Achats marketing : vers une "flexibilité encadrée"
La dernière matinale des achats organisée par le CNA était consacrée aux achats marketing et digitaux. Une catégorie difficile à appréhender mais à forts enjeux organisationnels pour la fonction.
Je m'abonneLes achats marketing et communication ont toujours été une catégorie au fonctionnement spécifique que les achats ont du mal à mettre sous contrôle tant les directions métier sont concernées et décisionnaires en la matière. Or, avec le digital qui vient tout bousculer, multipliant le nombre d'acteurs, remodelant la répartition stratégique des actifs, modifiant les cycles classiques des campagnes et les parcours client, les entreprises ont plus que jamais besoin d'une fonction achats avertie et performante sur ce type d'achats. Pour les acheteurs cela implique de travailler différemment tant avec les métiers du marketing et de la communication qu'avec les fournisseurs.
En termes d'organisation et de processus on constate que 90% des entreprises du CAC40 a embauché un CDO (Chief digital officer) mais avec la montée en puissance du digital dans les stratégies marketing et communication (en matière de gestion de contenus, de stratégie d'acquisition ou de déploiement de campagne notamment) les silos traditionnels ne permettent plus un pilotage efficace du parcours client. Il est devenu difficile de définir les compétences clés à internaliser. De plus, l'environnement fournisseur s'est largement étoffé.
On a ainsi vu se multiplier des acteurs de plus en plus spécialisés dans le digital générant un problème de maîtrise des différentes expertises. "Le digital est une manne financière importante mais peut aussi être générateur de dysfonctionnements et de dérives tarifaires", prévient Bruno Rougier, directeur associé du cabinet Lynx spécialisé dans la performance marketing et communication. Gare à l'empilement des marges qui coûte cher et aux coûts cachés. "Au niveau des frais techniques par exemple, le prix facial peut être peu élevé mais certaines agences médias vont regrouper un certains nombre d'expertises digitales externalisées qu'elles revendent ensuite aux annonceurs avec un taux de marge exorbitant", souligne Bruno Rougier.
Les écueils sont nombreux
Bien identifier les coûts cachés est également essentiel. La chaîne de valeur s'est complexifiée et de nouveaux KPI sont à prendre en compte. L'ergonomie d'un site, le temps de chargement d'une page d'accueil ou les spécificités de codage des sites sont autant de facteurs impactants pour les services marketing et communication. "Ces coûts indirects sont extrêmement importants car ils créent la rémanence de nos opérations marketing", indique Stéphanie Cabale, VP digital marketing & customer engagement chez Orange. Un mauvais codage du site jouera sur le référencement Google (SEO), génèrera une perte de visibilité et contraindra à l'achat de SEA (référencement payant) plus important. Vis-à-vis de la technologie, les achats sont également très challengés. Il leur faut faire un choix d'outil engageant (en général à 5 ans) dans un univers qui évolue très vite. Les acheteurs doivent composer avec un problème de réversibilité et de contractualisation. Il est difficile d'avoir une logique industrielle avec des fournisseurs foisonnants. Dans le digital certains acteurs ne font pas long feu or déplugger une solution coûte très cher.
Pour toutes ces raisons, les achats ont besoin d'avoir une vision à la fois globale et précise ou en tous cas technique sur cette famille d'achats et donc de travailler en partenariat avec le marketing."Pour devenir co-leader avec le marketing sur ces sujets là, les achats ont un rôle majeur à jouer sur la veille. Le marketing n'a pas le temps de faire du sourcing donc si les achats se mettent en capacité de proposer des solutions de sourcing et de faire de la veille agile, le partenariat se mettra vite en place", juge Bruno Rougier. Pour avoir une vision globale sur chaque canal (display, e-CRM, social, SEA, SEO...) et pouvoir analyser l'écosystème digital, chiefmartec.com et Luma scape constituent un bon point de départ. Les achats pourront ainsi effectuer un tagging et un tracking des actions et des impacts pour un meilleur contrôle de l'activité. Il conviendra également de déterminer en collaboration avec l'agence sélectionnée les indicateurs de performance de façon contractuelle en s'assurant du caractère vérifiable de ceux-ci afin d'avoir une vision plus précise de la structure des coûts.
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Digitaliser l'esprit achat
Mais au-delà de ces considérations techniques "il va falloir digitaliser notre esprit achat pour gagner en efficience sur le parcours décisionnel", estime Jean-Philippe Collin, directeur des achats chez Sanofi. Pour être intégrer dès le début sur les projets marketing et communication, les achats vont devoir revoir leur façon de procéder et s'organiser différemment pour apporter aux équipes marketing la flexibilité nécessaire à la gestion de leurs projets."La fonction est aujourd'hui organisée par famille d'achats. Avec le digital il faudra se réorganiser de façon plus transversale. La gestion par catégorie vient rigidifier les process et les stratégies", estime Jean-Philippe Collin. Selon lui l'éparpillement des budgets qui brouillent l'allocation des actifs peut facilement être résolu grâce à une gestion en mode projet.
Et pour gagner en réactivité pourquoi pas s'affranchir du filtre systématique de l'appel d'offre? Pour Stéphanie Cabale d'Orange il s'agit de faire preuve de "flexibilité encadrée": "chez Orange nous fonctionnons en test & learn sur les projets pilotes et les achats se sont organisés pour nous apporter la flexibilité nécessaire. Grâce à un questionnaire plus light qui leur a permis de mesurer rapidement le risque nous avons été en capacité en 1 semaine de sourcer une solution et de la tester sur un pays." Une organisation achats agile, adaptée au monde digital c'est donc des méthodologies et des outils résolument basé sur le collectif, des équipes transversales qui fonctionnent en mode projet et partagent avec l'ensemble de l'entreprise.