L'achat responsable comme objectif de performance
En matière de RSE, le secteur public montre une réelle volonté d'agir à travers les politiques d'achats mises en place. Si tous les acteurs n'en sont pas au même niveau de maturité, plusieurs grands donneurs d'ordre publics déploient des stratégies précises autant que complètes.
Je m'abonneSur les problématiques RSE, le secteur public n'est pas à la traîne et les pratiques achats responsable s'étoffent. En tous cas pour les directions achats qui gèrent un portefeuille conséquent. Car pour aller sur ces sujets, il est nécessaire d'avoir un certain volume d'achats. Dans le privé par exemple, cela concerne essentiellement les entreprises qui ont un volume d'achats annuel de plus de 100 millions d'euros. Rien d'étonnant donc que dans le secteur public, les entités qui pratiquent l'achat responsable soient des grandes villes, des régions, des centrales d'achats ou encore des groupements hospitaliers. Mais nous verrons qu'en matière de démarche RSE, il est possible d'agir sur plusieurs plans et à des niveaux différents. Il ne suffit pas par exemple de mettre des critères RSE dans un appel d'offres pour faire de l'achat responsable, même si c'est un moyen d'y parvenir. La force du public : la volontéConcernant la RSE, la plus grande force du public est son pouvoir incitatif en tant que donneur d'ordres de poids pour les opérateurs économiques. La volonté du dirigeant est le principal moteur des démarches RSE: si l'impulsion ne vient pas de tout en haut, les initiatives ne se développent pas. Dans le public, c'est l'exécutif qui donne l'impulsion. Et en matière de RSE, la volonté politique est forte, créant un terrain propice au développement de démarches RSE et de stratégies d'achat responsable. Pour les directions des achats publics qui gèrent un portefeuille de taille suffisante, c'est l'occasion de traduire une intention en plan d'action concret. "Les services de la région sont co-construits avec les territoires, les acteurs économiques et les utilisateurs finaux" - Marc Sauvage, Dga achats, performance, commande publique, juridique et transformation numérique de la région Île-de-France "En raison d'une volonté politique très forte de la région Île-de-France, nous avons l'impérieuse nécessité de démontrer en factualisant à travers des chiffres, allant de la définition du projet jusqu'au suivi d'exécution du marché avec des indicateurs précis", explique Marc Sauvage, Dga achats, performance, commande publique, juridique et transformation numérique de la région Île-de-France, qui s'appuie sur Charles- é douard Escurat, directeur des achats, et Gwennaëlle Costa Le Vaillant, directrice données numériques et smart région. "Il n'est pas simple de savoir jusqu'où aller tant certains critères sont difficiles à relier à un marché" - Stéphanie Dinter-Crocq, key account manager chez EcoVadis Les régions en effet sont particulièrement avancées sur ces thématiques et plusieurs ont mis en place une démarche d'achat responsable complète. C'est le cas de la région Île-de-France, mais aussi de la région Centre-Val-de-Loire où Fabrice Picardi, son directeur des achats, est en plein déploiement d'un programme d'achats responsables prévu sur quatre ans. "Nous sommes aujourd'hui à mi-échéance et nous avons une vingtaine de chantiers ouverts avec des indicateurs RSE précis, explique-t-il. Nous entrons dans la phase critique du pilotage." Le projet a été travaillé sous quatre axes avec les équipes des achats: l'amélioration de la planification en amont de l'activité, le développement d'une méthodologie d'achat en coûts complets basée sur le cycle de vie du produit, la définition des besoins fonctionnels dans une logique d'éco-conception et la création d'une base qualitative des fournisseurs, notamment stratégiques et leaders en RSE. Lire la suite en page 2: Des leviers identifiés |
Des leviers identifiés
D'un point de vue technique sur les achats, de grands acteurs publics, à l'instar de la région Centre-Val-de-Loire, de la région Île-de-France et de l'UGAP, ont activé dans leurs marchés tout ce qui pouvait l'être afin de les rendre accessibles aux entreprises locales et/ou leaders sur la RSE. "En effet, la réglementation de la commande publique ne nous empêche nullement de tout faire pour ouvrir nos marchés et de les rendre accessibles aux PME", précise Lionel Ferraris, directeur adjoint aux politiques publiques et à l'innovation au sein de l'UGAP. Et cela passe par le recours à l'allotissement, la mise en place de variantes et de critères RSE dans les offres, la baisse des exigences minimales, le respect des délais de paiement ou encore l'anticipation des marchés. Ainsi, parmi les initiatives de la région Centre-Val-de-Loire, citons l'insertion systématique de clauses sociales dans tous les contrats de marché de travaux, la mise en place d'un contrat de construction durable et un travail autour de la norme E+C- pour les bâtiments. "Nous utilisons également des variantes écoresponsables chaque fois que c'est possible, et menons une veille active des acteurs de l'ESS. Ce qui, lié à une meilleure anticipation de nos marchés, nous a permis d'identifier trois nouveaux marchés majeurs du secteur adapté et protégé", illustre Fabrice Picardi. A la direction des achats d'Île-de-France aussi la RSE transparaît dans toutes les étapes du cycle d'achat, de l'initialisation de la commande, en interrogeant l'objet même de celle-ci, jusqu'au déploiement de l'achat.
D'une manière générale, le recours aux clauses à valeur environnementale ou sociale et la mise en place de critères RSE se systématisent. Attention toutefois à bien lier le critère RSE avec l'objet du marché. "A l'UGAP, notre ligne de conduite est d'arriver à insérer ce type de clause en phase avec la maturité du marché car c'est un bon moyen de stimuler les entreprises sur ces problématiques, explique Lionel Ferraris. Sur les marchés où il y a une forte intensité de main d'oeuvre, nous privilégierons la clause sociale, alors que sur un marché de fournitures, la clause environnementale primera. De plus en plus de marchés, comme les marchés de nettoyage, permettent de lier social et environnemental." Centrale d'achats généraliste, l'UGAP ne gère pas de marché de travaux ni de marché de restauration collective, deux vecteurs importants des démarches responsables des politiques publiques. Toutefois, cela n'empêche pas la centrale d'achat de promouvoir l'achat responsable. A l'heure actuelle, 50 % des marchés gérés par l'UGAP intègrent au moins un aspect de développement durable. D'ici trois ans, ce taux devrait grimper à 80 %. Avec la volonté d'être proactif en matière d'économie circulaire, l'UGAP propose un éventail large qui va des marchés de fournitures reconditionnées à une offre de financement locatif, et même pour 2020 une offre de traitement des déchets innovante avec un robot collecteur de déchets flottants et d'hydrocarbures.
Développer une culture d'achat responsable
Mais parce qu'une démarche responsable doit être appliquée avant tout à soi-même, une démarche RSE implique le développement d'une culture d'achat responsable pour créer de nouveaux réflexes d'achat. Fabrice Picardi et ses équipes s'attachent ainsi à installer cette culture à travers une méthodologie d'achat et des outils pratiques. Une charte interne d'achat public responsable a été créée, de même que des fiches méthodologiques avec l'intégralité de la dimension sociale à intégrer dans les marchés, ou encore l'utilisation de la règle des 5R (refuser, réduire, réutiliser, recycler, repenser l'utilisation) systématique avant toute demande d'achat. De son côté, la région Île-de-France n'est pas en reste. Depuis 2017, elle s'est dotée d'un Small Business Act pour faciliter l'accès des TPE-PME à ses marchés. "88 % de nos fournisseurs sont des TPE-PME et nous sommes signataires de la charte Relations fournisseurs et Achats responsables avec un objectif de labellisation pour 2020", confie Marc Sauvage.
Pour sa part déjà labellisée "Relations fournisseurs et Achats responsables", l'UGAP est tenue de suivre un plan d'action sur trois ans et est auditée chaque année. "Nous visons notamment à augmenter le nombre de marchés réservés, d'insertion ou au secteur du handicap. Nous travaillons également à développer les logiques d'achat en coûts complets, bien connues des acheteurs publics mais dont la mise en oeuvre concrète reste complexe au regard des contraintes budgétaires", souligne Lionel Ferraris.
Car avoir une démarche d'achat responsable c'est aussi agir sur l'écosystème des achats. En travaillant l'information et l'accompagnement des acteurs économiques et en étant à l'écoute des entreprises qui innovent sur ces problématiques. "Nous avons développé, en partenariat avec l'Afnor, un programme d'accompagnement des entreprises du territoire Centre-Val-de-Loire, illustre Fabrice Picardi. à travers le GIP Dev'Up, les entreprises peuvent bénéficier d'un accompagnement dans leur parcours RSE, jusqu'à la définition d'un plan d'action en vue d'une certification par exemple." à la région Île-de-France, la démarche RSE, étroitement liée à la démarche Smart a fait l'objet d'une implication de l'ensemble des acteurs jusqu'au citoyen : "Les services de la région sont co-construits avec les territoires, les acteurs économiques et les utilisateurs finaux", souligne Marc Sauvage.
Boucler la boucle avec des KPI
Pour que le processus RSE soit complet, après avoir identifié les leviers, mis les bons outils en place et créer une culture pour fertiliser l'ensemble, il convient d'en effectuer le suivi précis avec des indicateurs. A la région Île-de-France particulièrement, la culture du contrôle de gestion imprègne tous les services en interne. "Nous avons des KPI environnementaux et sociaux précis afin de contrôler le ROI de toutes nos actions RSE. Le suivi des indicateurs est présenté deux fois par an avec mesure de l'impact, nous taguons nos fournisseurs pour améliorer le suivi, et nous avons dédié une personne au sourcing pour agir en tant que facilitateur dans les relations opérateurs économiques et acheteurs", énumère Marc Sauvage. Se mettre en capacité de démontrer par des données chiffrées tangibles les actions menées sur les achats donne corps à toute la démarche.
Focus - Jusqu'où aller sur les critères RSE?
En termes de démarche RSE, les objectifs nationaux donnés à la commande publique sont un taux de 25% de causes à vocation sociale, ce qui comprend les clauses d'insertion, et 30% à vocation environnementale. Pour atteindre ces objectifs, les directions des achats ont de plus en plus facilement recours à des critères RSE plus ou moins fortement pondérés. Mais attention à ne pas avoir la main trop lourde. "Nous sommes dans une zone grise où les acheteurs publics ont peu de repères", estime Stéphanie Dinter-Crocq, ancienne acheteuse aujourd'hui key account manager chez EcoVadis, organisme d'audit et de notation extra-financière. Si mettre des critères RSE dans les appels d'offre publics ne pose pas de problème, en faire un critère de sélection s'entoure de précautions. "Comme le démontre le cas de la ville de Nantes qui a été retoquée par le Conseil d'État pour avoir utilisé un critère social relatif à la politique générale de l'entreprise et non directement lié à l'objet du marché", détaille Nicolas Dussert, directeur des ventes Europe du sud chez EcoVadis.
Depuis 2018, un acheteur public a la possibilité de demander des détails sur la politique RSE d'une entreprise mais cela ne doit pas être discriminant au moment de la sélection, si l'objet ou les conditions d'exécution du marché ne sont pas directement liés. "Il n'est pas simple de savoir jusqu'où aller tant certains critères sont difficiles à relier à un marché. Par exemple, s'il est possible de relier l'émission de CO2 à un achat de ramette de papier, il est beaucoup plus hasardeux, voire impossible, de lier un critère de corruption qui, lui, sera vraiment lié à la stratégie globale de l'entreprise plus qu'au marché", explique Stéphanie Dinter-Corcq. L'experte en viendrait presque à souhaiter plus de jurisprudence en la matière pour servir de guide aux acheteurs publics et leur permettre des actions plus concrètes. L'autre difficulté en introduisant trop de critères RSE serait d'être si exigeant qu'on n'obtienne pas de réponse à l'appel d'offre. Un trop faible nombre de participants peut annuler la démarche. Une démarche longue et coûteuse. Mieux vaut donc éviter de pêcher par excès et cibler l'exigence.
RSE et smart cities, quand deux gros chantiers se rejoignent
Pour faire mouche, il faut oser mutualiser les projets. Qu'est-ce qu'une ville intelligente, si ce n'est une ville qui améliore la vie des citadins, tout en faisant appel à une gestion plus efficace des territoires ? En d'autres termes, il s'agit en théorie d'utiliser la technologie pour amoindrir au maximum l'impact de l'homme sur l'environnement. "Un projet smart est souvent technologique mais aussi sociétal et environnemental", estime Lionel Ferraris, directeur des politiques publiques et de l'innovation à l'UGAP. Pour Pierre Nguyen, expert technique en innovation en charge des projets de territoires intelligents au sein de l'UGAP, c'est en conjuguant RSE et smart cities que l'on peut réconcilier les objectifs liés aux contraintes budgétaires avec les problématiques d'efficience des achats et d'impact environnemental. "Sur les projets de smart cities, la notion de retour sur investissement est importante et sert régulièrement de déclencheur au déploiement. Bien souvent, les premiers chantiers portent sur l'éclairage public car l'énergie représente le deuxième poste de dépense des collectivités. De plus, les économies sont telles qu'elles permettent de financer d'autres projets smart. Pour les acheteurs, c'est donc un puissant levier."
La région Île-de-France l'a bien compris et n'a pas hésité à lier les enjeux smart et les enjeux RSE. Marc Sauvage en est convaincu: "Dès le début du projet de développement de la plateforme Île-de-France smart services, nous avons eu une vision transversale avec un objectif de cross fertilisation. Le projet en lui-même est le fruit d'un dialogue compétitif qui incluait un volet RSE dont l'objectif de base était que le groupement qui développerait la plateforme le fasse en ayant le moins d'impact possible, que ce soit dans le choix des infrastructures de base jusqu'aux services délivrés", indique-t-elle. La région a ainsi fait le choix d'aller vers des développements technologiques écologiquement responsables. Parce que in fine la cible visée est bien la sobriété dans la consommation.