[Tribune] Pourquoi les directions achat ne sont-elles pas encore au coeur de l'activité ?
Trois enjeux, critiques, auxquels les acheteurs doivent apporter des réponses, et qui peuvent tout aussi bien renforcer leur légitimité auprès des autres directions ou fortement affecter cette dernière: gestion de la conformité, intégration de l'"Advanced Analytics" et la relation fournisseurs.
Je m'abonneLes directions des achats possèdent ce paradoxe qu'elles se situent à la racine de l'activité des organisations, en achetant les biens et services qui leur permettront ensuite de fonctionner, et pourtant, elles apparaissent souvent (trop) éloignées de la définition même de la stratégie des entreprises, ne leur donnant plus la capacité, dès lors, de répondre au mieux aux besoins exprimés par les autres directions.
L'on pourrait d'ailleurs ajouter que ce paradoxe atteint son paroxysme alors que la visibilité de la direction des achats au sein des organisations et les gains importants en termes de maturité ont indéniablement rapproché les achats du niveau des CxOs. Et désormais, une grande majorité de ces directions est directement rattachée à ce niveau de hiérarchie.
Si l'on devait relier cette situation, qui cela dit n'est en aucun cas homogène, avec la réalité des directions des achats aujourd'hui, il en ressortirait trois thématiques. Trois enjeux, critiques, auxquels les acheteurs doivent apporter des réponses, et qui peuvent tout aussi bien renforcer leur légitimité auprès des autres directions ou fortement affecter cette dernière. Ainsi la gestion de la conformité, l'intégration de l'"Advanced Analytics", enfin le traitement de la relation avec les fournisseurs, sont les trois principaux sujets d'attention.
La gestion de la conformité
La gestion de la conformité est un enjeu essentiel pour les directions des achats, regardé de près par les directions générales, du fait de nombreuses pertes en route d'économies pourtant identifiées. Les obstacles à une gestion optimisée de la conformité portent aussi bien sur la définition de politiques cohérentes que sur le manque de collaboration entre business units. De plus, des ressources limitées empêchent un traitement efficace du problème.
C'est donc une problématique multidimensionnelle qui nécessite une prise de recul de la part des parties prenantes. Celles-ci doivent prendre le temps de définir correctement des politiques de conformité, expliquer les rôles et responsabilités de chacun, et transposer au sein des systèmes d'information les procédures de contrôle et de suivi associées.
L'utilisation du big data
L'utilisation du big data est le deuxième enjeu clé des directions des achats. La difficulté ici ne réside pas tant dans la collecte de données en tous genres puisque pour la plupart des directions des achats, elles savent et peuvent reconstituer l'ensemble des flux transactionnels au sein de l'organisation. Il s'agit plutôt de générer de la valeur à partir de cette collecte. Et c'est là que le bât blesse.
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Le manque de compétences techniques ou liées au métier même d'acheteur explique en grande partie l'impossibilité aujourd'hui, pour nombreuses de ces directions, de proposer une analyse à forte valeur ajoutée des achats réalisés par catégories, des processus trop coûteux, ou encore une gestion efficace du risque et de la conformité. L'absence de leadership, c'est-à-dire d'une vision claire et structurée sur les éléments nécessaires à cette pleine utilisation des données de l'entreprise, est également pointée du doigt.
La relation fournisseurs
Enfin, le dernier sujet traite de la relation avec les fournisseurs de l'organisation. Si la réduction des coûts demeure l'objectif principal qui est assigné aux directions des achats, celles-ci voient les économies créées grâce à des appels d'offres diminuer. Les acheteurs doivent à présent identifier de nouveaux leviers d'économies en les rendant durables. Le management de la relation fournisseurs est l'un de ces leviers.
Là encore, des points de fragilité touchent à cette gestion efficace et pertinente des fournisseurs. Le premier de ces points concerne un non-alignement des parties prenantes internes à l'organisation : ce qui est quand même révélateur d'un positionnement encore trop indéterminé de la direction des achats au sein des entreprises, qui ne parvient pas à proposer une voie unifiée et exhaustive afin de gérer ne seraient-ce que les principaux fournisseurs.
Le fait que les retours sur investissement ne sont pas identifiés empêche, également, une gestion stratégique des fournisseurs. Les centres d'intérêt des acheteurs sont pourtant sans appel, puisqu'ils traitent tous d'une communication renforcée, plus transparente, avec les fournisseurs. En somme, créer de véritables alliances stratégiques, sur le long terme, et non chercher uniquement et avant toutes autres choses un gain financier "court-termiste".
Il apparaît donc clairement que ces trois priorités, dont se sont emparées les directions des achats, participeront grandement à placer ou non les acheteurs là où ils sont censés être depuis le départ : au coeur de l'activité.
Par Luc Agopian, directeur associé en charge de l'offre performance achats chez Cap Gemini Consulting.
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