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Gigafactories: épineux vice versa industriel

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Gigafactories: épineux vice versa industriel

Le pari est risqué. Les projets d'usines de batteries pour véhicules électriques se multiplient en France au prix d'investissements considérables. Pour atteindre une certaine souveraineté industrielle dans le domaine, les acteurs tricolores et les constructeurs automobiles s'allient avec les fournisseurs asiatiques pour acquérir leur maîtrise technologique et industrielle. Les gigafactories tricolores resteront néanmoins totalement dépendantes du raffinage des minerais nécessaires aux batteries qui s'effectue essentiellement en Chine.

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C'est parti ! Le franco-allemand Automotive Cells Compagny (ACC) a lancé depuis quelques mois, la production de batteries pour voitures électriques de la première gigafactory en France à Douvrin (Pas-de-Calais). En phase de rodage, cette immense usine accolée à un site de production de moteurs de Stellantis, fabrique ses premières cellules de batteries lithium-ion qui sont en cours de test en ce mois de juillet. Elle aura une capacité annuelle de 8 GWh en 2025 avant d'atteindre 40 GWh en 2030 pour équiper des centaines de milliers de véhicules électriques, notamment ceux de Stellantis. Estimé à plus de 2 milliards d'euros pour une première tranche, l'investissement global pourrait culminer à 5 milliards à terme.

Créer un savoir-faire en profitant du tissu économique local

ACC, codétenue par Stellantis, TotalEnergies et Mercedes, marque ainsi le démarrage de l'industrialisation des batteries dans les Hauts-de-France et dans l'hexagone. Le fabricant chinois Envision AESC lui a emboîté le pas en s'installant à côté de l'usine Renault de Douai (Nord) pour alimenter en batteries les prochains modèles électriques du constructeur, avec une capacité annuelle de 24 GWh d'ici à 2030. « Grâce à la présence de Stellantis et de Renault, l'industrie automobile régionale a joué un rôle majeur dans l'implantation de ces deux premières gigafactories. Ces deux dossiers dans lesquels nous nous sommes très impliqués ont eu un effet boule de neige pour attirer d'autres fabricants et sous-traitants de batteries » indique Yann Pitollet, directeur général de Nord France Invest, l'agence de promotion économique et d'attractivité du territoire des Hauts-de-France. Les projets se sont ainsi enchaînés. La start-up grenobloise Verkor construit à Dunkerque (Nord) sa gigafactory d'une capacité annuelle de 12 GWh en 2025, puis de 50 GWh en 2030 pour équiper 300 000 voitures électriques. C'est aussi à Dunkerque que le taïwanais ProLogium projette de produire fin 2026 des batteries solides de nouvelle génération pour atteindre une capacité de 48 GWh en 2030, après avoir établi un centre de R & D à Paris-Saclay (Essonne), pour un montant global de 5,2 milliards d'euros. Enfin, Tiamat, start-up issue du CNRS, prévoit d'ouvrir en deux temps à Boves près d'Amiens (Somme) une usine de futures batteries solides sodium-ion d'abord pour l'outillage en 2026, puis destinées aux véhicules électriques en 2030. Le montant total de ces cinq gigafactories s'élèverait à plus de 10 milliards d'euros.

Une "vallée de la batterie", future filière d'avenir ?

Dans un contexte de concurrence régionale et internationale, la région des Hauts-de-France sait ainsi mettre ses atouts en valeur pour attirer cet afflux d'entreprises évoluant dans la batterie. « Notre grande disponibilité foncière, notre situation géographique de barycentre européen logistique, notre accès maritime et nos procédures administratives accélérées, sont autant de facteurs déterminants pour les implantations industrielles de la sorte » énumère Antoine Macret, directeur de Hauts-de-France Innovation Développement, l'agence régionale qui accompagne les entreprises innovantes. Du coup, ce pôle industriel naissant, baptisé « la Vallée de la batterie », va générer le développement d'un écosystème régional dans la production de batteries et dans leur recyclage, concentrant acteurs locaux et étrangers. « L'ensemble des projets autour de la batterie devrait dépasser 15 milliards d'euros d'investissement et créer 20 000 emplois directs et 60 000 indirects à l'horizon 2030, en mobilisant un tissu local de sous-traitants et de fournisseurs dans des activités annexes de logistique, de mécanique, de maintenance industrielle... » résume Yann Pitollet. Pour assurer la part des emplois qualifiés directs dont 13 000 seront créés d'ici à 2026-2027 par ACC, Envision AESC et Verkor, la région nordiste a lancé son projet Electro'Mob qui vise à former 20 000 personnes aux métiers de la batterie d'ici à 2030. Ce type de formation pourrait bientôt être proposé à une main-d'oeuvre locale en Alsace où Blue Solutions, filiale de Bolloré, envisage de réaliser une gigafactory en 2030 d'une capacité de 24 GWh pour équiper 250 000 véhicules électriques par an.

La bonne technologie au meilleur coût... suffisant dans cet "univers impitoyable" et ultra concurrentiel ?

Derrière cette réindustrialisation d'avenir menée tambour battant, des interrogations demeurent cependant sur la souveraineté industrielle française dans les batteries et sur la pertinence d'investissements nécessaires aussi colossaux, soutenus à hauteur de 20% à 30% par des aides publiques. Car, la maîtrise de la technologie des batteries pour véhicules électriques et de leur production n'est pas dans l'ADN de la France et de l'Europe qui s'en sont désinvestis depuis de longues années. « Nous avons sous-estimé la technologie depuis longtemps, ce qui nous oblige aujourd'hui à construire toute une filière » reconnaît Clément Le Roy, associé au cabinet conseil Wavestone, en charge de la transition énergétique. « La France et l'Europe n'ont jamais industrialisé la production de batteries pour véhicules électriques, un process très compliqué et difficile à mettre en oeuvre, générant un important taux de rebuts. Nous avons au moins 10 ans de retard à rattraper sur les fabricants asiatiques qui accélèrent d'autant plus dans l'innovation et l'industrialisation de batteries » souligne Christophe Pillot, directeur d'Avicenne Energy, cabinet conseil spécialisé dans les batteries. Et d'ajouter : « la réussite d'un projet de gigafactory tient à trois prérequis : avoir la bonne technologie de batteries au meilleur coût, l'argent pour réaliser l'investissement industriel adéquat et la garantie de l'engagement à long terme d'un client constructeur automobile ». « Tout l'enjeu est de faire les choix technologiques les plus pertinents parmi les différentes familles de batteries plus ou moins performantes actuelles et futures et d'ajuster les investissements industriels correspondants avec la garantie de rentabilité sur 10 ans, pour se projeter dans l'environnement très concurrentiel du savoir-faire technique et industriel des acteurs chinois, coréens et japonais » estime de son côté, Frédéric Thielen, directeur général de Masaï Consulting, société de conseil en stratégie et opérations. Pour ce dernier, « les acteurs français doivent rechercher des alliances avec les fabricants asiatiques pour monter en compétence dans les batteries et en acquérir la maîtrise technologique et industrielle en vue d'accéder à une certaine souveraineté en la matière ». « Les constructeurs automobiles dont la production de batteries n'est pas leur métier ont tout intérêt à s'appuyer sur le savoir-faire de sous-traitants asiatiques et à les multiplier pour diversifier leur sourcing » abonde Olivier Perrin, associé au cabinet conseil Monitor Deloitte, en charge du pôle Energie-Ressources.

De la façon d'encourager, développer et structurer la filière par les directions achats

Renault et Stellantis l'ont bien compris. Ils multiplient les partenariats avec les fabricants asiatiques de batteries et suscitent leurs implantations industrielles en France ou en Europe. Renault s'est notamment allié avec des fournisseurs en majorité chinois et coréens (cf encadré) qui produisent sur place. « La chaîne de valeur de la batterie est à l'heure actuelle maîtrisée par les fabricants asiatiques. Afin de répondre à la demande des constructeurs, ils se sont installés en Europe et développent de nouvelles technologies telles que les batteries lithium-fer-phosphate (LFP) qui n'existaient pas encore ici. En parallèle, des acteurs européens de la batterie commencent à émerger comme Verkor, l'un de nos partenaires » explique François Provost, Chief Procurement, Partnership & Public Affairs Officer de Renault Group. Renault est même entré au capital de Verkor, traduisant sa volonté de soutenir les initiatives françaises dans la batterie. Stellantis compte aussi de multiples fournisseurs asiatiques en Europe, même si ACC doit en devenir l'un de ses principaux. En témoigne l'accord stratégique que le constructeur a signé fin 2023 avec le fabricant chinois CATL pour son approvisionnement local en batteries LFP sur le marché européen. Les deux partenaires souhaitent créer une coentreprise dédiée à la fabrication de ce nouveau type de batteries destiné à équiper les véhicules de Stellantis produits en Europe. Comme Renault, le constructeur soutient les initiatives françaises et mise notamment sur des technologies d'avenir. Il a notamment investi dans le capital de Tiamat qui produira à terme ses batteries solides sodium-ion susceptibles d'être plus performantes que les batteries classiques liquides lithium-ion, afin d'accroître l'autonomie et la vitesse de recharge des voitures électriques. Chez Renault, on préfère travailler en interne sur les technologies futures de batteries. « L'important est d'être sûr d'avoir à l'avenir la meilleure technologie au meilleur prix. Pour cela, notre laboratoire Innovation Cellules Batteries à Lardy (Essonne) travaille sur les grandes innovations de demain. C'est la clé pour pouvoir demander à nos fournisseurs de nous accompagner sur les évolutions technologiques des prochaines années » révèle François Provost.

Sempiternels problèmes de dépendance... noeud gordien des achats et de cette souveraineté fantasmée

Malgré toutes ces initiatives stratégiques, la France n'est pas en mesure d'atteindre une souveraineté technologique et industrielle totale dans les batteries pour véhicules. En cause : sa très forte dépendance en matières premières comme le lithium, le manganèse, le cobalt, le nickel, le phosphate, le fer...entrant dans la composition des batteries et en provenance de multiples pays producteurs comme l'Australie, le Canada, la République démocratique du Congo, la Russie mais aussi d'Amérique du Sud (Argentine, Bolivie, Chili) et d'Asie. Pour sécuriser ses approvisionnements, Stellantis a bien scellé des partenariats avec certains pays. Mais cela ne suffit pas. « Les constructeurs automobiles et les gigafactories sont surtout tributaires du raffinage de tous ces minerais nécessaires aux batteries qui s'effectue en très grande majorité en Chine » pointe Olivier Perrin. « Cette dépendance chinoise incontournable est l'angle mort de la chaine de valeur de la production de batteries. Elle pourrait ralentir les cycles de production en France et en Europe », ajoute Clément Le Roy.

Rétropédalages européens et avenir en demi teinte de la filière

À cette problématique structurelle, s'ajoutent quelques nuages qui s'accumulent sur le marché des véhicules électriques et qui pourraient bien freiner l'activité ou la concrétisation des projets de gigafactories dans l'hexagone. Après une bonne année 2023 de ventes de véhicules électriques, le marché patine en 2024 et marque un net ralentissement lié aux prix plus élevés des voitures électriques que leurs homologues thermiques. ACC a ainsi décidé de mettre en pause la réalisation de ses deux usines de batteries nickel-manganèse-cobalt (NMC) sur les sites d'Opel à Kaiserslautern en Allemagne et de Fiat à Termoli en Italie, à cause de la dégradation du marché à mesure que les aides à l'achat des voitures électriques se réduisent en France, alors qu'elles sont déjà supprimées en Allemagne. L'autre raison est de répondre à l'évolution de la demande vers des véhicules électriques moins onéreux qui nécessitent de produire des batteries LFP moins performantes mais moins chères que les batteries NMC. Un virage stratégique industriel impossible à effectuer rapidement pour ACC. « Pour convaincre le maximum de clients, les constructeurs automobiles veulent désormais s'approvisionner en batteries moins chères pour proposer des voitures électriques au prix de leurs homologues thermiques », éclaire Christophe Pillot. Toutes les technologies de batteries auraient néanmoins leur place sur le marché automobile, les moins performantes pour les petits véhicules électriques et les plus capacitaires et les plus chères pour les plus gros modèles.


Trois questions à Olivier Perrin, associé au cabinet conseil Monitor Deloitte, chargé du pôle Energie-Ressources


L'implantation d'usines de batteries en France est-elle pertinente ?

Oui. Notre pays a des atouts pour faire fonctionner ces gigafactories qui consomment beaucoup d'énergie. Elles disposent d'un accès à une puissance électrique bas carbone issue du nucléaire, pilotable et à un prix stable et abordable. L'ampleur des projets industriels est aussi intéressante pour faire baisser le prix des batteries grâce aux volumes de production importants et devenir plus compétitif face aux acteurs asiatiques aux coûts de production moindres et aux subventions massives.

Ces projets sont-ils garants de la souveraineté française dans les batteries ?

Non. Nous restons très dépendants des matières premières lithium, cobalt, phosphate, nickel...qui entrent dans la composition des batteries. Les usines françaises sont totalement suspendues à l'approvisionnement de ces minerais en provenance des principaux pays producteurs et surtout de leur raffinage qui s'effectue très majoritairement en Chine.

Comment peut se comporter la Chine dans ce contexte ?

Maîtrisant la chaîne de valeur des véhicules électriques, elle pourrait être tentée de bloquer l'export de certains minerais stratégiques et ne vendre que les batteries ou les véhicules entiers. La Chine devrait néanmoins jouer le jeu commercial notamment avec une stratégie de production de batteries en Europe, mais en nous privant d'une partie de notre souveraineté sur la chaîne de valeur amont.

Renault s'allie à quatre fournisseurs de batteries

Pour couvrir ses différents besoins de batteries destinées à équiper ses modèles électriques actuels et futurs, Renault s'appuie sur quatre partenaires. Il a noué un accord avec le chinois Envision AESC pour l'implantation d'une gigafactory à Douai au sein du pôle Renault ElectriCity (Douai, Maubeuge et Ruitz). Opérationnelle cette année, l'usine fournira à partir de 2025 les batteries notamment de sa R5 électrique et de sa future R4. Le coréen LG Electrical System approvisionne déjà, depuis son usine de batteries de Pologne, le site de Douai pour la Megane E-Tech et le Scenic E-Tech. Le chinois CATL fournira les batteries de la future Twingo électrique depuis son usine en Hongrie. Renault s'est aussi allié au français Verkor dont la gigafactory de Dunkerque alimentera en batteries notamment le futur Crossover d'Alpine et le FlexEVan.


 
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