[Tribune] Leadership achats... mais de quelle vision parle-t-on?
Développer son leadership achats, c'est avant tout avoir la capacité à construire une vision qui comporte à la fois cette dose de "folie", amenant son entourage à rêver, à avoir envie de se projeter, mais qui intègre également des éléments de rationalité pour lever les résistances au changement.
Je m'abonneNotre revue publiait en février de cette année un avis d'expert de Dominique Rondot traitant du Leadership dans les achats. Un thème qui mérite d'être développé. Aussi, nous proposons ce mois-ci le premier article d'une série qui y est consacrée.
Pour commencer, qui dit "leadership", dit "vision". Mais de quelle vision s'agit-il dans les achats ?
Développer son leadership c'est tout d'abord avoir une vision. C'est le socle fondateur qui va servir de base dans la communication. C'est le "I have a dream" de Martin Luther King. Toutes les approches traitant du leadership s'accordent : la vision constitue le point de départ. En congruence avec la stratégie de son entreprise, le (la) directeur (trice) achats développe une vision pour la fonction achats. Cette vision servira de guide, de référent à l'ensemble de ses collaborateurs. Elle doit être suffisamment attrayante, pour développer l'adhésion de l'ensemble des steakeholders, elle doit s'inspirer de valeurs partagées et s'adresser non seulement au "rationnel" mais également à "l'émotionnel".
Mais qu'en est-il de la vision du manager achats ou de l'acheteur ? Doit-il également avoir une vision sur l'avenir de sa direction achats qui constituerait en quelque sorte "un doublon" de celle du CPO ? Absolument pas. La vision de l'acheteur concerne le projet ou la partie du projet pour lequel il doit développer son leadership. Elle doit être cohérente avec les valeurs et principes constitutifs de la stratégie achats. Prenons en exemple la stratégie achats du Groupe Rocher. La RSE est au coeur de celle-ci. Lorsque l'acheteur packaging élabore sa vision (pour sa famille) d'un projet de re-design to cost, il devra forcément intégrer la dimension RSE comme élément clef. Lorsque l'acheteur matière première élabore sa vision pour un projet de sécurisation du sourcing sur la noix de macadamia, par exemple, la RSE doit également nourrir sa réflexion (notons que le Groupe Rocher a remporté le Trophée Achats Or dans la catégorie RSE sur les filières végétales !)
Lire aussi : Vendor Management System vs e-procurement : le match des solutions d'achats de prestations intellectuelles
C'est de cette vision du manager achat, de l'acheteur dont il est question dans cet article. Développer cette vision donne toute sa puissance au leadership achats. Cela constitue en fait la première des 6 composantes du leadership.
Les 6 composantes majeures du Leadership... de la création de la vision à l'aboutissement du projet
Avoir une vision - Développer son leadership c'est tout d'abord avoir une vision, c'est le socle fondateur qui va servir de base dans tout projet.
Faire adhérer - Une fois la vision définie, il s'agit de la communiquer auprès des personnes concernées pour les faire adhérer à celle-ci. C'est souvent le côté "charisme" du leadership qui est ici mis en avant. Dans notre approche, nous l'appelons "développement de l'adhésion"
Mettre en oeuvre la vision - Communiquer de façon motivante sur une vision stimulante n'est pas tout, il s'agit ensuite de mettre en marche, en mouvement l'ensemble des parties prenantes que l'on souhaite fédérer dans la direction souhaitée. Il peut s'agir d'acteurs en interne (R&D, production, marketing, contrôle de gestion...) et d'acteurs chez le fournisseur. Les personnes doivent passer du stade de l'envie à celui de l'action.
Suivre les opérations - Cette fonction de suivi comme nous l'appelons fait appel à d'autres compétences qui sont indispensables pour éviter tout dérapage et s'assurer que les personnes vont bien dans le sens et dans le timing de la vision à laquelle ils ont adhéré.
Obtenir des résultats - Cette dimension du leadership n'est pas chronologique comparée aux précédentes composantes, elle se place plus en position "meta". Elle est relative à la capacité à "assumer" son rôle de leadership et à mettre la juste pression sur les résultats de façon assertive.
Lire la suite en page 2 : Fonctionnement en équipe
Fonctionnement en équipe
Ici encore, cette composante est en position meta. Elle met aussi bien en avant la capacité à respecter ou challenger la hiérarchie, que la capacité à s'intégrer harmonieuse au sein d'une équipe. Le leadership chez les acheteurs ou managers... mais de quelle vision s'agit-il ? Lorsque l'on demande à un manager ou à un acheteur de construire une vision, il s'agit de sa vision par rapport à un projet qu'il doit conduire et qui doit s'inscrire dans une dynamique de changement. Ainsi, cette vision s'inscrit directement dans la droite ligne de la stratégie élaborée par la direction des achats. Mais, elle doit aussi être une peinture claire et stimulante du futur. Elle doit être suffisamment attrayante pour permettre aux acteurs, qui vont prendre part à ce projet, de dépasser leurs inquiétudes pour s'inscrire dans la dynamique du projet.
Pourquoi cette inquiétude ? Car l'essence même d'un projet achats, c'est d'aller vers quelque chose de nouveau donc recelant une part d'inconnu.
Et l'inquiétude ou la peur est l'émotion clef attachée à l'inconnu. Tout projet de changement, qu'il soit organisationnel, technologique ou bien encore personnel doit faire face à de la résistance liée à cette inquiétude. Plus la vision du projet sera stimulante, plus ses "bénéfices" sembleront intéressants, moins l'inquiétude sera un frein à son adhésion. C'est donc la vision, ce socle du leadership qui va permettre de faire adhérer les différentes parties prenantes qu'ils soient collègues des achats, prescripteurs ou bien encore fournisseurs. Dans le cadre d'une montée en puissance ou en compétences de l'acheteur, du manager achats, il est indispensable de déterminer comment il doit construit sa vision. Plus précisément, quelles sont les qualités ou comportements que l'on attend de lui dans la construction de cette vision. Dans l'approche Leadership achats by C3S Consulting, ces comportements ou qualité sont déclinés en critères mesurables. Doit-il par exemple développer une vision disruptive pour un projet, ou doit-il, au contraire, s'appuyer fortement sur l'historique, sur ce qui a déjà été développé ? En fonction de la stratégie achats et du niveau de maturité des achats, le critère "innovateur" devra plus ou moins être développé.
De la même façon, le critère "technicien" devra être adapté : l'acheteur devra-t-il faire preuve d'un niveau d'expertise technique élevé l'amenant à analyser le sujet en profondeur ou devra-t-il privilégier une approche plus globale et moins technique? Un autre critère à considérer est le critère "individuel". L'acheteur ou le manager doit-il plutôt prendre des décisions seul, se positionner comme quelqu'un sûr de soi ou bien doit il beaucoup plus favoriser les idées des autres, être particulièrement flexible ?
La prise en compte de la culture de l'entreprise va conditionner la façon dont ce critère doit être pris en compte. Au total ce sont 22 critères qui devront être pris en compte et sur lesquels il conviendra de développer les compétences, les comportements des acheteurs. La nature humaine étant par définition "complexe", il convient de ne pas considérer ces critères comme antagonistes, la capacité à être "innovateur" ne s'opposant pas à celle de "conservateur". Par exemple, il peut être attendu de l'acheteur ou du manager qu'il soit à l'aise avec une situation de changement (critère innovateur), qu'il utilise son expérience pour vérifier ou analyser une idée avant de prendre des décisions (critère conservateur) mais qu'il ne soit pas "dominé" par cette expérience. En d'autres mots, il doit être "agile".
Et pour conclure...
Développer son leadership pour un acheteur ou pour un manager achats, c'est avant tout avoir la capacité à construire une vision qui comporte à la fois cette dose de "folie", amenant son entourage à rêver, à avoir envie de se projeter, mais qui intègre également des éléments de rationalité pour lever les résistances au changement. Savoir "positionner le curseur" entre ces deux éléments fait appel à des qualités et compétences identifiables. Ces qualités et ces compétences s'acquièrent et se développent. Le leadership n'est pas inné, il s'apprend !
Par Dominique Rondot, dirigeant du cabinet C3S Consulting, spécialisé dans les soft skills et le développement de la performance achat. Dominique Rondot est responsable du module "soft skills et créativité" proposé au sein du master DESMA (IAE de Grenoble). Créateur de la négociation co-créative et auteur de l'ouvrage "négocier avec la Process Com - La négociation co-créative / Dunod / 2016 -Il a développé une approche innovante (Leadership Achats by C3S Consulting) du Leadership que l'on peut retrouver sur le site dédié.
Lire les articles de Dominique Rondot:
La négociation co-créative, une nouvelle voie pour renouer avec la performance achats