrence des plateformes, une dizaine aujourd'hui et il n'y a pas de place pour ces dix, analyse l'expert Jérôme Libeskind. Nous allons assister à des regroupements, des rachats, à la disparition de plateformes ou à des changements de modèle.»
Le succès des plateformes durant le premier confinement
Avec le premier confinement, la demande a explosé pour ces plateformes de livraison collaborative. «En février, nous réalisions 26 000?livraisons par mois, nous sommes montés à 80 000 en avril, pointe Johan Ricaut, l'un des cofondateurs de Shopopop. Et cela ne semble pas retomber: sur l'intégralité de notre panel clients, nous avons constaté que chaque magasin réalise 20% de livraisons supplémentaires par ce biais par rapport à la période précédant la crise sanitaire. Nous avons démontré que nous pouvions absorber très rapidement une demande exponentielle en un laps de temps très court. Néanmoins, nous n'avons pas vocation à faire disparaître les autres formes de livraison, cela serait une erreur de le penser, nous sommes complémentaires.» Des propos confirmés par le dirigeant d'Yper: «Le confinement a eu un effet accélérateur pour le segment des courses alimentaires où nous avons triplé de volume. Néanmoins, pour le commerce de proximité, nous avons subi un arrêt brutal», conclut-il.