DossierCréer le service achats d'une PME
2 - "Transformer mes collaborateurs en acheteurs autonomes", Olivier Quintin, éditions Lefebvre Sarrut
Transposer les recettes déjà employées dans les grands comptes pour professionnaliser les pratiques achats des éditions Lefebvre Sarrut, telle est la stratégie d'Olivier Quintin, directeur environnement de travail et achats au sein de l'ETI. Rencontre.
Vous êtes passé de responsable achats chez Schindler France et Euler Hermès, où vous gériez des budgets de 100 à 150 M€, à un poste de directeur achats en ETI où vous gérez un budget de 30 M€... N'est-ce pas difficile?
Olivier Quintin : Disons que cela suppose une bonne dose d'adaptation, d'écoute et de curiosité. D'autant que c'est la première fois que je travaille dans une structure relativement petite, dépourvue de direction achats en tant que telle. C'est dire si mon quotidien diffère largement de ce qu'il était, il y a quelques mois encore, en tant que responsable achats chez Schindler France ou Euler Hermès (groupe Allianz). Ainsi, depuis mon arrivée au sein des éditions Lefebvre Sarrut, au printemps 2014, mon challenge consiste à professionnaliser la fonction achats, de A à Z, au sein des trois entités historiques de l'entreprise, à savoir les éditions Francis Lefebvre, les éditions Dalloz et les Éditions Législatives. Pour ce faire, j'ai en charge la quasi-totalité des dépenses des différentes structures, à l'exception des achats de papier de production (ouvrages, codes, mémentos...) et des achats informatiques.
Quel était l'existant en termes de bonnes pratiques achats ?
L'entreprise n'avait pas vraiment de stratégie achats, hormis la recherche de la qualité, souvent payée au prix fort. En effet, les dépenses étaient gérées de manière isolée et au fil de l'eau par les équipes des moyens généraux, à savoir six collaborateurs dispatchés dans les différentes entités du groupe, chaque maison étant historiquement indépendante l'une de l'autre. Aussi, pour davantage consolider les coûts, j'ai employé les grands moyens : transposer, autant que possible, les leviers achats déjà monnaie courante dans les grands comptes à cette structure, plus petite. C'est-à-dire encourager la signature de contrats avec des prestataires globaux afin de favoriser un niveau de service commun à nos trois entités. De quoi mutualiser les dépenses en jouant sur l'effet volume pour obtenir des accords tarifaires plus en ligne avec les prix. Après six mois, nous commençons donc à largement regrouper et massifier nos achats, en rationalisant les contrats existants afin d'optimiser notre portefeuille fournisseurs sur un nombre de familles d'achats de plus en plus important.
Sur quelles familles un tel travail a-t-il déjà été mené ?
Pour l'heure, je me suis attelé à six catégories d'achats indirects, telles que les fournitures de bureau, où nous avons réduit le nombre de fournisseurs de trois à un et obtenu une révision tarifaire à la baisse. Pour optimiser les coûts, nous avons élaboré un catalogue produits commun propre à harmoniser les références d'une filiale à l'autre. Concernant la téléphonie mobile, je me suis inspiré de la méthodologie employée chez Schindler, en signant un accord global auprès d'un seul opérateur, contre deux auparavant. Pour en finir avec des modes de consommation disparates, nous avons réduit le nombre de forfaits d'une soixantaine à trois. Idem au niveau des modèles de téléphone, puisque les collaborateurs n'ont désormais le choix qu'entre trois types de terminaux mobiles. "Last but not least", ce nouveau contrat garantit un niveau de service plus élevé, incluant l'entretien et le remplacement régulier des appareils défectueux et ce, à un coût global très inférieur à celui négocié lors de nos précédents contrats. Autre catégorie optimisée : nos dépenses travel, via la définition et la mise en place d'une politique voyage commune, le référencement d'une seule agence contre quatre par le passé et la généralisation de notre self booking tool à toutes les entités du groupe. Grâce à toutes ces actions, nous avons réalisé des économies variant de 10 à 65 % selon les familles. L'objectif étant d'étendre une telle démarche d'optimisation aux autres catégories d'achats : maintenance des courants électriques, courrier, entretien des locaux...
Sur quelles ressources en interne vous appuyez-vous pour implémenter avec succès de telles actions ?
Je travaille de concert avec les moyens généraux, qui sont directement sous ma responsabilité. Nous misons ainsi sur la complémentarité : alors que je gère la stratégie sur chaque famille, ils se chargent de l'opérationnel. De cette manière, je peux les associer, à des degrés divers, au processus achats : formalisation des besoins, lancement des appels d'offres, élaboration du reporting, etc. Une démarche gagnant-gagnant pour chacune des parties. En effet, je peux m'appuyer sur une équipe qui a la connaissance de l'entreprise, un soutien essentiel pour définir les cahiers des charges en adéquation avec les besoins de chaque entité. En échange, je développe les compétences de mes collaborateurs afin qu'ils deviennent de vrais acheteurs autonomes. Car c'est bien la vocation d'une telle collaboration.
Un challenge qui semble ambitieux...
Effectivement. Un tel apprentissage doit s'organiser étape par étape, de manière à ce que l'acquisition des connaissances soit fructueuse pour les équipes. Car le développement de ces nouvelles règles et principes de fonctionnement achats suppose la remise en cause des habitudes maison. Si ce projet est chronophage - les équipes n'ayant jamais été formées aux achats auparavant -, il porte toutefois largement ses fruits. J'ai la chance d'être entouré de professionnels désireux de se familiariser avec des pratiques achats qui relèvent souvent du bon sens. L'expérience actuelle nous permet de confronter nos savoirs, et ainsi d'apporter plus de valeur ajoutée à la fonction achats, largement en phase avec la réalité de terrain et les attentes du management. Une configuration qui diffère de celle prévalant au sein des grosses structures, où la dimension théorique des achats prend souvent l'ascendant sur le volet pratique.
Être acheteur dans une petite structure comporte donc moult avantages...
Plus que jamais ! Je note d'ailleurs un autre gain, et pas des moindres : la plus grande réactivité dont je dispose dans une ETI. Exit les circuits de validation à rallonge ! Dans un grand groupe très "processé", on a souvent l'impression de se battre contre des moulins à vent. Là, il n'est pas nécessaire de se nourrir de présentations Powerpoint indigestes pour faire passer une idée ou une stratégie. Et chacun peut mesurer rapidement les effets concrets des actions mises en place. Quoi de plus motivant que de pouvoir assister en direct à l'aboutissement d'un projet mené de bout en bout ? Autant d'avantages qui ont, bien sûr, leur revers : l'absence, pour l'heure, d'outil d'e-procurement et de système de workflow de validation, ce qui rend plus complexe toute démarche de reporting achats, sans compter le risque continuel d'être happé par des problématiques purement opérationnelles... Sur ce point, je veille d'ailleurs à être très vigilant. Car mon objectif premier est de conserver une vision stratégique et sur le long-terme des achats, ce qui suppose une bonne dose d'organisation. Disons que c'est ma gymnastique au quotidien, dans un groupe qui n'a pas peur de faire évoluer son fonctionnement pour booster la professionnalisation de ses collaborateurs.