DossierLa gestion des risques dans la fonction achats
2 - Panorama des risques fournisseurs
La gestion des risques fournisseurs n'est pas encore optimale partout, mais certaines entreprises déploient des stratégies pour faire reculer la menace, optimiser leur process d'achat et sécuriser leur supply chain. Tour d'horizon des bonnes pratiques. [Article publié en juillet 2015]
La gestion des risques fournisseurs est devenue une priorité pour bon nombre de directeurs achats, notamment depuis la crise financière de 2008 qui a entraîné un certain nombre de faillites de fournisseurs de rang 1 et 2. Beaucoup de grands donneurs d'ordres ont donc pris conscience qu'ils étaient dépendants de la performance de leur panel et confrontés à un certain nombre de risques comme une dépendance trop forte des deux côtés, la défaillance d'un fournisseur-clé, le monopole d'un fournisseur sur son marché, les risques de rupture de la supply chain mais aussi des hausses des prix et/ou des matières premières, un risque d'incendie d'une usine ou bien encore une grève de transporteurs. La menace est protéiforme.
Si les directions achats ne peuvent prévoir l'imprévisible, elles doivent aujourd'hui être en mesure de réagir à l'imprévu, via la mise en place d'une solide méthode de gestion des risques liés à leurs fournisseurs et en déployant des scénarios de crise. Voici pour la théorie car, en pratique, la réalité est tout autre.
Selon les résultats du dernier Observatoire des achats, réalisé par BearingPoint en 2014, sur les 550 directeurs achats interrogés, la réduction des coûts était toujours la priorité numéro 1 pour 71 % d'entre eux. Quant au développement de la relation fournisseurs, il arrivait en deuxième position. "Si toutes les entreprises réalisent aujourd'hui des audits, on peut se demander si c'est suffisant pour se prémunir du risque fournisseurs", estime ainsi Claire Etcheverry, responsable de la pratice achats chez BearingPoint. Dépasser l'approche cost-killing pour apporter de la valeur en limitant notamment les risques fournisseurs est donc devenu un véritable enjeu.
Sécuriser sa supply chain
Si les risques de rupture d'approvisionnement n'ont rien de nouveau, les récentes catastrophes naturelles au Japon (tsunami de 2011) ou plus récemment en Thaïlande (inondations de 2014), ont mis en lumière la vulnérabilité de ces chaînes d'approvisionnement qui s'avèrent plus en plus complexes et étendues. "Ces événements ont montré l'obligation de maîtriser ses fournisseurs de rang 2", explique Sophie Mauvieux, risk manager & assurances de Gémalto, leader mondial de la sécurité numérique.
L'Initiative Clause Sociale, créée en 1998 sous l'égide de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, compte aujourd'hui 20 enseignes membres actifs qui représentent 200 milliards de dollars (Carrefour en est un des principaux contributeurs). Objectif: agir ensemble pour "améliorer durablement les conditions de l'homme au travail et accompagner de manière responsable les fournisseurs, afin de les rendre acteurs de leur démarche de progrès".
Menée dans le cadre fixé par l'Organisation internationale du travail (OIT) et dans le respect, et l'intégration des principes universels des droits de l'homme et de la réglementation sociale locale, cette démarche conduit les entreprises du commerce et de la distribution à aller vérifier la réalité des conditions des salariés au travail sur les sites de production, par la mise en oeuvre d'audits sociaux et des plans d'action correctif qui en découlent. "Dans l'alimentaire par exemple, il devient de plus en plus important pour les entreprises de s'inscrire dans une démarche sur le long terme, confie Claire Etcheverry. Pour éviter que les fermiers n'aient une approche opportuniste du business, les entreprises privilégient d'autres modes de collaboration: l'intégration verticale via notamment l'achat de parcelles, la fixation de prix garantis pendant plusieurs années..."
En matière de risque environnemental et en raison de l'apparition de nouvelles normes, la formalisation des risques s'est améliorée. Chez Sagemcom par exemple, groupe électronique français, ce risque est géré depuis longtemps. "Nous devons être conformes à des réglementations strictes notamment en Europe avec, notamment, la directive RoHS sur l'utilisation de substances dangereuses ou la D3e relative à la gestion des déchets d'équipements électriques et électroniques. C'est devenu culturel", explique Jean-Claude Barberan, le directeur achat de Sagemcom.
Au niveau éthique et environnemental, Sagemcom a adhéré en 2011 au Pacte mondial par lequel l'entreprise s'engage à aligner ses opérations et stratégies sur dix principes universellement acceptés touchant les droits de l'homme, les normes du travail, l'environnement et la lutte contre la corruption. "Nous pouvons travailler avec des fournisseurs situés sur des zones considérées comme à risques (comme l'Asie par exemple) et notre démarche est structurée avec des audits de certifications, de suivi d'avancement et de progrès... En matière de risque éthique et environnemental, nous avons une forte pression de nos clients qui sont des grands opérateurs de télécoms et nous travaillons de concert avec eux pour que les résultats soient transparents", ajoute Jean-Claude Barberan.
Codévelopper et co-innover
La stratégie achats peut aussi se mettre au service du développement commercial et/ou miser sur une démarche de codéveloppement et co-innovation des fournisseurs pour les accompagner et les aider à grandir. Car dans un contexte économique encore très contraint, les grands donneurs d'ordres ont accru leur vigilance notamment lors du choix de nouveaux fournisseurs, en écartant d'office ceux jugés "à risques". Les grilles de sélection fournisseurs laissent ainsi souvent sur le carreau des pépites innovantes. Pourtant, certains se lancent et prennent le risque avec, à la clé, une technologie leur offrant un avantage concurrentiel non négligeable sur leur marché. C'est le cas notamment de PSA qui a intégré en janvier dernier, la start-up Vidéometric, qui fournit des solutions 3D, dans son panel fournisseurs.
"La question de la taille n'est pas un problème en soi, estime Guillaume Gautier de BravoSolution. Si un fournisseur a le bon produit ou est en capacité d'avoir le bon produit, les entreprises sont prêtes à investir pour faire du développement fournisseurs. A contrario, s'ils se rendent compte que la structure est vieillissante, que le management est daté et qu'il n'y a pas de relève qui se dessine, alors ils ne prendront pas le risque."
Une fois installée et déployée, la gestion des risques fournisseurs doit grandir en interne et innerver les autres services de l'entreprise. "Dans une entreprise peu mature, observe Guillaume Gautier de BravoSolution, on va voir les achats autour de la table. Dans une entreprise très mature, on va avoir également les services qualité, les opérationnels et plusieurs autres métiers." Les entreprises les plus matures, explique Claire Etcheverry sont "celles qui évaluent les acheteurs en priorité sur la valeur qu'ils apportent, sur la satisfaction de leurs partenaires internes et non sur la réduction des coûts."