Digitalisation : quel avenir pour le métier d'acheteur?
Marketplace, IA, robotisation, machine learning, RPA, ... Quels sont les impacts de la digitalisation sur la fonction achat ? Comment le métier évolue-t-il? C'est sur ce thème que huit des dix candidats en lice pour le Trophée du Décideur Achats 2020 ont récemment débattu.
Je m'abonneLe phénomène de la digitalisation imprègne toutes les strates de l'entreprise et les services achats ne sont pas épargnés. "Nous devons d'abord nous poser la question : pourquoi digitalise-t-on, est-ce un but ou un moyen?", a insisté Christophe Jan, directeur achats de Orange. "C'est un outil qui donne la possibilité d'aller plus vite, qui permet la substitution de capital / travail et offre l'opportunité de réallouer des ressources sur certains postes mais aussi d'éviter des erreurs humaines grâce à la machine". Ainsi, chez Orange, en 2012, les back-office achats ont été divisé par 5 entre 2012 et 2019 et ne seront probablement plus constitués que d'une dizaine de personnes en 2022, selon le directeur achats.
Redonner de la valeur ajoutée au métier achat
De même, chez Nokia, la digitalisation a été initialement perçue comme une opportunité pour implémenter les synergies résultant des fusions et acquisitions, donc réduire le coût de la fonction achats."Nous avons pris pour objectif de réduire de 40% le coût de la fonction. Mais cet objectif prioritaire d'amélioration de l'efficience aurait pu se traduire rapidement par une perte d'efficacité (résultats achats). Nous avons corrigé le tir en repensant la digitalisation au service de la mission, des objectifs des achats (création de valeur) et des métiers clés requis", a expliqué Denis Laxague, vice-président achats au sein de la division Réseaux Fixes de Nokia. Mais de l'avis de tous, la digitalisation sert avant tout à recentrer l'acheteur sur son coeur de métier et les tâches à forte valeur ajoutée.
Ces projets de digitalisation prennent la forme d'outils d'automatisation et de RPA dans les activités de passation de commande, de choix des fournisseurs, la mise en place de marketplaces pour autonomiser les donneurs d'ordre, d'IA, de machine learning,.... Chez Alstom, la digitalisation est aussi "un moyen extrêmement important pour le travail collaboratif des acheteurs qui travaillent sur un même sujet par entité géographique", a estimé Christophe Gourlay, CPO d'Alstom. Elle requiert alors de "l'agilité dans nos process achats", a commenté David Lapitz, directeur achats du Club Med : "elle entraîne la nécessité de compléter nos processus traditionnels achats (process d'appel d'offre classique) par des process type POC ... une manière pour les directions achats de continuer a faire leur travail de management des risques et négociations en répondant aux méthodes "Test and deploy" de plus en plus utilisées par les direction marketing et digitales des entreprises. Ce besoin de réactivité de la part des des achats est une des conséquences indirectes de la digitalisation (innovation permanente des objets connectés, par exemple)... et une nécessite sur certains sujets pour rester connecte au rythme de l'entreprise".
Mais la digitalisation demeure avant tout un projet d'entreprise "dans lequel il faut convaincre la direction générale", a glissé Laurence Chardonnet, en charge des achats hors production chez Air Liquide, qui a mis en place un programme de sécurisation des achats "sur de très gros budgets".
L'accompagnement au changement : le nerf de la guerre
Mais si la digitalisation est trop souvent synonyme d'outils IT, la réflexion de fond est : "à quels besoins doit-elle répondre? "C'est un fait, il ne faut pas partir de l'outil mais du besoin. Et il faut faire attention de ne pas s'enfermer dans la complexité mais raisonner sur les spécifications métier", a souligné David Lapitz, directeur achats du Club Med. Une réflexion partagée par Céline Faivre, directrice générale adjointe de la Région Bretagne : "J'incite mes collaborateurs à se focaliser sur le besoins de l'utilisateur final et à sortir d'une approche par l'outil. La digitalisation passe également par une étape de simplifications des process et d'évolution de l'organisation auquel l'outil ne peut rien !" La digitalisation doit aussi apporter de la simplification pour les fournisseurs, les prescripteurs internes, etc. "Il faut permettre dans le parcours de l'utilisateur, des "décrochés", c'est-à-dire de pouvoir sortir du parcours numérique et solliciter un acheteur pour un conseil", a commenté Françoise Guillaume, directrice achats de la Société Générale.
Enfin, si la digitalisation est en ordre de marche au sein des entreprises, un vrai sujet est celui de "l'accompagnement au changement qui est le nerf de la guerre". Il faut investir massivement dans la conduite au changement. "Le problème est qu'il faudrait la moitié du budget pour aller jusqu'au bout de la digitalisation et adapter le projet", a expliqué Sonia Martin, directrice achats de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.
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Face à la data, le grand retour "de l'achat intelligent"
Chez Nokia, on réfléchit aux métiers qui disparaissent, ceux qui se créent et ceux qui évoluent. "Nous avons identifié trois grands métiers dont deux sont des conséquences directes de la digitalisation. Les data analysts (des acheteurs) qui vont être capables de réaliser des stratégies d'achats à partir de l'analyse des data, ceux qui ont une spécialisation des process et des outils achats avec une forte culture achat, et enfin ceux dont on parlait de moins en moins, ceux qui font de l'achat intelligent, dit "intelligent procurement". Ces derniers vont avoir une bonne compréhension et gestion de la complexité croissante des échanges commerciaux, vont négocier et gérer les achats stratégiques, et vont travailler à la co-création de valeur avec les partenaires externes. Ils font plus appel à l'intelligence émotionnelle qu'à l'intelligence artificielle. Ce dernier métier est, contrairement aux deux autres, peu impacté par la digitalisation", a indiqué Denis Laxague, vice-président achats au sein de la division Réseaux Fixes de Nokia.
Réouvrir les parcours d'acheteurs vers plus de business
Un achat intelligent repose sur une bonne compréhension du marché, la compréhension de la gestion des risques, et ne peut-être réalisé par les machines. "On se sait automatiser que ce que l'homme est capable de faire. Et tant qu'on n'aura pas réfléchi à une véritable stratégie achats avec une analyse des risques, cela ne servira à rien de tout automatiser", a souligné Christophe Jan, directeur achats d'Orange.
A la Société Générale, un Campus a été mis en place pour faire monter en expertise les acheteurs. "La digitalisation est une bonne nouvelle, car elle permet de rouvrir les opportunités de parcours de carrières d'acheteurs là où, avant il y avait des parcours plutôt homogènes. On peut proposer aux acheteurs, par exemple, de travailler avec un métier sur un projet stratégique, de prendre un temps une fonction risques, l'animation de la dimension RSE, etc.", a expliqué Françoise Guillaume, directrice achats de la Société Générale.
Enfin, si le métier d'acheteur évolue, les directeurs achats présents ont déploré "un système de formation des acheteurs dans les écoles qui n'évolue pas assez vite par rapport aux nouveaux enjeux de la fonction". Un constat que fait notamment la directrice achats de la Société Générale, avec des jeunes recrues "parfois vraiment surprises par l'exercice du métier, notamment dans sa composante de vigilance réglementaire". Fortes de ce constat, des entreprises comme la Société Générale ont augmenté leurs efforts en termes de formation. "L'humain... la clef de tous les enjeux pour nos métiers en mutation", a conclu David Lapitz.