Droits humains et supply chain : les entreprises au pied du mur ?
Les violations des droits humains dans la supply chain ne passent plus sous les radars. Elles peuvent réduire en cendres des décennies de réputation, et l'inaction coûte cher. Analyse des enjeux par Heidi Hautala, ancienne vice-présidente du Parlement européen et Antoine Heuty, expert en droits humains chez Ulula, lors de la conférence annuelle Sustain 2025 d'Ecovadis.

Bombe à retardement, une négligence dans la chaîne d'approvisionnement peut ruiner des décennies de construction d'image. "Les principes directeurs de l'ONU ont profondément transformé la durabilité mondiale, rappelle Heidi Hautala, ancienne vice-présidente du Parlement européen, Le Parlement européen a défendu un alignement maximal avec ces standards internationaux". Mais l'évolution vers une législation contraignante, comme la directive sur le devoir de vigilance Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDD), n'est pas un long fleuve tranquille. Loin de là. " Ce que nous voyons aujourd'hui, c'est une fragmentation croissante. Certains pays avancent, d'autres reculent ", observe-t-elle. Et Antoine Heuty, expert en droits humains chez Ulula de compléter : "Nous voyons des initiatives naître en Inde, en Chine ou au Brésil, ce qui complexifie la compliance et renforce le coût de mise en conformité pour les entreprises." Mais la fragmentation réglementaire reste un obstacle majeur.
Glisser d'un agenda ESG à un agenda de résilience
En d'autres termes, cette complexité réglementaire n'empêche pas les entreprises d'être exposées à des risques réputationnels significatifs. Antoine Heuty met les choses au clair : " On est passés d'un agenda ESG à un agenda de résilience. 28 millions de personnes sont encore en situation de travail forcé". Les risques sont bien réels, et ils ne disparaissent pas. Une entreprise qui néglige les droits humains joue avec le feu et risque de tout perdre." Les exemples d'infractions sont légion et les amendes ne sont que la partie émergée de l'iceberg. D'autres actions sont également possibles pour redresser les torts. "Nous avons pu aider une entreprise à régulariser sa situation et à rembourser 20 millions d'euros de salaires impayés", détaille Antoine Heuty. Un coût important, mais bien moindre que celui possible en cas de non-respect des droits humains, avec la prise en compte de l'ensemble des externalités.
Les multinationales réclament aujourd'hui une harmonisation. " Les certifications volontaires ont montré leurs limites. Même des multinationales nous demandent aujourd'hui une législation obligatoire, confie Heidi Hautala. " L'UE doit veiller à ne pas freiner ceux qui veulent aller plus loin ", avertit l'ancienne vice-présidente du Parlement européen.
La diligence raisonnable, un atout compétitif ?
Contrairement aux idées reçues, la mise en conformité avec les exigences de diligence raisonnable peut aussi devenir un avantage stratégique. "Les entreprises qui intègrent la soutenabilité à leur modèle opérationnel doivent être récompensées, et non pénalisées", soutient Heidi Hautala. Les chiffres tendent à lui donner raison : une étude de Nielsen indique que 66 % des consommateurs sont prêts à payer plus pour des produits issus de sources éthiques. Patagonia, par exemple, a vu son chiffre d'affaires augmenter de 10 % en 2022 grâce à son engagement environnemental.
Les petites entreprises ne sont pas en reste. Heidi Hautala illustre : "Une PME finlandaise qui produit des chaussures en bois a remporté un contrat majeur avec le ministère de la défense danois, non pas pour son prix, mais pour la qualité et la soutenabilité de ses produits." Ces exemples montrent que l'intégration des droits humains dans la stratégie d'entreprise n'est pas un frein à la compétitivité, mais un véritable levier de différenciation sur le marché.
Toutefois, les débats autour de l'Omnibus de simplification révèlent cependant une tension persistante entre volonté de réguler et désir de compétitivité. "Ce texte ne simplifie pas les règles, il affaiblit les standards internationaux", alerte Heidi Hautala. Une menace qui pourrait ralentir la progression vers une économie mondiale plus responsable. Antoine Heuty est catégorique sur le sujet : " La réglementation est une opportunité en or. Ceux qui s'adaptent en premier seront les leaders de demain. "
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