Budget: mettez-vous la Daf dans la poche!
Élaborer son budget n'est pas chose aisée: il s'agit d'établir des scénarios, de tisser des hypothèses, de prendre en compte les risques, d'inclure l'ensemble des achats, de faire avec la volatilité... Et pourquoi ne pas collaborer avec la Daf? À condition de parler le même langage...
Je m'abonneNon, le directeur administratif et financier n'est pas un gardien du temple froid et distant qui surveille chaque dépense. Il est, surtout, un allié précieux de la direction des achats. Et notamment pour le budget, que ce soit pour son élaboration ou pour son suivi: sa vision à la fois transversale et de spécialiste peut être intéressante pour fiabiliser les budgets achats, mieux rendre compte de la performance de la direction achats mais aussi s'assurer que les points discutés sont bien suivis par les opérationnels.
Gestion des risques, meilleure compréhension de sa performance, meilleur suivi... la direction des achats a donc tout intérêt à ne pas gérer son budget seule dans son coin, mais à collaborer avec la direction financière.
Volatilité et coûts indirects
L'élaboration du budget met la direction des achats face à de nombreuses difficultés. La première: fiabiliser le budget. En effet, la direction achats doit émettre des hypothèses concernant les coûts non récurrents et la volatilité. Comment s'assurer que celles-ci n'auront pas un impact trop conséquent sur le budget? "Les données peuvent varier pour de nombreuses raisons: volatilité des marchés, des taux de change, structure de l'offre... Face à cela, la direction achats émet des hypothèses et peut commettre des erreurs", rapporte Serge Dautrif, CEO de Synapscore, société spécialisée dans l'intelligence collective.
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Autre point problématique: les achats indirects. Comme le relève l'étude prospective menée par Synapscore et le mastère spécialisé gestion des achats internationaux du groupe Essec - "Enjeux clés à l'interface achats et finance" -, si les gains sur les achats directs sont généralement traduits directement dans les budgets et apparaissent clairement sur le P&L (profit and loss, ou compte de résultat), les économies réalisées sur les achats indirects sont souvent réallouées dans l'enveloppe budgétaire. En effet, "le problème des achats est que leurs efforts sont difficiles à identifier: ils dépendent des consommations, de l'évolution des matières premières... Si bien que les gains n'apparaissent pas nécessairement dans le P&L", pointe Franck Le Tendre, directeur général de Synertrade, fournisseur de solutions d'achat pour les entreprises. Dans ces conditions, difficile de se rendre compte de la performance des achats sur l'année écoulée, donc d'établir un budget pour la suivante.
Enfin, le processus budgétaire en lui-même est épineux, pour les achats, dont les budgets arrivent, en général, bien trop tard.
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Fiabiliser le budget avec l'aide de la Daf
"Le budget part des opérations: les services commercial et marketing établissent un forecast, et c'est ensuite au tour de la production, puis des achats. La direction financière y ajoute des contraintes en fonction de la stratégie et chacun retravaille sa copie. Ce processus budgétaire, qui comporte plusieurs itérations, aboutit au fait que les budgets achats arrivent en général trop tard et que l'année débute sans référence réellement définie", déplore Serge Dautrif. Il en résulte qu'il n'est plus possible de négocier les meilleures conditions auprès des fournisseurs...
Ces problématiques budgétaires peuvent être solutionnées en collaborant avec la Daf. Concernant les hypothèses formulées face à la volatilité et aux coûts indirects, l'avis du directeur financier, qui a une bonne vision des risques, peut être très utile. "Il est important que les achats et la finance travaillent ensemble pour s'assurer que les tolérances prises sont les bonnes", pense Serge Dautrif. Chez Grimaud, spécialiste de la sélection génétique animale, une collaboration étroite entre le Daf et le directeur achats a été mise en place afin de faire face à la volatilité des prix des céréales.
Serge Dautrif insiste, par contre, sur le fait que cette collaboration doit se focaliser sur les sujets qui peuvent avoir un fort impact: "Le problème, c'est que les entreprises ont souvent une lecture à plat du budget et ne se concentrent pas sur les hypothèses clés: c'est le rôle des achats, d'attirer l'attention de la finance sur les sujets importants". La Daf peut aussi aider les achats à traduire leur performance financière dans les résultats financiers afin qu'ils élaborent mieux leur budget pour l'année suivante.
"La fonction finance a un rôle clé pour aider la fonction achats à définir des indicateurs de performance alignés sur les indicateurs de performance de ses clients internes. Ces derniers mesurent la qualité des services achats et leur contribution à la performance de l'entreprise", indique l'étude de Synapscore et de l'Essec. L'objectif est d'utiliser un référentiel de données commun aux achats et à la finance afin de traduire la performance achats (entre autres, la réduction des coûts) en performance financière EBIT (bénéfice avant intérêt et impôts) et EBITDA (bénéfice avant intérêt, impôts, dépréciation et amortissement). Car finance et achats ne parlent pas toujours le même langage: "La comptabilité lisse, fait des provisions... Un investissement est amorti sur quatre ans alors que, du côté des achats, on fonctionne sur une année", pointe Bruno Senico, acheteur chez Acticall, groupe spécialisé dans la relation client.
La façon d'aborder les investissements n'est donc pas la même d'une direction à l'autre. Ce qui n'est pas aisé, pour construire conjointement un budget... Finance et achats doivent donc apprendre à parler le même langage: au directeur achats de fournir au directeur financier les données nécessaires à la bonne compréhension de son budget. "La direction des achats doit donner à la Daf une visibilité sur le TCO (total cost of ownership, ou le coût total de détention). Il doit apporter des données suffisantes pour montrer qu'une innovation qui a des conséquences sur le budget en année 1 va réduire les coûts sur la durée", estime Franck Le Tendre. Le directeur achats doit aussi faire valoir l'importance de la qualité, qui peut avoir un impact positif sur les ventes.
De manière générale, les achats se font le relais du terrain et des demandes des opérationnels, apportent leur connaissance des fournisseurs, la stratégie d'achats qu'ils souhaitent déployer face à la Daf, qui est le garant de la stratégie de la direction générale, des attentes des investisseurs mais aussi de l'état de la trésorerie. "L'acheteur doit être très proche du terrain afin de comprendre pourquoi il y a un besoin. L'ensemble des éléments - besoin, impacts, coûts - doivent ensuite être remontés au Daf afin qu'il puisse statuer. Je joue un peu le rôle de contre-pouvoir", décrit Bruno Senico.
Élaborer le budget conjointement... et le piloter
La collaboration avec la Daf est donc souhaitable, voire nécessaire! Pour mieux appréhender les risques, rendre compte de la performance financière des achats, s'assurer de la bonne compréhension entre les deux directions... et aussi accélérer le budget achats. Mais comment mettre en place une collaboration efficace? Le mieux est de se réunir physiquement. Et ce, très régulièrement (au mieux tous les mois, au moins toutes les six semaines). C'est ce qu'avaient mis en place Luc Dessirier et Yann Coruble, alors qu'ils travaillaient au sein d'un grand groupe pharmaceutique, respectivement comme Daf et directeur des achats: lors de réunions mensuelles, les directions parlaient ensemble de tout ce qui modifiait de près ou de loin le fonctionnement de l'entreprise. "Le process budget s'appuyait sur ce fonctionnement: nous regardions tous ensemble les résultats obtenus et nous nous projetions pour atteindre les objectifs stratégiques", rapporte Luc Dessirier.
Ces réunions servaient à s'assurer, notamment, que tout était bien inclus dans le budget achats, comme les coûts indirects. De quoi fiabiliser le budget. "Les réunions mensuelles entre le contrôle de gestion et les achats permettent une réconciliation entre le P&L et le budget achats afin d'en comprendre les écarts mais aussi de s'assurer que les gains des achats apparaissent bien dans le P&L afin de bien calculer la performance des achats", insiste Franck Le Tendre. De quoi donner aux achats une vision claire et précise de leur budget: " Nous bénéficiions d'une vision de l'année et mois par mois: nous savions quels étaient nos projets, notre enveloppe budgétaire... ce qui offrait de la visibilité aux fournisseurs avec lesquels nous pouvions nouer des contrats-cadres et pas seulement des accords-cadres. Cela nous a aidés à négocier des conditions intéressantes", rapporte Yann Coruble. Fini les retards qui empêchent de négocier avec les fournisseurs dans de bonnes conditions !
Si ces réunions sont essentielles pour construire le budget, elles servent aussi à le suivre. "Le suivi mensuel permet de piloter: de s'assurer que les objectifs ont bien été atteints, de trouver des leviers pour rééquilibrer..., décrit Luc Dessirier. Bien souvent, ces leviers d'action partent des objectifs achats qui conditionnent de manière importante le bien économique d'ensemble. En effet, une avance ou un retard sur les achats est difficile à rééquilibrer. D'où l'importance des échanges entre les deux fonctions." Si la collaboration entre finance et achats est essentielle, le mieux est d'organiser une collaboration entre l'ensemble des directions. "Cela aide à construire le budget avec une meilleure connaissance collective et à prendre en compte l'évolution de différents facteurs qui viennent impacter ce budget: l'objectif est de définir une base et de la faire vivre", explique Serge Dautrif.
Ainsi, plus de budget trop strict qui enferme les directions dans des carcans et qui ne favorise pas l'innovation. Plus, non plus, de budget trop souple, élaboré pour la forme mais que personne ne respecte. Mais un budget qui donne de vraies lignes directrices et qu'on peut faire évoluer, collectivement, en cas de besoin. Un budget fiable et efficace: voilà ce à quoi aboutit la collaboration.
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Encore peu d'outils collaboratifs
Qui dit organisation collaborative dit outils pour bâtir cette collaboration. Car, comme le fait remarquer Patrice Pourchet, responsable pédagogique du mastère spécialisé gestion des achats internationaux de l'Essec, "la dimension managériale est la clé des compromis et des négociations qui doivent être menés pour élaborer un budget, mais des outils apportent de la visibilité". En effet, des outils performants fluidifient, notamment, le suivi de l'élaboration budgétaire et de la bonne tenue du budget déterminé. Or, aujourd'hui, Excel est encore trop souvent de mise pour élaborer et suivre son budget, même si des outils existent, comme celui de Synertrade qui émet, par exemple, des alertes si les clients internes passent par un autre fournisseur que ceux avec lesquels des prix ont été négociés. De quoi mieux maîtriser le budget achats.
Chez Acticall, à la suite d'une remise à plat de la politique achats, l'outil proposé par l'éditeur Determine a été choisi afin d'automatiser le processus achats et d'améliorer la visibilité du circuit d'achats pour l'ensemble des acteurs, ce qui a circonscrit les dérives. Mais, aujourd'hui, Bruno Senico souhaite trouver un outil qui marie l'ensemble des outils informatiques des différents services: "Les outils des achats, de la comptabilité, du Daf, du contrôle de gestion doivent pouvoir dialoguer. Afin d'apporter visibilité et contrôle aux différents interlocuteurs et ce, en temps réel, de manière automatisée et surtout collaborative".
Mais peu d'outils réellement collaboratifs existent sur le marché. Les éditeurs s'y mettent, flairant l'intérêt des utilisateurs. Chez Determine, un outil d'élaboration budgétaire trace qui fait quoi et quand mais donne aussi des échéances. "Quand c'est à leur tour d'intervenir, les personnes reçoivent une sollicitation par e-mail qui les renvoie vers l'application afin de modifier les montants", décrit Xavier-Pierre Bez, director value engineering and alliances chez Determine. Du côté du suivi, les clients internes sont responsabilisés: à chaque dépense, il est rappelé le budget alloué (budget qui peut être présenté de manière annuelle ou mensuelle, avec des différences possibles d'un mois à l'autre). Les grands éditeurs se sont également mis sur le créneau, intégrant des fonctions d'élaboration et de suivi budgétaire. Mais, "les outils qui existent sont assez peu collaboratifs, note Serge Dautrif. Nous nous attendons donc à voir émerger des outils collaboratifs qui simplifieront les échanges d'informations", comme il en existe déjà pour échanger des documents avec les fournisseurs et les clients externes. Un outil collaboratif en interne pour élaborer le budget verra sans doute le jour: l'aspect collaboratif dans l'élaboration et le suivi budgétaire est sans aucun doute en train de faire sa place au sein des entreprises.
Des réunions mensuelles chez Kerneos
Chez Kerneos, fabricant de produits de spécialités à base d'aluminates de calcium (chimie du bâtiment, réfractaire, génie civil, mines, tuyaux et réseaux d'assainissement), la collaboration entre les directions finance et achats n'est pas qu'une intention. Premier indice: les bureaux de Jean-Marc Novène, directeur général adjoint en charge des achats, de la supply chain et de l'IT, et de la directrice financière, Marielle Raulin-Foissac, sont côte à côte. Surtout, un contrôleur de gestion rattaché à la fois aux achats et au contrôle de gestion assure la réalisation et l'analyse des performances pour les deux directions, et son rôle est clé pour les réunions mensuelles rassemblant productions, achats, supply chain et finances, au cours desquelles elles échangent sur de nombreux sujets.
Une collaboration qui aide, notamment, à élaborer plus facilement le budget. "Chez Kerneos, l'élaboration budgétaire est de type "bottom up": on part des hypothèses locales, qui sont revues et challengées par chacune des directions et la consolidation et synthèse, responsabilité de la finance est présentée au Comex, raconte Céline de Bruijn, responsable du contrôle de gestion de Kerneos. Le travail se fait par grands postes du compte de résultat et du bilan: ventes, transports, frais variables, frais fixes, stocks, capex... Des spécialistes de chacun des postes apportent leurs données analysées et corrigées et la synthèse globale me revient. Je m'assure que les informations sont au bon endroit au bon moment", décrit Céline de Bruijn.
Un fonctionnement qui est possible grâce au contrôleur de gestion, lequel fait le lien entre les deux directions et prépare les données dans le cadre de l'élaboration budgétaire. Les réunions mensuelles sont, à ce titre, également indispensables. "Ces réunions, qui viennent compléter le processus sales & operations planning (S&OP ou plan industriel et commercial, qui coordonne achats, supply chain, ventes et finance - Ndlr), améliorent le pilotage", décrit Jean-Marc Novène. Lors des S&OP, chaque partie apporte son savoir-faire : volumes pour les équipes opérationnelles et valeurs pour les équipes financières. Des réunions qui peuvent parfois être animées, marquées par les désaccords, mais qui aboutissent, ensuite, à un consensus indiscutable. "Les réunions mensuelles sont l'occasion de vérifier les stocks, frais variables, prix, techniques... L'objectif est d'être sûrs que nous partageons tous bien les mêmes analyses", souligne Céline de Bruijn. Cela sert à bien préparer les prévisions de ventes et budget qui sont élaborées en trois temps avec une revue de la prévision de l'année en cours et le budget de l'année suivante définis au 3e trimestre et une revue de la prévision du budget au mois de février suivant.
Côté outils, Kerneos est en train de mettre en place un système informatique intégré. "Pour l'instant, les ventes réalisent leur budget, puis les transports, puis les achats, puis les frais variables, puis les frais fixes... Il faut donc attendre que les premiers aient fini pour poursuivre. Nous réfléchissons à adosser le processus budgétaire au processus sales & operations planning afin de travailler de manière plus collaborative entre les équipes finance et métiers", indique Jean-Marc Novène. "Cet outil sera la colonne vertébrale de données brutes partagées par tous les métiers dans lesquels on demandera à chaque acteur de faire leur budget en associant risques, stratégies opérationnelles...", se projette Céline de Bruijn. Car, aujourd'hui, Excel reste l'outil majoritaire de cette élaboration budgétaire; une solution plus intégrée sera un véritable atout.
Kerneos
Activité: fabrication de produits de spécialités à base d'aluminates de ca lc ium
Forme juridique: SA
Siège: Paris La Défense
Création: 1908
Président: Jean-Marc Bianchi
Effectifs: 1 500 collaborateurs
CA 2015: 420 M€
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