[Avis d'expert] Achats d'électricité : la fée est volatile, sachez en profiter
La Covid-19 a révélé au grand jour que les prix de l'électricité pouvaient varier sensiblement et que certaines entreprises consommatrices ont pu réaliser des économies notoires. Quels sont leurs leviers ?
Je m'abonneReflets de l'état du marché de l'énergie, les prix de gros de l'électricité croissent si la demande est plus importante que l'offre et baissent quand les capacités de production excèdent la consommation. Ce printemps 2020 en a été une parfaite illustration. L'activité économique réduite inopinément quasiment à néant en l'espace de quelques heures, associée à des températures dignes d'un début d'été, a été synonyme d'un effondrement brutal et inédit de la consommation d'électricité, même si la consommation des ménages contraints au télétravail a pris partiellement le relais. Aussi, lundi 16 mars 2020, le prix de gros de l'électricité a chuté de façon vertigineuse à 37€/MWh, alors qu'il affichait près de 56€/MWh quelques semaines au préalable (source : EEX). Rappelons que l'ARENH fixe le tarif de référence à 42€/MWh.
Une aubaine pour les entreprises consommatrices averties et diligentes. Elles savent profiter des multiples occasions offertes par un marché de gros de l'électricité toujours erratique, même hors des situations de crise, pour réaliser des économies notoires. Faisons un point sur quelques-uns de leurs leviers.
Évolution des prix Settlement (prix moyen journée) CAL N+1 - source : EEX
Appréhender un marché spécifique et complexe...
Les tarifs de l'électricité appliqués par les fournisseurs aux consommateurs, dont les entreprises, sont composés de leurs coûts d'approvisionnement et de frais fixés par l'État comme le coût d'acheminement TURPE - Tarif d'Utilisation des Réseaux Publics d'Électricité- et les taxes.
S'il ne représente que moins de la moitié du prix total de l'électricité fournie aux entreprises, le coût d'approvisionnement est une variable clé à suivre de près. Mais, il faut en comprendre toute la subtilité. Tout réside dans l'impossibilité de stocker l'électricité. En effet, ce frein technologique impose aux fournisseurs d'acheter le jour pour le lendemain sur la bourse EPEX SPOT qui gère pour la France les marchés électriques Day-Ahead, les puissances qu'ils estiment nécessaires à la satisfaction des besoins de leurs clients (entreprises, comme particuliers) et à ajuster quasiment en temps réel leur approvisionnement à une demande fluctuante. Celle-ci varie plusieurs fois par jour toute l'année, selon notamment les conditions météorologiques et l'activité économique.
Cette temporalité impacte le prix du KWh facturé aux clients finaux. En effet, selon les puissances demandées, les producteurs recourent à des sources d'énergie primaire différentes pour produire l'électricité : nucléaire, hydraulique, éolien, solaire..., voire gaz et fioul, selon un ordre prioritaire défini en fonction des coûts fixes et de leur flexibilité de mise en activité ou de mise à l'arrêt. En France, la consommation de base jugée prévisible est assurée par les centrales électronucléaires (71,6% de l'électricité produite en France était d'origine nucléaire en 2017) dont les coûts fixes sont élevés et qui sont difficiles à arrêter. Elle est complétée par le recours aux centrales hydrauliques et aux autres énergies renouvelables dont l'usage est devenu prioritaire afin d'être en accord avec les politiques environnementales. Les pics de consommation, par essence imprévisibles, sont assurés par les centrales au fioul ou au gaz. Mais si ce sont des technologies flexibles -on peut les arrêter et les redémarrer rapidement-, elles dépendent du cours du brut qui varie fortement, majoritairement en fonction des tensions géopolitiques. Soulignons qu'aujourd'hui ce prix est très bas et qu'avec la Covid-19, la production n'ayant pas été soutenue par les énergies fossiles, le prix des droits d'émission de CO2 s'est effondré, passant en quelques jours de 24€ à 15 € la tonne. Le prix du carbone impacte aussi celui de l'électricité.
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...Pour profiter de l'extrême volatilité des prix
Les entreprises peuvent profiter des chutes de prix pour renégocier leurs contrats avec leur fournisseur historique. La concurrence est féroce entre la quarantaine de fournisseurs alternatifs nés de l'ouverture du marché (Total Direct Énergie, Engie, ENI, Vattenfall...). Outre la guerre en termes de prix, aujourd'hui fixés librement, tous les opérateurs cherchent à fidéliser leurs clients. On l'a compris, ces acteurs sont soumis à un exercice périlleux : prévoir la demande afin d'acheter en bourse la puissance délivrable estimée au meilleur prix au jour le jour. Leur intérêt est, par conséquent, d'avoir une base de consommateurs solide dont ils connaissent les besoins.
Certains types de contrats plus "techniques'' offrent aux entreprises consommatrices, pour des tranches de consommation prévue pour l'année en cours, la possibilité de bénéficier des baisses du prix du marché de gros en se positionnant plusieurs fois par an sur le marché. Cet exercice s'avère particulièrement complexe, car il demande d'être en capacité de fixer les prix d'achat et les tranches de consommation, de suivre en temps réel le cours de l'électricité, d'avoir des prévisions de consommations fiables, de définir des seuils de prix d'alerte et de se positionner au bon moment sur le marché. Les entreprises rompues à cette pratique sont gagnantes, comme en témoigne une entreprise dont la consommation d'électricité s'élève à 10 GWh et qui a su profiter de la baisse des cours de l'électricité entre le mardi 29 septembre 2020 et le vendredi 2 octobre 2020. En quatre jours, les tarifs sont passés d'un pic à 47,75€/MWh à un prix plancher à 45,25€/MWh. En se positionnant au bon moment, l'entreprise a bénéficié d'une réduction de 2,50€/MWh qui s'est immédiatement traduite en une économie de 25 000€ sur son budget électricité.
Pour l'entreprise consommatrice, la difficulté d'une démarche d'appels d'offres réside à l'instar de la posture de trader, abordée dans le paragraphe précédent, dans la compréhension fine des besoins site par site, activités par activités, heure par heure... Elle exige également de savoir comparer ligne par ligne, les offres soumises par les prestataires et faire un choix judicieux combinant les prix, qui peuvent être fixes ou indexés, et la qualité des services proposés comme un interlocuteur dédié, de l'électricité verte, des accès sécurisés aux comptes, des alertes de dépassement de puissance, un diagnostic annuel gratuit.
De plus, parce l'énergie la moins chère est celle que l'on ne consomme pas, les entreprises doivent, en parallèle,engager des démarches de rationalisation de leur consommation. Effectivement, structurellement les prix de l'électricité en France suivent un trend haussier pour couvrir les importants investissements liés aux travaux de maintenance du parc nucléaire et le soutien au développement des énergies renouvelables. L'efficacité énergétique est sans conteste une voie d'avenir. Il faut consommer moins pour produire la même chose. Aussi, les entreprises sont invitées à effectuer des changements technologiques majeurs, tels améliorer le rendement des brûleurs, changer les chaudières, récupérer la chaleur générée par le process de production, produire et auto-consommer une partie de leurs besoins en électricité... En outre, ce faisant les entreprises peuvent bénéficier de subventions de l'État.
Nul doute que l'ensemble de ces actions ont des répercussions favorables sur la rentabilité et la compétitivité des entreprises. En effet, le poids du budget électricité peut représenter jusqu'à 20% de leur valeur ajoutée. Encore faut-il disposer des compétences en interne ou faire appel à des experts reconnus pour leur connaissance du secteur, des acteurs et de leurs offres, leur suivi continu de l'EPEX SPOT et leur faculté à faire profiter l'entreprise des opportunités des marchés en fonction de leur profil de consommation.