Marketing et achats : place à la collaboration !
Les achats marketing sont complexes car très divers, en constante évolution et nécessitant une forte réactivité. Les équipes achats doivent en être conscientes pour bien accompagner la direction marketing. Une collaboration pas toujours aisée mais nécessaire pour plus de performance.
Je m'abonneLe secteur marketing a été fortement touché ces derniers mois par les crises successives et a connu, selon l'association des agences conseils en communication (AACC) une chute d'activité de 25% durant l'épidémie du Covid. Et si un spectaculaire redressement a été constaté dès 2021, ce dernier a surtout bénéficié au digital. Une évolution numérique qui restrucuture secteur autour de nouveaux canaux de communication et de nouvelles pratiques de consommation. Enfin, l'inflation, aggravée par la situation géopolitique, impacte fortement le coût du papier (depuis avril 2021, le prix du papier nécessaire à la fabrication des journaux a quasiment doublé, celui destiné aux livres accuse une hausse de 50%, selon l'Union française des industries du papier, du carton et de la cellulose (Copacel)). Or, "le papier représente 20 à 25% du coût des éditions imprimées", rapporte Sylvie Deschâtres, co-fondatrice de la société de conseil Synesens. Enfin, le marketing et la communication ont également des enjeux RSE : que ce soit le choix d'un papier recyclé, la tenue d'événementiels bas carbone ou encore la prise en compte de l'impact du digital sur l'environnement.
Dans ce contexte, la collaboration achats / marketing est plus que jamais d'actualité : les équipes achats doivent être en mesure d'accompagner les équipes marketing et communication face à ces multiples transformations. Si les deux directions ne se comprennent pas toujours, il est grand temps de trouver un langage commun, des moyens de collaborer, afin que les achats marketing continuent à se faire sereinement et à apporter de la performance aux entreprises.
Aider le marketing à traverser la crise
"Avec la transformation numérique, on n'achète plus la même chose. On n'achète pas de la data comme une page de publicité", met en garde Dominique Scalia, président de l'Observatoire Com Media. La digitalisation est en effet un des premiers sujets sur lequel la direction achats et la direction marketing doivent collaborer : les achats, par de la veille permanente, doivent être en mesure de proposer de nouveaux fournisseurs ou en tout cas de nouvelles méthodes qui permettront aux équipes marketing de ne pas rater leur virage technologique. Les achats doivent aussi accompagner la direction marketing et communication face à la crise que traverse le secteur : il y a en effet un danger de défaillance de certains sous-traitants, ce qui représente un risque non négligeable. "Par rapport a la situation actuelle, les directions achats doivent être hyper vigilantes quant à ces familles d'achat, notamment dans l'événementiel qui, en 2021, affichait une activité en baisse de 58% par rapport à 2019", juge Sylvie Deschâtres.
A ces difficultés s'ajoute l'inflation, notamment pour les entreprises dans la communication imprimée. "Comment intégrer le doublement du prix du papier alors que les négociations sont rendues difficiles par la situation économique des acteurs ? Nous avons l'impression que les acheteurs sont parfois déboussolés", note Dominique Scalia. Il est évident qu'il va être compliqué de négocier des prix fortement à la baisse avec des prestataires en marketing et communication. Faut-il arrêter de travailler avec certains ? Et au contraire en aider d'autres, stratégiques, à dépasser cette mauvaise passe ? Autant de question à propos desquelles les équipes achats et marketing devront débattre ensemble. En tenant en compte de différents sujets : les besoins des équipes marketing, les impératifs des fournisseurs tout en tenant compte du budget. Marie-Claire Pascal, dirigeante de Marcom Performance, conseiller en gestion des affaires, invite notamment à faire attention à ce qu'une baisse des tarifs n'entraînent pas une moindre qualité des prestations : "Il faut s'assurer avec les équipes marketing-communication que ce qui a été négocié correspond bien à leurs besoins", met-elle en garde.
Encadrer et sécuriser les achats
Ce rapprochement entre marketing et communication est d'autant plus important que le risque de défaillance des fournisseurs n'est pas le seul auquel la direction marketing et communication doit faire face. Raphaël Belliere-Lottier, directeur général adjoint en charge des achats, du digital et de l'innovation de Meotec, cite également les risques liés à la propriété intellectuelle ou encore à la RGPD. "Les acheteurs et les acheteuses doivent être là pour encadrer et sécuriser", insiste-t-il. D'autant plus que les équipes marketing hébergent souvent des juniors : les demandes fournisseurs risques d'être mal cadrées.
Les achats peuvent aussi sécuriser l'image de l'entreprise et collaborer avec le marketing sur ce sujet. Notamment sur les questions RSE, de plus en plus importantes aux yeux des consommateurs. "Les composés verts des produits, par exemple, viennent des marchés amont : les achats sont là pour dire ce qui est possible, apporter de nouvelles idées en la matière", indique Catherine Pardo, professeur de marketing à emlyon business school. Elle souligne par ailleurs que les achats sont à même d'apporter des renseignements sur la composition des produits, une demande croissante des clients auprès des directions marketing et communication. Pour Sylvie Deschâtres, sur la partie RSE, les achats doivent accompagner les directions marketing à définir des règles à soumettre aux fournisseurs, pour que les actions qu'elles mènent n'aient pas un impact négatif sur l'environnement ou la société. "La direction achats peut aussi questionner les fournisseurs sur les solutions RSE qu'ils proposent", ajoute-t-elle.
Risques fournisseurs, digitalisation, RSE... Les sujets de collaboration ne manquent pas : l'objectif d'un partenariat entre achats et marketing est finalement de permettre à la direction marketing de mieux acheter. "Les équipes marketing pensent être de bons acheteurs. Or, de fortes marges de progression existent, notamment sur les processus", remarque Marie-Claire Pascal. Pour elle, les achats peuvent par exemple se charger de la remise en concurrence, qui prend du temps.
Des univers très éloignés
Si les acheteurs peuvent aider la direction marketing-communication à mieux acheter, cette dernière doit donner de la visibilité sur ses plans marketing. Or, Marie-Claire Pascal estime que les équipes marketing ne collaborent jamais volontiers avec les équipes achats. "Beaucoup cherchent à les contourner : elles ont l'impression d'être dépossédées d'une zone de pouvoir mais aussi que les achats ne comprennent pas leur stratégie, leurs plans d'actions ni même leurs choix de fournisseurs, note-t-elle. Les directions marketing et communication peuvent estimer que les achats ne comprennent pas leurs impératifs, leurs métiers", complète Raphaël Belliere-Lottier.
Il faut reconnaître que les acheteurs et les marketeurs ont des univers très éloignés. "Au sein d'une entreprise, ce sont deux mondes très différents. Ils n'ont pas la même formation, pas les mêmes références, pas le même mode de pensée, etc. L'urgence, par exemple, n'est pas évaluée de la même façon", décrit Catherine Pardo. Un partenariat achats / marketing doit donc réussir à dépasser ces différences culturelles.
Autre frein à cette collaboration : la complexité des achats marketing. "Le marché est difficile à lire car il est très concurrentiel et toutes les agences empiètent sur le marché des autres", décrit Marie-Claire Pascal. La dirigeante de Marcom Performance insiste aussi sur les sujets très divers à adresser en achat marketing et communication. "J'ai dénombré 26 familles d'achat différentes. On ne peut pas être expert de tous ces sujets", rapporte Marie-Claire Pascal. Elle conseille de se faire accompagner sur des sujets techniques, comme l'achat média.
Compréhension mutuelle des enjeux
Heureusement, ces freins ne sont pas insurmontables. Premier levier sur lequel travailler : l'acculturation des achats au marketing et du marketing aux achats. Afin de permettre aux deux directions de mieux se comprendre, de mieux entendre les enjeux de chacun et donc de collaborer efficacement. Des formations peuvent être mises en place mais le plus efficace est encore de recruter aux achats des personnes qui ont une bonne connaissance du marketing. "Il est indispensable que l'acheteur ait au moins un peu d'expérience en marketing. Cela permet de parler le même langage, de comprendre les problématiques du service marketing-communication, notamment leur besoin de réactivité et de confidentialité", estime Marie-Claire Pascal.
Pour Raphaël Belliere-Lottier, l'idéal est que l'acheteur ou l'acheteuse qui est en charge des achats marketing ait suivi un double cursus : un master en marketing-communication suivi d'un master spécialisé en achat, par exemple. "Mais d'autres chemins sont possibles, complète-t-il. Ce peut-être une personne du marketing qui bascule sur les achats". Le plus important étant que la personne soit consciente des enjeux actuels et à venir de la fonction marketing-communication mais comprenne également bien son éco-système. "On va vers une forte digitalisation du marketing et de la communication ; les profils d'acheteurs et d'acheteuses doivent disposer de compétences et expertises aux achats IT et des achats de prestations intellectuelle", ajoute Raphaël Belliere-Lottier.
Si les achats doivent comprendre le marketing, le marketing doit comprendre les achats : Sylvie Deschâtres recommande d'assurer des micro-formations aux acheteurs, notamment aux nouveaux arrivants, sur différents sujets comme l'expression des besoins ou la demande d'un acompte. "La direction achats peut élaborer des modèles de briefs, mais il est important que des rencontres physiques aient lieu", ajoute la co-fondatrice de Synesens. Raphaël Belliere-Lottier recommande lui aussi à la directions achats d'acculturer les équipes marketing et communication aux processus achats mais aussi aux risques ainsi qu'aux leviers de performance. "Le budget est un point important pour la direction marketing et communication : il faut leur assurer que les gains obtenus permettront de dégager du budget pour faire des opérations supplémentaires et de faire face à des hausses de prix", met-il en garde.
Il faut donc non seulement comprendre le marketing mais aussi faire preuve d'empathie vis à vis des enjeux de la direction. "L'achat marketing nécessite une bonne combinaison de savoir-faire et de savoir-être. Il faut notamment savoir être diplomate afin de se faire accepter petit à petit", relève Marie-Claire Pascal. Elle déconseille de confier ce poste à un junior.
Rencontres régulières
Chez Raja, une solution a été trouvée pour faciliter la collaboration achats/marketing : la centrale d'achat du groupe est constituée d'acheteurs qui sont également chefs de produits. "Nous sommes convaincus que la réunion des deux fonctions est créatrice de valeur pour l'entreprise. Nos acheteurs raisonnent en commerçants et contribuent activement à la croissance du groupe. Ils ne se focalisent pas uniquement sur la réduction des coûts mais aussi sur la qualité des produits, l'excellence du service, l'amélioration continue de l'offre et la recherche d'innovation", explique Ulrick Parfum, directeur achats et marketing produits du groupe.
Malgré cette organisation, la centrale d'achat collabore avec une direction marketing : la direction marketing clients, sur l'expression médiatique de l'offre. "Les acheteurs-chefs de produits transmettent aux équipes marketing client toutes les informations produits leur permettant de construire les argumentaires de vente les mieux adaptés, contextualisés à nos différents supports commerciaux (catalogues papier, sites web, newsletters...)", décrit Ulrick Parfum. Les acheteurs présentent et expliquent également chaque nouveauté produit aux équipes marketing, média et commerciales. De manière à fluidifier les échanges, des rituels ont été mis en place, comme des réunions hebdomadaires destinées à faire le point sur l'avancée des campagnes catalogue. L'utilisation d'outils collaboratifs type JIRA ou Teams ont aussi facilité le travail entre les deux équipes. "Nous organisons des réunions REX, "retours d'expérience", afin d'analyser ce qui a marché, ce qui a dysfonctionné et mettre en place les actions correctives nécessaires. Nous nous inscrivons dans une démarche d'amélioration continue", ajoute Ulrick Parfum.
Organiser des moments de rencontre réguliers est en effet une bonne pratique à mettre en place pour favoriser la collaboration achats/marketing : "Les deux directions doivent se parler régulièrement afin de partager sur les projets, le marché fournisseurs, le budget, etc..." détaille-t-il. Il notifie par ailleurs l'importance des délais et de la réactivité dans les métiers du marketing et de la communication, ce qui justifie d'autant plus cette nécessité d'échanger fréquemment. "Il est important que les achats soient intégrés à la direction marketing-communication, soient au plus près d'elle", assène-t-il.
Vers du co-management
Catherine Pardo parle quant à elle de co-management : "Le co-management permet de respecter les différences tout en trouvant des moyens d'alignement. Chaque direction mène ses projets individuellement mais elles se rencontrent sur certains points, lors de réunions. Ces points doivent aboutir à des prises de décisions communes et pas juste se limiter à de l'échange d'informations". Elle avance d'autres pistes : faire partager aux deux directions des lieux physiques afin de favoriser la sérendipité, c'est-à-dire le fait de trouver des idées par hasard ; mettre en place des incentives sur des projets montés en commun...
Sylvie Deschâtres conseille quant à elle un accompagnement des équipes marketing sur le sourcing via des business review avec des fournisseurs stratégiques ou de nouveaux prestataires, histoire d'aider la direction marketing à s'ouvrir à de nouveaux partenaires et leur permettre de davantage innover. De nombreuses solutions peuvent donc être mises en place pour permettre une meilleure collaboration achats/marketing : le plus important est de se lancer afin de rendre plus performants les achats marketing.
Virginie Favray, directrice des achats des laboratoires Urgo : "Donner envie de travailler ensemble"
Au sein des laboratoires Urgo, les achats hors production représentent quasiment autant que les achats de production ; et dans ces achats hors production, une grosse part des dépenses se fait au profit du marketing. "L'enjeu est donc fort en termes financiers, mais aussi en terme de management des risques et de la qualité du produit/service", rapporte Virginie Favray, directrice des achats des laboratoires Urgo. Dans ce contexte, la collaboration achats/marketing est primordiale : les achats accompagnent les directions marketing dans la définition du besoin, le sourcing, la négociation, et le processus de sélection fournisseur ou encore dans l'évaluation financière d'un fournisseur. Pour un bon partenariat, la direction achats intervient dès l'intégration des nouveaux arrivants à la direction marketing. "Cela permet d'échanger sur la valeur ajoutée des achats, de quelle façon nous allons être amenés à travailler en commun... Nous cherchons à donner envie de travailler ensemble, cela fonctionne mieux que de mettre simplement en place une procédure écrite", décrit Virginie Favray. Elle invite à l'humilité : "Nous ne sommes pas des experts marketing et eux ne sont pas des experts achats ; l'objectif est de démontrer ce que notre collaboration peut apporter".