Vêtements professionnels : un dossier "touchy"
Les vêtements professionnels sont un sujet très sensible socialement, mais dont les arcanes sont souvent méconnues des acheteurs. Ils doivent en effet jongler avec les attentes des porteurs, des budgets resserrés, les différentes normes et modèles... Mais des solutions existent.
Je m'abonneLes montants investis par les entreprises privées ou publiques dans l'équipement de leurs collaborateurs ne sont pas anodins même s'ils varient d'un fortement métier à l'autre. Un réseau de jardinerie va par exemple dépenser 400K€ par an, quand certaines enseignes de la grande distribution vont atteindre 10 M€, alors que des entreprises publiques comme la Poste ou la SNCF dépasseront largement ces montants. Or les cours des trois indices qui interviennent dans la fixation du prix d'un vêtement professionnel, c'est-à-dire le coton, le pétrole et le dollar, ont énormément évolué depuis un an. Le coton et le pétrole ont respectivement enregistré une baisse de 28% et de 50%, alors que le dollar augmentait de 30%. Or une grande partie des écrus, de la confection de la maille et des accessoires proviennent d'Asie, alors que les achats se font en dollars.
"La hausse de la monnaie prend donc largement le pas sur le cours des matières premières, et les clients se trouvent actuellement confrontés à des hausses de tarifs de leurs vêtements qui atteignent parfois 10%", analyse Stéphane Coulon, le dirigeant du cabinet de conseil Vetanova [photo ci-contre]. Ce à quoi il convient de rajouter les frais de lavage des tenues, ce qui peut parfois faire doubler les budgets.
Le casse-tête du lavage
La réglementation française* précise qu'un employeur qui oblige ses salariés à porter des tenues de travail, doit en financer l'entretien. Que ce soit par le biais d'un prestataire extérieur, d'une prime de lavage ou d'une carte de pressing prépayée dans le cas d'un entretien effectué par le salarié lui-même. "Les collaborateurs et leurs représentants, n'hésitent plus à attaquer leur employeur sur ce sujet délicat, prévient Stéphane Coulon. Plusieurs condamnations ont fait jurisprudence depuis 2008 (supermarché Champion, Carrefour, La Poste...) avec des indemnisations rétroactives pouvant atteindre plus de 2 000€ euros par salarié." Or la mise en place d'un marché de service d'entretien relève parfois du casse-tête, car tous les vêtements ne se lavent pas de la même façon, ni avec la même régularité. Contrainte par un budget limité, la ville de la Rochelle a ainsi décidé de prioriser la prise en charge des vêtements de ses agents. "Les vêtements qui demandent une hygiène parfaite, par exemple ceux portés par les agents des cantines scolaires sont prioritaires, explique Sabrina Nikkel, la responsable du service prévention et sécurité du travail de la ville. Venaient ensuite les vêtements les plus salissants qui concernent tous les métiers techniques (jardiniers, garagistes...), les vêtements de type EPI**, ou encore les uniformes des policiers municipaux."
Eviter le risque social
La Régie des Transports de Marseille, a déposé un préavis de grève pour un pantalon jugé "trop serré et de couleur importable"
Un vêtement professionnel est porté toute l'année et si le personnel n'est pas à l'aise avec sa tenue cela devient vite insupportable, physiquement ou psychologiquement. Et lorsque c'est le cas, la révolte gronde. "La Régie des Transports de Marseille, a notamment déposé un préavis de grève pour un pantalon jugé "trop serré et de couleur importable", révèle Stéphane Coulon. Virgin Ferroviaire a de son côté dû faire face au refus de ses hôtesses de porter les nouveaux chemisiers, qu'elles jugeaient trop sexy." Le vêtement professionnel, sous toutes ses formes, est donc socialement stratégique et sa conception doit être pensée avec soin. "Lorsque vous faites un métier du végétal, vous ne vous habillez pas de la même façon que pour un métier lié à l'animal, explique ainsi Frédéric Guyot, le directeur marketing et achats de Gamm vert. Nous avons cherché à définir des options pratiques pour différencier les métiers, par exemple des ceintures adaptées permettant à ceux qui travaillent les végétaux, d'y ranger des outils comme les sécateurs." Afin d'éviter tout problème, les responsables achats et les ressources humaines seront bien inspirés d'impliquer les collaborateurs ou leurs représentants aux étapes clés du choix de leurs vêtements de travail, de leur faire tester les tenues en situation réelle, voire de les faire voter.
*art R4323-95 et L4122-2 du code du travail
**Equipements de protection individuelle
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Des solutions externalisées
Le système de la location est une solution prisée par les organisations dont les collaborateurs sont soumis à de fortes salissures et/ou à des règles d'hygiène très strictes. Si elle permettra à l'employeur de déléguer l'achat, le ramassage et la distribution hebdomadaire, voir la réparation des vêtements, cette solution a en revanche un coût élevé. "Selon les contrats on ne maîtrise pas forcément le taux de remplacement des vêtements, ce qui peut engendrer des frais supplémentaires", prévient Delphine Leroy, la responsable achats services généraux, EPI, vêtements de travail chez Eiffage Branche Métal. "Il faut aussi faire attention aux conditions de sortie de ces contrats, notamment à leur valeur résiduelle." Nombre d'entreprises sont cependant prêtes à payer ce service pour la tranquillité qu'il procure. D'autres acteurs vont encore plus loin dans leur volonté d'externaliser la question des vêtements. "Soucieuse de se recentrer sur son coeur de métier, à savoir le transport de voyageurs, la RATP a décidé de nous confier la gestion intégrale des vêtements professionnels de ses agents", révèle Nicolas Sandjian, le p-dg de Cepovett. "Un intranet permet ainsi à chaque agent de choisir sa tenue en fonction de son poste, mais également de répertorier ses données personnelles comme ses mensurations." C'est encore Cepovett qui se charge de livrer le vêtement dans un délai d'un jour directement au domicile des agents. Un call center est de plus à leur disposition afin d'assurer le suivi de chaque commande et de répondre à leur demandes.
Au final, la question des vêtements professionnels est pour les acheteurs un dossier difficile à gérer, sensible socialement et politiquement, coûteux en temps, mais doté d'un budget limité. C'est pourquoi ils auront avantage à se faire conseiller par des spécialistes du sujet. "En faisant appel à une aide extérieure, j'ai gagné trois mois de temps ainsi que 10 à 15% par rapport au coût initial ", estime ainsi Frédéric Guyot.
Les différents vêtements professionnels
Le terme générique de "vêtement professionnel" regroupe en fait quatre catégories bien distinctes. Le vêtement d'image dont le rôle est de relayer l'identité visuelle de l'entreprise via les collaborateurs, est notamment utilisé par les enseignes de distribution comme les jardineries, les restaurants, ou les magasins d'ameublement. Vient ensuite le vêtement de travail, qui est principalement utilisé dans des métiers soumis à de fortes salissures, comme l'industrie, la réparation automobile, ou le bâtiment. Véhiculant une image statutaire via des costumes ou des tailleurs, l'uniforme corporate est notamment utilisé par les compagnies aériennes, les enseignes de parfumerie, ou les chaînes hôtelières. Le vêtement technique enfin, protège avant tout l'utilisateur des risques simples ou vitaux, et répond à des normes strictes (anti arc-électrique, non feu, haute visibilité...).
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3 Questions à : Nathalie Grandjean, acheteur EPI - sécurité - incendie
3 Questions à : Nathalie Grandjean, acheteur EPI - sécurité - incendie
Quels sont les spécificités du marché des vêtements professionnels pour l'UGAP ?
Aujourd'hui l'UGAP intervient sur trois marchés principaux: celui des pompiers, celui des agents de collectivités, et celui des policiers municipaux. Chaque famille a ses propres spécificités. Les vêtements de pompiers par exemple doivent respecter des normes strictes, car ils sont confrontés à des risques majeurs et potentiellement mortels. Les vêtements portés par les pompiers lorsqu'ils vont au feu sont des produits multicouches, très techniques et complexes. Ce qui rend ce secteur particulièrement intéressant, c'est qu'il y a toujours des nouveautés qui permettent de faire progresser la sécurité et le confort des porteurs.
Comment associer les agents au choix des vêtements qu'ils porteront ?
Outre ces aspects techniques, l'apparence des vêtements qu'ils portent a beaucoup d'importance pour les agents. Dans le cas des pompiers par exemple, même si leurs vêtements sont régis par des décrets, ils essaieront toujours de se différencier les uns des autres. Outre le confort et la praticité de leurs vêtements, les agents des collectivités sont eux aussi soucieux de leur apparence. Pour éviter les problèmes, il convient d'associer les clients aux choix des vêtements grâce à un travail de co-prescription. Que ce soit en amont lors de la rédaction des cahiers des charges techniques, ou en aval à l'occasion de tests de terrain. Par exemple en ce moment, cinq modèles de casques de pompiers sont testés dans des régions différentes
Quels sont les nouveaux sujets de préoccupation de vos clients?
La sécurité bien sûr. Les policiers par exemple font face à des risques majeurs, comme nous l'ont rappelé les événements du début de l'année. C'est pourquoi il y a un lot concernant les gilets pare-balles dans le dernier appel d'offre que nous dépouillons. La question de la location-entretien est elle aussi dans l'ère du temps. Certains clients ont essayé cette solution leur côté, mais en sont revenus. Selon leurs témoignages, elle coûte cher, et est difficile à mettre en place au niveau national. Mais nous réfléchissons à passer par des appels d'offres dédiés afin de tester cette approche au niveau de l'UGAP. Les textiles innovants sont eux aussi un véritable sujet pour les acheteurs. Pour le moment aucun lot dédié n'a été lancé, car il y a souvent un souci de coût et massification avec ces produits. Mais cela fait partie de notre travail de prospection auprès des fournisseurs.