Covid-19, télétravail et frais : que prend en charge l'employeur ?
Si l'accord national interprofessionnel du 24 novembre 2020 réaffirme le principe de prise en charge par l'employeur des coûts engagés par le télétravail, plusieurs textes nuancent sa portée. Cette prise en charge ne revêt aucun caractère obligatoire hors situations de télétravail régulier.
Je m'abonneFace aux multiples textes applicables, et en y ajoutant le contexte sanitaire actuel, les employeurs ont des difficultés à identifier leurs obligations de prise en charge des frais liés au télétravail.
Une multiplicité de sources juridiques
L'accord national interprofessionnel (Ani) du 19 juillet 2005 impose à l'employeur de prendre en charge "les coûts directement engendrés par le télétravail, notamment ceux liés aux communications", ainsi que ceux liés à la maintenance des équipements et d'assumer "la responsabilité des coûts liés à la perte ou à la détérioration des équipements et des données utilisées par le télétravailleur"(1). Naturellement, une convention ou un accord collectif peut écarter ou déroger à ces dispositions(2).
L'ordonnance du 22 septembre 2017 n°2017-1387 pour sa part n'impose pas de prise en charge des coûts résultant du télétravail et a supprimé l'article L. 1222-10 du Code du travail inspiré de l'article 4 de l'Ani susvisé. Il est désormais simplement indiqué que les modalités de prise en charge doivent être précisées dans l'accord collectif ou la charte mettant en place le télétravail (3).
L'employeur n'a-t-il donc pas à prendre en charge les frais liés au télétravail ?
L'Ani de 2005 s'applique aux entreprises adhérentes à l'une des organisations patronales signataires (Medef, CGPME, ancien UPA) ou relevant des secteurs d'activités professionnelles représentées par ces organisations. Autant dire que presque toutes les entreprises sont donc concernées.
Même si cet Ani est applicable, si l'entreprise est soumise à un accord collectif, ce dernier pourrait écarter l'obligation de prise en charge des frais liés au télétravail par l'employeur. En revanche, si aucun accord collectif n'est applicable, l'Ani sera pleinement effectif, étant toutefois précisé que l'Ani ne vise que le télétravail dit " régulier " et non celui dit " occasionnel ". L'applicabilité de l'accord pourrait donc être source de discussions.
Si l'Ani n'est pas applicable, l'employeur est libre de décider ou non de la prise en charge des frais liés au télétravail tout en devant préciser ces modalités dans la source de mise en place du télétravail (accord collectif ou charte), même dans le contexte actuel.
Le questions-réponses du 9 novembre 2020 du ministère du Travail précise d'ailleurs que, sauf accord collectif ou charte, l'employeur n'a pas l'obligation de verser une indemnité de télétravail visant à rembourser au salarié les frais liés au télétravail.
Dans le contexte de Covid-19, les entreprises ont recours au télétravail exceptionnel et ne sont donc pas soumises à une obligation de prise en charge des frais (sauf accord collectif ou charte précisant le contraire). Néanmoins, il est recommandé de prendre en charge les frais exposés par le salarié dans ce contexte.
Quelle prise en en charge pour quels frais ?
Dès lors que l'employeur doit ou décide de prendre en charge les frais liés au télétravail, il peut le faire sous la forme du versement d'une indemnité forfaitaire(4), par la prise en charge directe des frais ou par remboursement des frais sur présentation des justificatifs (afin de bénéficier de l'exonération de charges sociales dans les conditions fixées notamment par la circulaire DSS/SDFSS/5B du 4 août 2005).
Force est de constater qu'en pratique les entreprises ont fortement limité les frais pris en charge. En effet, la démocratisation d'internet à haut débit couplée à l'évolution des nouvelles technologies ont fortement réduit les frais liés au télétravail. En outre, le télétravail étant majoritairement occasionnel et reposant sur le volontariat, les frais sont quasiment nuls. Les employeurs peuvent néanmoins alors prendre en charge les frais résultants de la mise en place de ce télétravail (conformité électrique, meubles ou autres). Les derniers accords et chartes sur ce sujet prennent pour l'essentiel en référence le barème fixé par la sécurité sociale (10 € pour une journée de télétravail par semaine).
Reste le cas de l'indemnité d'occupation. La jurisprudence a précisé qu'elle est due en l'absence de local de travail fourni par le salarié ou si le salarié accepte la demande de l'employeur de télétravailler et d'y stocker notamment du matériel professionnel. Elle peut intégrer les frais fixes (ex : loyer/ taxe/ assurance, etc.) et les frais variables (ex : électricité, gaz, etc.). Dans le contexte de Covid-19, dès lors qu'un local peut être en pratique fourni par l'employeur, le risque de versement d'une indemnité d'occupation paraît théorique.
Au-delà des frais, qu'en est-il des titres restaurant et de transport ?
Dans son questions-réponses du 9 novembre 2020, le ministère du Travail revient sur sa position initiale et précise qu'en application du principe d'égalité de traitement, les télétravailleurs doivent bénéficier des titres restaurant dès lors que les salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l'entreprise en bénéficient. Cette position reprend ainsi les dispositions de l'Ani de 2005(5).
Pour les titres de transport, l'employeur n'a à prendre en charge l'abonnement mensuel que si le salarié effectue au moins un trajet sur la période d'abonnement (notamment cas d'alternance du télétravail), tout en étant invité par le ministère du Travail à maintenir le remboursement lorsque le salarié n'a pas été en mesure de suspendre son abonnement.
Et un nouvel Ani...
Reprenant la jurisprudence sur les frais professionnels, le nouvel Ani du 24 novembre 2020 pour une mise en oeuvre réussie du télétravail rappelle le principe de prise en charge par l'employeur qui s'applique à " l'ensemble des situations de travail "(6).
Difficile dans ces conditions, et même dans le contexte actuel, de s'exonérer de la prise en charge des frais liés au télétravail.
Pour en savoir plus
Sophie Marinier, associée en droit social, avocate associée au sein du cabinet LPA-CGR, est spécialisée en droit du travail et intervient à ce titre dans l'ensemble des domaines du droit social : relations individuelles et collectives, restructurations, contentieux, audit. Elle dispose également d'une expertise particulière dans la gestion des dossiers internationaux, notamment en matière de mobilité et de harcèlement dans des contextes internationaux.
[1] ANI du 19 juillet 2005, art.4.
[2] Code du travail, art. L. 2253-3.
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[3] Rapport du Président de la République relatif à l'ordonnance du 22 septembre 2017 n°2017-1387
[4] Notamment par référence à l'information publiée le 18 décembre 2019 par l'URSSAF
[5] Notamment de l'article 4 de l'ANI du 19 juillet 2005
[6] ANI du 24 novembre 2020, art.3.1.5