Les acheteurs, peu primés sur les gains qu'ils réalisent
Pourquoi les acheteurs sont-ils peu primés sur les gains qu'ils réalisent ? Les acheteurs s'accordent à dire que si ces primes constituent une motivation supplémentaire, c'est leur mode de calcul qui pose problème...
Je m'abonneLes professionnels des achats sont peu primés sur les gains qu'ils réalisent, selon une étude AgileBuyer / Groupement achats et supply chain de HEC(1), réalisée au mois de décembre 2014 et dont les résultats tombent tout juste. Pour 2015, 43% d'entre eux indiquent ne pas avoir de prime liée aux gains réalisés sur les achats. Seuls 7% d'entre eux déclarent avoir plus de 50% de leurs primes liées à leurs gains sur achats.
Un constat qui n'est pas nouveau, puisqu'ils apparaissaient déjà dans les études 2013 et 2014. A l'inverse du commercial, l'acheteur n'est pas ou peu primé sur les gains qu'il génère. Pourquoi? "Ce n'est pas dans la mentalité des acheteurs", commente Olivier Wajnsztok, directeur associé du cabinet conseil AgileBuyer ayant diligenté cette étude, "parce que l'acheteur ne vise pas que la réduction des coûts. Cela pourrait être malsain. Les acheteurs ne sont pas des traders ; ils ne sont pas là pour gagner de l'argent." "Les achats ne génèrent que très rarement des gains pour leur entreprise mais plutôt des économies...", appuie Arnaud de Varine-Bohan, responsable achats de Swiss Life.
Philippe Demangeot, directeur achat de CNP Assurances estime qu'il s'agit pourtant d'une "vraie question de management sur laquelle les entreprises ont encore des approches disparates. À ce titre on peut même s'interroger sur la question: s'agit-il seulement dans nos entreprises de donner davantage de prime liée aux gains, ou bien d'octroyer aux acheteurs une part variable?"
Une motivation supplémentaire à étudier?
La discussion, portée par nos soins sur le groupe LinkedIn de Décision Achats, a mobilisé les acheteurs. Tous s'accordent sur le fait que ces primes sur gains pourraient constituer une motivation supplémentaire mais aussi sur le fait que leur instauration est compliquée. "C'est effectivement là que commencent les problèmes, notamment avec le cost avoidance sur des coûts variables comme de la prestation intellectuelle ou du service à la consommation. Je pense que les primes liées aux économies doivent représenter une (très) faible part de la rémunération variable d'un acheteur et je conseille de la mettre fixe et non indexée sur cet indicateur", indique Arnaud de Varine-Bohan (Swiss Life).
Jeremy Benhaim, responsable achats SITA Région Centre Est, pense, pour sa part, "qu'il serait intéressant d'étudier la faisabilité de mettre en place des scorecards évolutives au-delà de 100% des objectifs fixés en fonction de la performance d'un acheteur liée à l'amélioration d'un P&L, la contribution aux revenus, amélioration d'un budget. Il existe des pratiques dans ce domaine au sein de grands groupes basés aux États-Unis, par exemple."
Moduler les primes en fonction des enjeux du moment et de la situation financière
Il convient d'intégrer une prime aux gains, assure Philippe Demangeot, directeur des achats au CNP Assurance,"mais de façon équilibrée par rapport à d'autres objectifs plus qualitatifs et adaptés au contexte de l'entreprise: il faut donc les moduler en fonction des enjeux du moment et de la situation financière car on n'attendra pas la même chose d'un acheteur d'une entreprise qui dégage 10% de résultat net d'une autre dont la trésorerie est à sec et affichant une perte.
Une fois les objectifs de performance économique définis, transparence et communication interne au sein des achats et auprès des autres fonctions sur l'ensemble des objectifs de la fonction permettront de démystifier le sujet et de faire adhérer ou au moins de faire comprendre. En interne, direction des achats doit décliner les objectifs globaux vers tous les acheteurs, de façon proportionnée selon leur statut (junior, sénior, responsable achats,...) permettant une évolution de la part variable parallèle à la progression de carrière sera une réponse équitable."
"Et pour garder voire amplifier un esprit collectif et solidaire entre acheteurs, des alternatives aux primes individuelles pourront aussi être explorées, par exemple en s'inspirant des challenges qui animent certaines forces de ventes Bien sûr tout ceci ne fonctionnera qu'une fois déployé un mécanisme de mesure de la performance financière pertinent et partagé dans l'entreprise, mais ceci est une autre histoire...", complète Philippe Demangeot,
Quant aux primes sur les objectifs RSE
L'étude AgileBuyer / Groupement achats et supply chain de HEC s'intéresse également aux primes sur objectifs RSE... peu salués. En 2014, seuls 12% des sondés déclarent avoir été primés sur l'atteinte de leurs objectifs développement durable. C'est encore 1 point de moins que la proportion de l'année 2014.
Le développement durable ne paye pas ceux qui le mettent en place. "Les objectifs liés au développement durable ou au RSE s'installent dans la stratégie des acheteurs, mais ils ne sont pas encore au même niveau que les prix ou la qualité. Il faudra encore du temps et de la persévérance pour qu'ils soient intégrés totalement dans les gènes des acheteurs", estime Olivier Wajnsztok.
(1) Cette étude Agile Buyer / Groupement achats HEC sur "Les priorités des services achats en 2015 - ou la manière dont seront gérés les sous-traitants en 2015" a été menée du 1er au 8 décembre 2014 auprès de 542 professionnels des achats. 482 réponses ont été exploitées. 33% des répondants sont des acheteurs, 24% des directeurs achat, 33% des responsables achat, 4% des coordinateurs acheteurs et 6% des profils autres. Si la plupart des secteurs économiques sont représentés, il est à noter une forte représentativité des secteurs de l'automobile, aéronautique et autres matériels de transport (21%) parmi les répondants.