La donnée du modèle économique : le nouvel "or noir" de la fonction achat
La donnée est aussi un vecteur de transformation des offres fournisseurs et devient une source de rentabilité via de nouveaux modèles économiques établis sur des services additionnels à valeur ajoutée.
Je m'abonneLa fonction achat, de par son positionnement, dispose d'un accès à de nombreuses données de différentes natures. La donnée a toujours été une préoccupation importante pour l'acheteur, son référentiel, sa fiabilité et son hétérogénéité ont toujours été une préoccupation et un défi. Ce dernier ayant très vite compris son importance pour le pilotage de son activité, et plus particulièrement dans la construction de ses stratégies. A ce titre, le digital contribue à apporter une réponse à cette problématique.
La donnée est aussi un vecteur de transformation des offres fournisseurs et devient une source de rentabilité via de nouveaux modèles économiques établis sur des services additionnels à valeur ajoutée. Nos usages se transforment et impactent les modes d'achats. De nouveaux services et modèles économiques apparaissent permettant ainsi de vendre de nouvelles offres, et dans certains cas, elle permet à l'entreprise de se maintenir sur ses marchés pour éviter de devenir une simple commodité et se retrouver "désintermédier".
C'est aussi une contrainte pour l'acheteur qui voit les offres se muer, il doit donc acheter différemment, intégrer des paramètres qu'il ne connaît pas et accompagner le changement de positionnement de certains fournisseurs. On n'achètera plus un produit mais une solution, qui saura intégrer des services additionnels (performance accentuée, maintenance prédictive, etc.). Les firmes vont donc modifier leur façon d'acheter, l'achat de prestations/services va poursuivre son essor dans les portefeuilles achats pour répondre à de nouveaux enjeux. La valeur apportée par le produit ou le service deviendra donc un critère de sélection significatif.
Les pressions sur les dépenses d'investissements (Capex) trouveront une réponse financière puisque la nature de la dépense se transformera de fait en dépense de fonctionnement (Opex) étant donné que le remplacement de l'achat d'un produit par un service transposera la nature comptable de l'achat en dépense de fonctionnement (Opex) et contribuera donc à réduire les budgets d'investissements.
La blockchain, l'internet des objets, la data science et l'IA : les nouvelles technologies du numérique vecteurs de mutation de la fonction achat
L'essor des nouvelles technologies apportent à la fonction achat de nouveaux champs d'application. Prenons la blockchain qui peut apporter un pilotage approfondi, fiable et intègre de l'historique des échanges tout au long du processus. Cette technologie offre plusieurs avantages : certifier les matières premières, suivre les étapes de production, fluidifier la chaine d'approvisionnement, gérer le cycle de vie du produit et son empreinte environnementale, tout en améliorant sensiblement la gestion des risques avec un accès rapide à des informations contrôlées et traçables, sources de compétitivité.
En ce qui concerne l'internet des objets, c'est un moyen de communication des produits entre eux et de collecte des informations nécessaires aux suivis des consommations, analyse des comportements utilisateurs, de définition de profils d'usages, de pilotage de la maintenance (prédictive et corrective), etc. Cela engendre une accélération des évolutions/amélioration des produits et/ou services et une diminution du délai de mise sur le marché.
Le concept de data science est souvent galvaudé et son interprétation peut être aléatoire. Essayons de circonscrire son domaine d'application, il regroupe plusieurs notions : l'apprentissage supervisé et non supervisé, l'analyse prédictive causale et l'analyse normative.
L'apprentissage supervisé et non supervisé dénommé aussi "machine learning", caractérise deux cas de figure : le premier, l'apprentissage supervisé qui fonctionne sur la base d'un modèle qui entraîne des jeux de données complets. Le second appelé apprentissage non supervisé pour lequel les paramètres nécessaires à la réalisation des prédictions ne sont pas accessibles, l'apprentissage est donc réalisé à partir d'un algorithme de regroupement ("clusterisation") de données hétérogènes ou par des caractéristiques communes. L'analyse prédictive causale, quant à elle, permet de prédire la probabilité d'occurrences d'un fait dans l'avenir. L'analyse normative ou analyse prédictive désigne la création d'un modèle prédictif dynamique, qui prévoit et propose des actions avec des résultats probables.
L'apport de ses nouvelles technologies occasionnera des bénéfices pour la fonction achat et pour l'entreprise : une accélération des évolutions produits et/ou services, une prédictibilité des besoins, un raccourcissement des circuits d'approvisionnement, une meilleure traçabilité des opérations, augmentant ainsi la performance opérationnelle et le chiffre d'affaires.
Lire la suite en page 2 de cet article: La donnée achat et son traitement : un relai de performance et de croissance pour la firme
La donnée achat et son traitement : un relai de performance et de croissance pour la firme
La donnée est aussi source d'efficacité et d'efficience dans le quotidien de l'acheteur. Elle lui permet de mieux fiabiliser ses analyses au travers de données plus justes, d'améliorer ses prévisions, de connaître, anticiper et influencer les marchés fournisseurs. En termes de gestion de risques, l'étude des données permettra une meilleure exhaustivité, fiabilité et une identification rapide des risques. En complément, l'analyse de la donnée permettra de caractériser des opportunités plus facilement et d'en améliorer son accessibilité.
Demain, avec l'intelligence artificielle, elle pourra traiter et agréger des sources de données inhomogènes issues d'environnements différents. Les apports seront multiples : meilleure connaissance des fournisseurs et de leurs marchés, prise en compte des attentes des clients, anticipation des évolutions et tendances, amélioration de la performance opérationnelle au travers d'une meilleure prédictibilité, automatisation des activités, aide à la décision dans la construction des stratégies achats, etc. Au travers du traitement de la donnée "achat", la fonction contribue au même titre que les autres à la stratégie "data" de l'entreprise, elle pourra ainsi participer à la création de valeur par la donnée.
Quant aux fournisseurs, le partage d'informations permettra d'accentuer, d'accélérer la coopération dans le cadre d'une démarche d'amélioration continues d'une supply chain 4.0. D'autre part, la mise en valeur de la donnée "achat" améliorera la performance de la supply chain de bout en bout et facilitera l'inclusion du fournisseur dans la chaîne de valeur de l'entreprise et la gestion des risques.
Les fournisseurs perçoivent de la même façon la valeur de leurs données alliées au développement d'offres additionnelles, et potentiellement de modifier le modèle économique de l'entreprise. Il est fort à penser qu'il deviendra un sujet de négociation en dehors du cadre légal de la RGPD. L'acheteur pourra à son tour identifier la valeur de la donnée, la monétiser et la vendre ou l'échanger avec ses fournisseurs pour améliorer sa performance mais aussi pour développer de nouvelles propositions de valeur.
Il existe déjà des plateformes d'échange et de vente de données. L'examen des données permettra donc d'anticiper, d'accélérer et de sécuriser la prise de décision. Le sujet de la propriété de la donnée et de son poids dans la chaîne de valeur du fournisseur, voire d'un écosystème sera un sujet de préoccupation majeur. Le processus de transformation par la donnée est donc complexe, mais reste un axe de performance et de création de valeur majeur pour la fonction achat, pour l'entreprise et ses parties prenantes.
Par Raphaël Belliere - Lottier (Docteur en Sciences de Gestion) directeur général adjoint en charge des achats, du digital et de l'innovation au sein du cabinet Meotec