[Avis d'expert] Comment la direction achats contribue directement au succès stratégique de l'entreprise
Le directeur achats doit de construire un pool de fournisseurs d'excellence pour atteindre les objectifs stratégiques de l'entreprise et lui donner un avantage concurrentiel certain. Il doit notamment leur "vendre" son entreprise pour leur donner l'envie de lui proposer des solutions innovantes.
Je m'abonneDans l'esprit d'un certain nombre de personnes, les achats constituent une fonction subalterne, en lien avec une problématique d'approvisionnement. En effet, beaucoup associent encore la fonction à une simple mission de contrôle des coûts et considèrent la relation commerciale entre l'acheteur et le fournisseur comme un rapport de force. C'est en partie vrai, même si cela est en train de changer et doit changer.
La direction des achats, grande garante de la chaîne de création de valeur de l'entreprise
Certains secteurs, comme l'automobile, l'aéronautique ou encore le marché des "produits blancs" sont des exemples significatifs de maturité de la fonction achats dont doivent s'inspirer d'autres secteurs plus en retard. Leur point commun : ils perçoivent la fonction achats comme clé, c'est-à-dire contribuant directement au succès stratégique de l'entreprise. Celui-ci passe par la recherche permanente du plus bas prix de revient, par l'atteinte de niveau de qualité conforme aux attentes du clients, par une performance élevée de la supply chain et de la logistique et finalement par la capacité des fournisseurs clés à assister l'entreprise dans le processus d'innovation et de mise sur le marché.
Les fournisseurs stratégiques sont donc ceux qui représentent les plus gros volumes d'achats et/ou qui apportent la fonctionnalité essentielle pour la décision du client final. Avec ces fournisseurs, la direction achat bâtit une relation "gagnant-gagnant", où l'acheteur va offrir au fournisseur un avantage clé pour lui (des volumes importants, une présence géographique nouvelle, l'accès à un type de produits intéressants...) en échange d'un meilleur prix ou d'une exclusivité sur l'approvisionnement, ou d'efforts particuliers pour mettre au point conjointement une innovation.
Le directeur des achats est ainsi le garant de la performance des coûts, mais également du respect des délais, de la qualité des livrables et de la capacité d'innovation de l'entreprise. Il construit autour de lui un pool de fournisseurs d'excellence pour atteindre les objectifs stratégiques de l'entreprise et lui donner un avantage concurrentiel certain.
Cette approche nécessite une connaissance et une compréhension approfondies du marché fournisseurs et de ses acteurs, de la valeur attendue et des prix. La qualité de la relation ainsi établie impacte positivement l'ensemble de la chaîne de création de valeur de l'entreprise. C'est pour cette raison que les acteurs automobiles, aéronautiques ou encore des "produits blancs" ont systématisé l'inclusion, au sein de leur organisation, des directeurs des achats dans les comités de direction.
Inverser la relation acheteur / fournisseur...
Pour les leaders du marché, il n'y a pas de problème : les fournisseurs rechercheront naturellement ce type de relation. Le talent est d'obtenir cette relation quand vous n'êtes qu'un challenger. Les directeurs des achats du futur sont ceux qui sauront inverser la relation avec leurs fournisseurs afin d'amorcer cette relation gagnant-gagnant, quelle que soit leur position sur leur marché. Désormais, le directeur des achats doit en effet savoir vendre son entreprise à son fournisseur pour lui donner l'envie de lui proposer des solutions innovantes. Et non l'inverse : ce n'est plus le prestataire qui doit savoir se vendre - et au meilleur prix - au directeur des achats.
...et ouvrir le référencement aux petits fournisseurs
Aussi, finies les politiques de référencements des achats ne laissant que peu de place aux petits fournisseurs. Si l'on considère l'innovation comme un enjeu stratégique concurrentiel fort pour l'organisation, il faut au contraire élargir le champ des fournisseurs référencés, intégrer les fournisseurs agiles et astucieux et leur donner envie d'innover pour l'entreprise. Le rôle de l'acheteur devient alors clé : il identifie les fournisseurs les plus à même d'apporter à l'entreprise des solutions innovantes (sur les terrains du digital, de la data, de l'intelligence artificielle...), questionne leurs objectifs stratégiques et imagine quel échange leur proposer pour les convaincre de contribuer à l'innovation et comment en conserver l'exclusivité.
Enfin en matière de qualité de service, ce ne sont pas nécessairement les plus gros fournisseurs qui sont les mieux armés. Un exemple : dans le domaine de la location de matériels de chantier, le marché est constitué de deux ou trois acteurs nationaux, d'une dizaine d'acteurs régionaux et d'une centaine d'acteurs locaux (actifs au niveau d'un ville ou d'un département). L'erreur classique consiste à éliminer ces derniers au motif qu'ils sont petits et peu capables d'accompagner l'entreprise dans ses perspectives de croissance et à constituer au contraire un panel fournisseurs de 3-4 loueurs en espérant que les volumes transférés sur eux permettront de baisser les prix... La bonne stratégie consiste à combiner pour chaque région de l'entreprise cliente, un loueur national, un loueur régional et un ou deux locaux. De manière à profiter des avantages que chacun des types de loueurs peut apporter : la gamme de matériels la plus étendue pour les nationaux, des prix attractifs pour les régionaux et une qualité de service pour les locaux (par exemple, qu'il est possible de contacter le dimanche soir en urgence pour le lundi matin). Au final, il est possible de mobiliser un panel de 30 loueurs pour la France. Et c'est ce modèle qui sera le plus compétitif en disponibilité, en prix et en service.
Il ne faut pas réduire le nombre de fournisseurs référencés, au contraire ! La diversification du sourcing est une chance pour les achats de se donner l'occasion d'être accompagnés par des prestataires plus agiles et plus novateurs.
Les directeurs des achats les plus stratégiques sont à l'affût incessant des fournisseurs les plus performants, les plus innovants et les plus pertinents pour répondre aux enjeux de l'entreprise.
En conclusion, si l'on réduit la fonction achat à une fonction subalterne, misant sur une simple mission de pression tarifaire, l'entreprise risque d'y perdre beaucoup : elle risque de se priver d'un d'accès direct à l'innovation et de nuire au futur de l'entreprise.
Par Thierry Fournier, associé EIM, cabinet de conseil en management de transition