Digital, recrutement, relation fournisseurs... En 2030, les achats feront face à de nouveaux défis
A l'occasion des Universités des Achats organisées par le Conseil National des Achats (CNA), les différents directeurs achats présents ont réfléchi à l'avenir de leur profession : à quoi ressembleront les achats en 2030 ? quel sera leur rôle et quelles seront leur priorités ?
Je m'abonneLe 20 mai 2019, la profession s'est réunie à Issy-les-Moulineaux à l'occasion des Universités des Achats, organisées par le Conseil National des Achats (CNA). L'occasion pour les experts achats présents de se poser la question de l'avenir de leur profession : quels sujets seront prioritaires pour les directeurs achats en 2030 ?
Premier constat : le directeur des achats n'est définitivement plus le cost killer d'antan et devient de plus en plus un business partner. Les négociations laissent de plus en plus la place à la co-innovation avce les fournisseurs. Eric Elkouby, directeur spécialiste des achats chez Argon Consulting, pense que le directeur achats doit se positionner comme celui qui fait gagner du business en proposant des offres compétitives. Pas facile, selon Isabelle Quettier, directeur achats du groupe Suez, "la direction des achats est encore trop vue comme une fonction support", se désole-t-elle. Autrement dit, une fonction à la botte des prescripteurs... Et ce n'est pas le rôle que les directeurs achats veulent jouer!
A l'avenir, Isabelle Quettier estime que le directeur achats jouera la rôle de chef d'orchestre : "L'acheteur de demain devra connaître les tendances, le marché, discuter avec les experts techniques... afin de savoir quelles solutions imaginer pour demain", prédit-elle, soulignant la nécessité d'être agile afin d'interfacer beaucoup de fonctions.
Le digital apporte de l'espoir
Pour pouvoir endosser ce rôle de chef d'orchestre, le directeur des achats devra relever différents défis. En premier lieu duquel le digital. Selon Jan Christophe, CPO France d'Orange, les acheteurs se heurtent à des outils digitaux qui ne sont pas performants : ils doivent encore trop remplir manuellement des templates.
Les directions achats sont cependant nombreuses à être équipées d'un système d'information achats qui leur permet de créer de la valeur. "Au début, il y a eu les ERP qui, au lieu de résoudre nos problèmes, nous ont rendu esclaves des machines mais des outils plus agiles sont apparus et la blockchain devrait apporter des analyses plus fines", postule Isabelle Quettier, espérant que les outils permettront de dégager du temps sur les tâches à valeur ajoutée grâce à l'automatisation.
Elle souhaiterait également que les outils digitaux aident la direction achats à établir des prédictions. Le CPO France d'Orange espère que ces outils plus efficaces arriveront rapidement et pas dans quatre ans. Il regrette également que les outils les plus innovants ne soient pas consacrés aux achats mais à d'autres directions, comme le marketing. Les entreprises ont encore des difficultés à investir dans les fonctions dites support !
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Attirer les talents
Le directeur achats groupe de Suez est par ailleurs convaincue que, au-delà des outils, il faut simplifier les process afin de gagner en efficacité. "Il faut se demander de quelles informations nous avons réellement besoin, les outils doivent servir le business avant tout", insiste Isabelle Quettier. Elle plaide également pour plus d'autonomie, une plus grande capacité à décider et à prendre des risques. "Tout ne doit pas être validé par le contrôle de gestion", s'indigne-t-elle.
Cette question des process est d'autant plus importante qu'elle pourrait faire fuir les nouvelles générations tentée par les achats. "Cela n'a pas de sens d'embaucher des gens intelligents pour leur dire quoi faire. Je préfère embaucher des gens intelligents pour qu'ils nous disent quoi faire", rapporte Aurélie Lucas, EMEA Marketing Director de l'éditeur Ivalua, citant Steve Jobs. Isabelle Quettier approuve : "Nous ne recrutons pas des exécutants. Je fais tout pour créer un environnement qui donne une véritable autonomie à nos collaborateurs", indique-t-elle.
Il s'agit en effet de tout mettre en oeuvre pour attirer les talents. D'autant plus que les achats font face à un début de pénurie : Aurélie Lucas mentionne une étude de Robert Walters, qui observe une augmentation de 15% des offres liées aux profils de la supply chain et des achats entre 2017 et 2018 et une évolution de 10% du coût des acheteurs. "Des profils IT, notamment, sont activement recherchés", précise Aurélie Lucas.
Pour attirer les talents, le sujet des formations est clé. Chez Suez, de nombreuses formations courtes sont proposés afin de retravailler hard et soft skills et le parcours au sein de l'entreprise est activement travaillé. Un jeune apprenti présent rappelle aussi l'importance du bien-être au travail.
Un partenariat d'innovation avec les fournisseurs
Autre priorité qui se dessine dans le futur des acheteurs : la gestion de la relation avec les fournisseurs. "Le rapport de force n'est pas, comme le pensent souvent les commerciaux, uniquement en faveur de l'acheteur. Pour la simple et bonne raison que l'acheteur est parfois contraint d'acheter. De plus en plus, il s'agit de travailler sur l'attractivité de son entreprise afin de faire en sorte que les fournisseurs aient envie de travailler avec nous, notamment vis à vis des fournisseurs stratégiques", insiste Isabelle Quettier, soulignant que bâtir un business plan avec les fournisseurs fait désormais partie du quotidien des directions achats.
La relation avec les fournisseurs est de plus en plus un partenariat gagnant-gagnant dont le point d'orgue est la co-innovation. Chez Orange France, par exemple, la co-construction est au coeur de la relation entre les acheteurs et les fournisseurs. "Mon objectif est de discuter avec les fournisseurs sur d'autres sujets que la téléphonie afin de capter des initiatives et des bonnes pratiques", explique Jan Christophe. Chez Suez, une semaine dédiée à l'innovation est organisée chaque année afin d'étudier des projets d'innovation. "Ce genre d'événement est important pour consacrer du temps à l'innovation. Sinon, nous sommes happés par le quotidien et on ne s'y intéresse jamais", présage Isabelle Quettier.
Avec les fournisseurs, l'heure n'est donc plus aux négociations irréfléchies pour tirer les prix vers le bas quelles que soient les conséquences. Certains responsables achats présents dans l'assemblée ont même indiqué dire à leurs fournisseurs quand le prix proposé était trop bas : les directions achats veulent désormais des relations sur le long terme et de qualité plutôt que du court terme à bas prix.