Comment les achats interagissent avec leur écosystème
L'acheteur est au coeur d'un écosystème dont il peut (aussi) devenir le coordinateur. En travaillant avec les acteurs les plus proches: les fournisseurs, mais aussi avec une myriade d'autres acteurs a priori très éloignés de la fonction achats. Point de vues livrés à l'occasion des 15 ans de l'Adra.
Je m'abonneAcheteurs et fournisseurs sont interdépendants. Et c'est ensemble, réunis dans une relation partenariale à laquelle ils associeront tout leur écosystème, qu'ils créeront de la valeur; voire inventeront les business models de demain. Voilà, en substance, le constat dressé au cours des échanges qui se sont déroulés la semaine dernière à l'occasion de la soirée d'anniversaire de l'Adra. L'Association des directeurs et responsables achats, qui fêtait ses 15 ans, a organisé une table ronde sur le thème de la place des achats dans leur écosystème, animée par Marc Debets (Buyo Group) et à laquelle participait Sarah Etcheverry, directrice achats, logistique et offre alimentaire de Compass Group, Karine Alquier-Caro, directrice des achats Groupe de Legrand et Thierry Bellon, directeur général aux achats de Air France.
Nos trois directeurs achats étaient "raccord": acheteurs et fournisseurs sont interdépendants puisque de la croissance de l'un dépend celle de l'autre, mais aussi car le fournisseur peut devenir client et le client devenir fournisseur. D'ailleurs, ne "les appelez plus fournisseurs", a insisté Natacha Tréhan, directrice du Desma de l'IAE Granoble, dans un keynote prospective qui envisageait l'acheteur à 15 ans. "Il y a des possibilités de reverse business: les fournisseurs sont des clients potentiels. Mieux vaut donc être orienté business et envisager la possibilité de créer de nouveaux business ensemble". Partenaires, donc.
Dans l'écosystème il y a... les fournisseurs/partenaires
Développer un écosystème, pour Sophie Etcheverry, directrice des achats de Compass, c'est travailler en direct avec les éleveurs pour "développer de nouveaux modes de production". Car, explique-telle, "dans nos restaurants, nous proposons des produits à valeur ajoutée qui ont plus de bénéfices pour les consommateurs, pour nous, et pour les producteurs qui dégagent ainsi une rémunération plus importante". L'important étant de nouer une relation équilibrée.... et "ne pas faire à autrui ce que l'on n'aime pas qu'on nous fasse". Une règle adoptée par Thierry Bellon, directeur général aux achats d'Air France, lui même confronté aux "monopoleurs" qui imposent leur loi. "Cette relation", explique-t-il, "nous a poussés à trouver une logique qui amène ces monopoleurs sur un autre terrain. Nous avons ainsi développé des partenariats avec eux. Nous avons, par exemple, valorisé notre savoir-faire d'exploitant en le mettant à leur disposition pour soutenir, dans un échange, leur propre stratégie".
Il en va de même pour la relation qu'Air France entretient avec ses propres fournisseurs: le groupe veille à adopter "une logique saine" afin de s'assurer que cette relation soit pérenne." Air France, complète le directeur général aux achats, est "notamment très attentif à la relation entretenue avec les PME et les ETI". "Les deals doivent être équilibrés", souligne Thierry Bellon. Quels que soient les rapports de forces en présence, donc, Air France essaie de "mettre en place des organisations qui entrent en résonance pour trouver ensemble de la valeur", convaincu qu'"on ne s'épanouit que dans une vraie logique de développement mutuel", a souligné Thierry Bellon.
Le degré du dessus, celui de la co-construction, a été amené par Pascal Zérates, directeur général de Videlio, entreprise de services numériques, qui a précisé que "chaque projet emmené par sa société (- tel l'hologramme de Mélenchon, si, si, c'était eux! -) est un ménage à trois: notre client, nos partenaires industriels et nous. Ensemble, nous construisons nos solutions afin de répondre au besoin. Le spectre de nos partenaires et vraiment très importants", a-t-il souligné. Air France investit également dans la co-construction: "nous abordons les PME dans une logique de complémentarité. Avec elles, nous arrivons à mener des projets innovants", se réjouit Thierry Bellon (NDLR: l'an passé, Air France a été primé à nos Trophées pour un projet de co-construction mené avec Silex, qui, grâce à ce travail, peut aujourd'hui travailler avec d'autres grands comptes. Lire l'article)
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Mais il y a aussi bien d'autres acteurs...
L'écosystème des achats ne se réduit pas au cercle des fournisseurs, aussi essentiel soit-il. Il se compose aussi de bien d'autres acteurs, comme en a témoigné Karine-Alquier Caro, qui voit d'ailleurs l'acheteur comme un coordinateur. La directrice achats Groupe de Legrand, qui "travaille beaucoup sur le création de valeur de toutes les parties prenantes, sur le territoire local, mais aussi à l'international", a évoqué un certain nombre d'actions RSE menées de par le monde: En Inde où Legrand, en relation avec le National productivity council (entité qui dépend du ministère de l'Industrie), participe à la mise en place de process de lean manufacturing, ou en Italie où son groupe, en lien avec des universités, fait des recherches sur les matières premières. En France également, Legrand travaille avec des universités sur l'utilisation de matières recyclées et régénérées, ainsi qu'avec des fournisseurs de matières plastiques régénérées et des fournisseurs de presses à injecter. "L'acheteur, a commenté Karine Alquier-Caro,"devient animateur pour créer de la valeur".
"Si je ne travaille pas avec le local, c'est terminé, je ne me développe plus. Il faut se couler dans les écosystèmes locaux, comprendre les problématiques locales pour y répondre et se développer. Nous avons vocation à dynamiser les territoires régionaux", a pour sa part appuyé Thierry Hellin, directeur général adjoint groupe juridiques, ressources humaines, risk management et services généraux du groupe Pierre & Vacances, qui participait, lui à une autre table ronde organisée durant la soirée. Aussi, la direction achats de Pierre & vacances privilégie-t-elle le tissu économique local et cultive-t-elle des liens forts avec les acteurs publics et associatifs des territoires sur lesquels le groupe est implanté ou compte le faire. Idem pour la Poste, mais dans un tout autre registre. Le directeur général adjoint de La Poste, Yves Brassard, a expliqué que, confrontée à une baisse du volume de courrier acheminé chaque année, La Poste est contrainte de se réinventer. Et pour développer de nouveaux business models, il lui faut s'appuyer sur l'écosystème. Pour maintenir les bureaux de poste dans les territoires ruraux, par exemple, elle confie cette mission à des commerçants. La Poste est aussi entrée en relation avec plusieurs collectivités pour leur proposer de lui confier le transport de certaines marchandises via sa flotte de véhicules électrique. Entre autres exemples.
Dans la rubrique des acteurs très éloignés des achats avec lesquels les acheteurs sont pourtant amenés à collaborer, on trouve même les ONG: Sarah Etcheverry a expliqué travailler avec L214 Ehique et animaux, car Compass ne souhaite pas se voir épingler pour des pratiques d'élevage non éthiques qui seraient pratiquées par ses fournisseurs. "L'image est importante pour le business", a-t-elle souligné.
Community manager, animateur de l'écosystème, responsable es ressources externes... l'avenir des achats se dessine de plus en plus loin de l'achat pur. Natacha Tréhan en est persuadée qui, dans sa keynote prospective, a expliqué qu'avec le développement des nouvelles technologies tels IOT ou blockchain, de l'intelligence artificielle et du machine learning, l'acheteur de demain... n'aura plus grand chose à faire à part mourir. Sauf s'il parie, selon elle, sur la RSE et sur l'open innovation en devenant animateur d'une communauté ultra connectée... qui débouchera sur une intelligence collective globale. Mieux: demain, pour Natacha Tréhan, les directions achats "devront cesser d'acheter pour aller vers une économie collaborative inter-entreprises".