Achats responsables : l'avant-garde de l'anti-corruption
Devoir de vigilance, loi Sapin II et lutte anti-corruption sont des sujets d'actualité pris à bras le corps par les directions achats. Comment acheter responsable mène-t-il à lutter contre la corruption?
Je m'abonneDevoir de vigilance, Loi Sapin II, ... face à la nouvelle législation, quelles sont les bonnes pratiques à mettre en place pour les acheteurs responsables? Eléments de réponses à l'occasion du 11e Forum des achats responsables le 20 mars 2018 à l'Elyseum à Paris.
Parmi les pistes à explorer, figure la norme achats responsables ISO 20400 votée le 31 janvier 2017. "Si vous traitez l'ISO 20400, vous mettez en place le devoir de vigilance", explique Jacques Schramm, Président de A2 Consulting, Président du PC 277 chargé de l'ISO 20400.
Autrement dit mettre en place le devoir de vigilance via la norme ISO 20400 requiert deux avantages. Celui de permettre d'"éviter de faire le travail plusieurs fois" et au contraire de mutualiser les acquis. Autre avantage, "l'application de la norme devrait créer une boucle vertueuse et ainsi aider à répondre à l'obligation de moyens requise par la loi sur le devoir de vigilance".
Norme ISO 20400 : porte d'entrée du devoir de vigilance?
Pour rappel, la loi sur le devoir de vigilance promulguée le 27 mars 2017, a pour objectif de responsabiliser les sociétés transnationales et d'empêcher des drames, comme celui du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh. "Un an après la loi sur le devoir de vigilance, on voit que beaucoup d'entreprises ont pris le sujet en main mais que les directions achats se sont senties un peu perdues au départ, notamment en raison de la multiplicité des textes. La loi sur le devoir de vigilance réunit l'ensemble de ces textes et permet d'avoir un vrai avantage compétitif pour les entreprises françaises qui font déjà des achats responsables depuis longtemps", souligne Fanny Bénard, experte en achats responsables et développement durable au sein du cabinet de conseil Buy your way.
La cartographie des risques est la clé de voûte du devoir de vigilance car de celle-ci va découler toute la mise en place d'actions pour réduire les risques. "On note que de plus en plus d'entreprises ont envie d'avoir leur propre cartographie de risques mais aussi d'aligner l'ensemble de leurs cartographies (achats, risk managers) au sein de leur organisation", détaille Fanny Bénard de Buy your way.
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C'est notamment ce que proposent des organismes comme l'Afnor avec des outils de cartographie des risques qui peuvent s'adapter aux besoins de chaque entreprise. "Tout l'enjeu est d'intégrer une dimension pays et de passer au crible les 13 critères RSE pour chacune des catégories d'achats en intégrant l'analyse des probabilités, des notions de fréquence, de risques, et ainsi aboutir à une note qui va alerter l'acheteur sur les dangers potentiels encourus", détaille Pascal Gautier, responsable Innovation & performance des services de l'Afnor. Et de mettre en évidence les conséquences financières, juridiques, organisationnelles et d'atteinte à la réputation de l'entreprise.
Des "lanceurs d'alerte"
Dans cette plus grande prise en compte des risques, de plus en plus d'entreprises ont recours à ce qu'on appelle communément des "lanceurs d'alertes". Autrement dit, de travailler avec des relais d'associations et/ou ONG présente sur le terrain pour faire remonter les informations. "Ce qu'on cherche à développer c'est une culture de la vigilance et de la responsabilité dans l'entreprise", résume Fanny Bénard de Buy your way.
Autre sujet d'actualité, la loi Sapin II et la lutte contre la corruption. Avec la loi Sapin II le sujet de la corruption revient au coeur des directions achats. Ainsi, un groupe de travail sur la corruption a vu le jour au sein de l'ObsAR. "Aujourd'hui les risques de corruption sont souvent traités par les risk managers, les directions compliance ou juridique quand les sujets devoir de vigilance sont traités par les directions achats et RSE. Il faut donc mettre en oeuvre des procédures et des cartographies des risques communes, travailler ensemble, en transverse dans l'entreprise", alerte Fanny Bénard de Buy your way.
Lutte contre la corruption : le retard français
Si la France accuse du retard sur le sujet de la lutte contre la corruption, cela s'explique pour Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises :"En France, on est un pays leader sur la RSE sauf sur la corruption. On a l'impression que si on en parle on est corrompu. Alors que dans le monde anglo-saxon si on en parle c'est qu'on ne veut pas l'être ou montrer qu'on ne l'est pas. Il y a là une différence de culture qui explique ce retard". Et si ce sujet concerne autant les acheteurs, c'est notamment parce que "la corruption, c'est désorganiser l'égalité des chances des fournisseurs".
Ainsi, chez 3M, groupe industriel d'origine américaine évoluant sur 5 marchés (industrie, électronique & énergie, santé, sécurité, grand public), le sujet est à l'ordre du jour depuis longtemps. "La corruption est un sujet trop sérieux pour être laissé uniquement aux acheteurs et donc cela concerne tous les employés ainsi que les parties prenantes", explique Philippe Houbert, Directeur du Développement et de la RSE au sein du groupe 3M . Ainsi, chaque année, l'ensemble des 91 000 salariés du groupe doit signer un code de conformité pour le respect des valeurs de l'entreprise. Ce code est complété au long de l'année par une douzaine de formations dont deux traitent des sujets de conflits d'intérêts et de corruption. En "effet miroir", 3M demande à l'ensemble de ses fournisseurs de se conformer à un code de responsabilités fournisseurs.
Cartographie des risques et code de conduite
Dans la lignée de la loi Sapin II, l'Agence française anticorruption (ou AFA) a été créée. Cette agence gouvernementale a 3 missions principales : le contrôle des programmes anti-corruption (pour les entreprises qui ont un CA de plus de 100 millions d'euros plus de 500 salariés), l'accompagnement mais aussi la mise en place de sanctions en cas de besoin. "Les pionniers sur l'anti-corruption ce sont les USA qui viennent de fêter les 40 ans de leur législation fin 2017. Mais nous observons à l'international un changement de pratiques très rapide. Le niveau d'information est très élevé et ainsi le risque de découverte de faits de corruption est extrêmement fort", résume Renaud Jaune, sous-directeur du Conseil, de l'Analyse stratégique et des Affaires Internationales au sein de l'AFA.
Lutter contre la corruption passe selon lui par l'élaboration de deux documents fondamentaux : une cartographie des risques et un code de conduite autour desquels gravitent des systèmes qui permettent d'organiser le contrôle interne, ...
"L'achat responsable c'est une thématique qui est en avance en France, et notamment en matière de lutte anti-corruption. L'achat responsable peut servir d'avant-garde en quelque sorte de la lutte anti-corruption", conclut Renaud Jaune, sous-directeur du Conseil, de l'Analyse stratégique et des Affaires Internationales au sein de l'AFA.