Le lean : régime magique des achats ?
Le nouveau concept en vogue en entreprise doit son nom au terme anglais pour "maigre". Le lean serait-il donc une solution magique pour faire mieux avec moins ? Des experts des achats témoignent, expérience à l'appui.
Je m'abonne"Parler de "lean" revient à parler d'amélioration continue". En introduction de la conférence "Le concept du lean vu par les achats", qui s'est tenue au début du mois à l'initiative conjointe de l'INSEEC, école de commerce et de management, et de la CDAF Ile-de-France, Renaud Burghoffer, qui officie dans cette dernière structure en tant que membre du comité de direction et responsable du GEB Lean, a tenu à mettre les choses au clair. Il faut dire que, parmi les concepts les plus à la mode actuellement en entreprise, le lean a un champ lexical qui peut sembler ésotérique aux néophytes. Il suffit en effet de surfer quelques minutes sur Internet pour s'apercevoir que parler de lean revient aussi à parler de "muda", de "muri" ou de "mura" etc. - autant de termes qui désignent en japonais différentes formes de "superflu". Le mot lean quant à lui est de l'anglais pour "maigre".
"Faire disparaître le superflu"
Ce jargon bilingue témoigne des origines mixtes du lean. Né dans les années 70 au Japon, au sein de Toyota Production Services, il a été popularisé la décennie suivante aux États-Unis par John Krafcik, ancien ingénieur qualité chez Nummi - une joint-venture GM et Toyota - qui fut le premier à prêter un nouveau sens à ce mot courant dans un article publié dans une revue du MIT : "Le triomphe du lean". Pour qui n'aurait pas lu les 14 pages de ce texte fondateur, le lean est, pour rappel, également symbolisé sous la forme d'un temple. Mais les bienfaits du concept sont peut être encore mieux illustrés par l'histoire de Toyota. D'un petit constructeur automobile, ce dernier s'est transformé en géant du marché mondial en s'appliquant, selon les préceptes "maison" du lean, à mettre en évidence ce qui dans le cycle de production est porteur de valeur ajoutée en faisant disparaître tout ce qui au contraire est superflu.
Un cas d'étude - le premier - qui donne aujourd'hui espoir à de nombreuses entreprises chahutées par la crise. Car le lean s'exporte ! Partout dans le monde mais aussi, preuve de sa transversalité, dans tous les services de l'entreprise. Appliqué aux achats, il tend à être présenté comme une solution magique pour faire mieux avec moins. Info ou intox ? Deux experts de la fonction ont répondu à l'invitation de l'INSEEC et de la CDAF pour débattre de la question, expérience à l'appui.
"Une boite à outils"
"Le lean, c'est avant tout un état d'esprit et une boite à outils", a indiqué d'emblée Alain Lecarpentier, directeur des achats du groupe Axens et également membre du comité de direction de la CDAF Ile de France. Une conviction qui sert de fil rouge à la démarche lean déployée chez Axens. Initiée début 2014 par la direction industrielle, cette dernière consiste en une vingtaine de projets dans 5 usines réparties aux quatre coins du globe - en France, en Arabie-Saoudite, au Canada, en Asie - toutes embarquées dans la révolution culturelle du lean. Pour ce faire, Axens mise sur un socle méthodologique qui constitue la base du concept. Sont notamment au programme :
- Le VSM ou Value Streaming Mapping : un outil de cartographier les processus;
- Le 5S, du nom d'un outil de management qui vise l'amélioration des processus via l'élimination de tout ce qui n'est pas porteur de valeur ajoutée;
-... et AVT, un acronyme propre à Axens qui signifie Aller Voir sur le Terrain, conformément à la volonté d'Axens de soigner sa relation client-fournisseurs. Objectif : identifier des partenaires en mesure de faire évoluer l'entreprise.
Lean, innovation et achats durables
"L'antidote au règne des process"
Un dernier point qui fait le lien entre le lean et les grands enjeux stratégiques de la fonction achats libérée du "carré" du cost-cutting "., innovation en tête. "Le lean peut s'inscrire dans une démarche d'achats durables", surenchérit Renaud Burghoffer.
En phase avec les problématiques actuelles des services achats, le lean fait également office d'antidote contre ses travers. En chef lieu : le règne des process. "Le lean peut conduitre tellement loin dans la segmentation des taches que l'on peut parfois perdre l'objectif d'optimisation globale", regrette Gilles Desmouliers, directeur des achats chez Siemens SAS Division Mobility. Qui voit dans le lean un moyen d' "intégrer le processus achat dans les processus globaux de l'entreprise".
Contrôle et adhésion
Pour passer de la théorie à la pratique, le contrôle est de mise. Chez Axens, un steering commitee vérifie ainsi tous les deux mois la mise en place - et le succès ! - du dispositif Lean. Une démarche qui pointe du doigt la nécessité de mesurer les impacts, avérés, du lean sur les achats. Pour une vision à 360°, la direction sera avisée d'adopter des indicateurs qui font émerger tant les gains financiers, sous forme de ROI, que l'amélioration de la qualité.
Ingrédient indispensable du succès, l'adhésion des parties prenantes doit enfin être soigneusement cultivée. "Le processus lean est progressivement intégré dans l'amélioration continue et les objectifs individuels des acheteurs", témoigne Alain Lecarpentier. Ne pas oublier enfin que, comme le relève Gilles Desmouliers "le lean relève beaucoup du bon sens".