RFI : à ne pas négliger !
Considérée par certains experts comme une mission fondamentale des acheteurs, les RFI (Request For Information) ne sont pas toujours bien menées. Pourtant, cela permet de sélectionner les fournisseurs les plus pertinents. À condition de construire une RFI adéquate.
Je m'abonneLe sourcing est un sujet clé au sein des directions achats. Pour aider les acheteurs dans cette étape essentielle de leur mission, il existe un outil : la RFI ou Request For Information (demande d'information). "C'est le travail le plus intelligent que peut faire un acheteur", pense Olivier Wajnsztok, directeur associé d'AgileBuyer. Concrètement, la RFI consiste à récupérer des informations auprès des fournisseurs potentiels pour affiner son sourcing. Utiliser les RFI est intéressant pour les achats de biens ou de prestations réalisés pour la première fois, pour lesquels le marché et les différents acteurs sont mal connus. "Certains de mes clients surnomment les RFI "beauty contest" : l'objectif est, en effet, de demander aux fournisseurs potentiels ce qu'ils ont à proposer, pour identifier les technologies et services qui pourraient être profitables pour son entreprise. C'est un appel au marché", définit Franklin Brousse, avocat spécialisé dans les achats innovants. Pour lui, les RFI peuvent, notamment, être utiles dans les achats en innovation, essentiels en ces temps où les entreprises réalisent leur transformation digitale.
"Les RFI peuvent être des sources d'inspiration incroyables en matière d'innovation", abonde Haïssam Abdul-Wali, directeur de l'équipe Sourcing de Timspirit. À condition, selon lui, que la RFI soit une véritable ouverture au marché. "La RFI est un moyen de s'ouvrir à des fournisseurs qu'on ne connaît pas ou peu, donc de ne pas rester cantonné aux fournisseurs avec lesquels on a l'habitude de travailler", souligne Haïssam Abdul-Wali.
La RFI est ainsi un premier contact avec les prestataires potentiels, un premier pas dans la relation future. "Nous considérons, chez Timspirit, que de bonnes relations pérennes entre client et fournisseurs apportent de la valeur aux deux parties. Cette relation se construit dès le processus de RFI", met en garde Haïssam Abdul-Wali. Il s'agit alors de soigner cette étape, qui est parfois mal traitée. Selon Olivier Wajnsztok, les meilleurs acheteurs sont ceux qui font de bonnes RFI, car ils choisissent les bons fournisseurs. "Alors qu'un appel d'offres permet de sélectionner le meilleur fournisseur, la RFI répond à une question simple et compliquée : qu'est-ce qui fait qu'un fournisseur est structurellement ou stratégiquement bon pour délivrer un appel ou un service, définit-il. Il faut, pour cela, être capable de déterminer les leviers stratégiques de compétitivité ou de compétence, ce qui fait qu'un fournisseur est structurellement bon, au-delà du simple critère de prix", ajoute-t-il.
Un questionnaire pertinent
Comment, alors, construire une bonne RFI Jacques Fayet, expert en achats, rappelle que la rédaction de la RFI intervient après la définition des besoins. "Les RFI permettent de savoir vers quels fournisseurs on va s'orienter en termes techniques et en fonction de la stratégie achats, La RFI doit s'intéresser à des éléments qui répondent à des besoins réels et à la stratégie de l'entreprise." Il faut donc savoir où l'on va avant de lancer la RFI et ainsi avoir consulté les clients internes, voire d'autres services, comme la RSE, la qualité, etc. Même si la RFI peut aussi être l'occasion d'affiner ses exigences et de préciser son cahier des charges.
C'est avec ces différents acteurs internes que sont définies les questions à envoyer aux fournisseurs potentiels. Jacques Fayet conseille "la technique de l'entonnoir" : "Cela permet de recueillir des informations, de débroussailler le terrain grâce à des questions d'ordre général, afin de sélectionner les fournisseurs qui correspondent à nos critères", décrit-il. Il lui est arrivé, dans sa carrière, d'effectuer deux RFI, une très générale et une autre avec des questions plus précises, plus techniques. "C'est plus long, mais cela permet de bien cibler et de travailler avec le meilleur fournisseur", estime-t-il.
Attention aux nombres de questions adressées : Olivier Audino, président de BME Consulting - Sourcing Force, conseille de ne pas dépasser 10 à 20 questions.
"Il s'agit juste de couvrir les informations éliminatoires pour participer à l'appel d'offres : les questions ne doivent pas être trop détaillées, pour ne pas faire perdre de temps et aux fournisseurs et aux personnes qui vont devoir analyser les réponses", souligne-t-il, jugeant que si le questionnaire de la RFI va trop vite sur des questions de type RFP (Request For Proposal, autrement dit des appels d'offres), on perd du temps à analyser des fournisseurs qui ne pourront pas aller plus loin et on prend le risque que certains d'entre eux ne répondent pas. Pour lui, une RFI ne réunit que quelques questions clés, dont les réponses peuvent être analysées dans l'heure.
Lire la suite en page 2 : "Il faut être pertinent " / Organiser un speed dating fournisseurs / Mise en place d'une grille de notation et critères éliminatoires
et en page 3 : Témoignages de Laura Berlandis, responsable achats promotionnels et événementiels de Roche Diabetes Care France : "Dégrossir sa connaissance du marché et construire un cahier des charges pertinent?" / Julien Perinet, responsable achats de Poma: "Pour qu'une RFI soit réussie, préparer une liste préalable de fournisseurs est très important"
"Il faut être pertinent "
Les questions envoyées doivent surtout être appropriées et ne doivent en aucun cas servir à collecter des informations que l'on pourrait aisément trouver sur Internet.
"Il faut être pertinent et ne pas poser des questions pour poser des questions", recommande Olivier Wajnsztok. Pour lui, les questions formulées dans la RFI doivent servir à évaluer le fournisseur, le produit et/ou le service et, enfin, le degré de coopération juridique. "Évaluer le fournisseur permet de s'assurer de sa capacité à accompagner le client dans son projet. Cette capacité peut-être évaluée à travers trois aspects : l'analyse financière, qui aide à déterminer la viabilité de l'activité du fournisseur, l'évaluation de la taille de l'entreprise, du chiffre d'affaires, du nombre de ressources et de clients ou, encore, de sa réactivité et de sa capacité de production, pour confirmer la capacité à prendre en charge votre projet. Enfin, les certifications et agréments du fournisseur permettent de s'assurer des conditions objectives de réalisation des biens ou services", détaille-t-il.
Concernant l'évaluation du produit et/ou du service, il s'agit de s'assurer de la capacité du fournisseur à répondre au besoin du prescripteur et de mesurer la faisabilité d'un projet sur un plan technique et financier. Enfin, le degré de coopération juridique consiste à soumettre aux fournisseurs les conditions générales d'achat. "L'attitude des fournisseurs (acceptation, refus, commentaires) peut permettre de faciliter le choix pour les étapes ultérieures", explique Olivier Wajnsztok.
Il peut, en effet, être intéressant de se présenter, de décrire son projet, sa manière de fonctionner, en même temps que d'envoyer son questionnaire. Haïssam Abdul-Wali propose d'adjoindre ainsi au questionnaire RFI un brief aux soumissionnaires qui justifie le contexte de la démarche, les enjeux et objectifs, mais aussi des éléments de volumétrie. "Il s'agit de leur expliquer globalement ce qui est recherché". Il invite également à communiquer un planning, quelles seront les étapes suivantes, etc. Afin de donner de la visibilité aux soumissionnaires, de leur permettre de se projeter et de les rassurer du sérieux de la démarche. Pour Jacques Fayet, présenter l'entreprise et les projets montre aussi l'intérêt qu'il y aurait pour les fournisseurs à répondre à la sollicitation.
Celui-ci invite par ailleurs à appeler certains fournisseurs en amont de l'envoi de la RFI, pour que cette dernière soit bien accueillie. Olivier Wajnsztok incite lui aussi à appeler les fournisseurs interrogés, afin de les motiver à répondre. "Il faut qu'ils comprennent qu'il y a un intérêt", indique-t-il. Notons qu'il est essentiel d'envoyer la RFI à la bonne personne au sein de l'entreprise prestataire, et qu'il faut donc avoir le bon contact.
Quant au nombre de fournisseurs à solliciter, Olivier Wajnzstok conseille d'interroger large, même les fournisseurs qui ne feraient, a priori, pas l'affaire. Haïssam Abdul-Wali estime, quant à lui, qu'il faut sélectionner un panel de fournisseurs suffisamment varié pour réellement s'ouvrir au marché, mais déconseille d'adresser plus de 10 fournisseurs. "Cela ne sert à rien d'arroser le marché. Mieux vaut sélectionner le bon panel en amont via une étude de marché", pointe-t-il. Haïssam Abdul-Wali reconnaît cependant que le fait d'avoir recours à un panel plus large permet, parfois, de rassurer les clients.
Enfin, petit point juridique : même si la RFI n'est, en aucun cas, contractuelle, Franklin Brousse juge préférable de mettre en place un accord de confidentialité stipulant que tous les échanges dans le cadre de la RFI sont confidentiels.
"Le client, comme les fournisseurs peuvent, en effet, devoir fournir des informations confidentielles pour les besoins de la RFI", rapporte-t-il.
Organiser un speed dating fournisseurs
Concernant les bonnes pratiques à adopter en matière de RFI, Haïssam Abdul-Wali insiste sur la nécessité d'éviter un processus trop lourd. Son conseil, pour que ce soit le plus dynamique possible : réaliser sa RFI non par écrit, mais sous forme de speed dating, en présentiel de préférence (mais faisable en vidéoconférence, crise de la Covid oblige). "Pendant deux jours, les fournisseurs viennent exposer leur savoir-faire dans un domaine à travers de courtes présentations d'une heure et demie maximum", précise-t-il.
Pour le directeur de l'équipe Sourcing de Timspirit, l'intérêt d'une telle démarche est triple. "Cela permet de rencontrer de nombreux fournisseurs en un temps réduit, donc de se faire rapidement une idée des forces et faiblesses de chacun, bien plus facilement que via des tableaux Excel. Les clients ont également par ce biais un dialogue, un réel échange avec les soumissionnaires, et peuvent donc commencer à créer de la proximité avec ceux qui deviendront peut-être des partenaires. Enfin, ces speed datings permettent de réunir les différentes parties prenantes du projet autour de la table, ce qui permet à chacune de ces parties d'avoir le même niveau d'information, mais aussi de participer activement à la décision ; tout le monde se sent ainsi pleinement impliqué", décrit-il.
Pour Haïssam Abdul-Wali, les fournisseurs préfèrent également prendre part à des RFI sous forme de speed dating que sous forme écrite. "Un questionnaire très cadré ne leur permet pas de s'exprimer réellement. Là, ils peuvent se différencier, affirmer leur position et se faire apprécier d'un client qui, peut-être, les connaissait mal, et le convaincre d'être retenus pour la suite, puisqu'un dialogue se met en place", estime-t-il. Inversement, cet échange permet aussi aux fournisseurs de mieux qualifier le projet et décider s'ils souhaitent poursuivre ou pas le processus de sélection.
Mise en place d'une grille de notation et critères éliminatoires
Haïssam Abdul-Wali recommande enfin de prévoir, après les présentations des fournisseurs, des temps de debriefs et d'échanges entre les différentes parties prenantes du projet, sur les points forts et les axes d'amélioration, mais aussi concernant les éléments qui ont le plus retenu leur attention. "S'il est intéressant de rendre le processus plus dynamique, la décision doit être réfléchie : la mise en place d'une grille de notation en amont, listant les critères de choix, est essentielle", ajoute-t-il, insistant cependant sur l'indispensable échange oral entre les différentes parties prenantes. En effet, quelle que soit la manière employée pour recueillir des informations sur les fournisseurs, il est nécessaire de mettre en place un système de scoring sur les capacités des fournisseurs à répondre aux besoins, selon des critères prédéfinis. "En dessous de 80% des critères remplis, les fournisseurs peuvent être écartés ; au-delà de ce seuil, on peut aller plus loin avec eux", avance Jacques Fayet. Olivier Audino propose même de définir des critères éliminatoires.
Cette analyse peut se faire par l'intermédiaire d'une solution e-achat qui permet, si les besoins sont bien configurés, de savoir en un clic quels sont les fournisseurs sélectionnés. Attention cependant : même si un processus de traitement des RFI automatisé est mis en place, il ne faut pas oublier de discuter avec les différentes parties prenantes internes des éléments qui ont conduit à écarter ou à retenir tel ou tel fournisseur. En effet, des sujets non anticipés peuvent surgir lors d'une RFI et fournir de la matière à débat. Nous l'avons dit : la RFI est également intéressante de ce point de vue, et il serait dommage de brider cette ouverture à des fournisseurs qui proposent des solutions différentes, voire inattendues.
Laura Berlandis, responsable achats promotionnels et événementiels de Roche Diabetes Care France : "Dégrossir sa connaissance du marché et construire un cahier des charges pertinent " / Julien Perinet, responsable achats de Poma: "Pour qu'une RFI soit réussie, préparer une liste préalable de fournisseurs est très important"
"Dégrossir sa connaissance du marché et construire un cahier des charges pertinent "
Rencontre avec Laura Berlandis, responsable achats promotionnels et événementiels de Roche Diabetes Care France
Pour Laura Berlandis, responsable achats promotionnels et événementiels de Roche Diabete Care France, avant même la RFI, c'est la phase de sourcing qui est importante. "Cela se fait au quotidien, via Internet, son réseau, des webinars... Les sources sont très diverses. L'essentiel est d'avoir déjà identifié des fournisseurs potentiels quand on a un nouveau besoin", raconte-t-elle. Cette partie veille est pour elle fondamentale, afin que la RFI soit adressée aux bons fournisseurs. "C'est un point sur lequel j'attends mon équipe, car cela fait vraiment la différence", insiste-t-elle.
Les RFI ne sont lancées dans son entreprise que pour les gros projets. L'avantage : se pencher à 100% sur le marché fournisseurs du bien ou de la prestation achetée. "Cela permet d'approfondir sa connaissance du marché et des acteurs et surtout d'affiner son appel d'offres et de construire un cahier des charges précis et pertinent", avance Laura Berlandis. Elle adresse ses RFI à de nombreux fournisseurs, pour ne pas se mettre de barrière. Celles-ci consistent en un formulaire qui présente l'entreprise et son besoin, avant de dresser une liste de questions d'ordre général : groupe auquel l'entreprise appartient, nombre de salariés, clients principaux, clients dans le secteur de la santé, prestataires, etc.
Effectuer un premier tri
"Nous posons une dizaine de questions maximum. Une dernière consiste à s'assurer de leur capacité à répondre à notre besoin : pour cela nous leur expliquons nos attentes dans les grandes lignes et nous leur demandons de confirmer s'ils sont en mesure d'y répondre ou non. Cela peut passer par une demande de reformulation", ajoute Laure Berlandis. Ce questionnaire favorise un premier tri, puis un contact par téléphone permet de constituer une short list de fournisseurs potentiels auxquels sera adressée la RFP, après s'être assuré de la bonne santé financière du prestataire. " Cela permet de valider différents éléments afin d'envoyer nos appels d'offres uniquement à des sociétés avec lesquelles nous serons en mesure de travailler."
"Pour qu'une RFI soit réussie, préparer une liste préalable de fournisseurs est très important"
Julien Perinet, responsable achats de Poma
Chez Poma, entreprise française spécialisée dans le transport par câble, les RFI ne sont pas utilisées de manière systématique. "L'approche ne sera pas la même selon le marché et la catégorie d'achats. Dans certains cas, les acteurs sont connus et identifiés, alors que dans d'autres cas (savoir-faire plus spécifique ou marchés internationaux), une investigation plus poussée est souvent nécessaire. La RFI sera plutôt un prérequis dans le deuxième cas", indique Julien Perinet, responsable achats de Poma. Pour lui, le réel enjeu se situe avant la RFI, dans la phase de sélection des fournisseurs auxquels l'adresser, d'autant plus si des acteurs internationaux sont sollicités. "Pour trouver des fournisseurs, j'active mon réseau personnel, mon réseau au sein du groupe, etc. Les outils de sourcing du marché que j'ai eu l'occasion de tester ne me satisfont pas", rapporte Julien Périnet.
Établir une short list
Une étape à soigner selon le responsable achats de Poma : "Pour qu'une RFI soit réussie, la phase amont qui consiste à préparer une liste de fournisseurs est très importante. Il ne s'agit pas d'envoyer son questionnaire tous azimuts, cela ne sert à rien", juge-t-il.
Une fois cette difficulté passée, la démarche RFI est, pour le responsable achats de Poma, plutôt classique. "L'approche est toujours un peu la même. Nous adressons un questionnaire avec des questions générales sur les aspects financiers, organisationnels, sur le savoir-faire, la sécurité et la RSE et, selon les critères définis pour la prise de décision, nous ajoutons des questions au cas par cas", décrit Julien Périnet. Cela permet d'avoir différentes informations sur les fournisseurs identifiés, afin de les confronter et d'établir une short list. Souvent envoyée par e-mail à une population d'acteurs pouvant atteindre jusqu'à 10 sociétés, la RFI bénéficie généralement d'un taux de retour élevé. Les résultats sont ensuite consolidés de manière manuelle pour présélectionner collégialement avec le donneur d'ordre et la qualité les sociétés retenues. Une collaboration en interne qui permet d'être plus efficace dans la sélection des meilleurs fournisseurs.