Le portefeuille fournisseurs, une source d'innovation encore largement inexploitée
Organisée par les cabinets Clarans Consulting et Altares le 19 juin dernier, la table ronde des exécutifs de l'achat a montré que l'apport des fournisseurs à l'innovation, souvent pénalisée par un accès flou aux grands donneurs d'ordres, nécessite l'établissement de bonnes pratiques tous azimuts.
Je m'abonneLa fonction achats est souvent peu ou mal préparée à conduire l’intégration d’un processus d’innovation fournisseurs, du fait de relations de codéveloppement généralement pilotée par la R & D ou la direction technique sur les aspects d’innovation. Souvent, la fonction achats est impliquée trop tard, à la fin du processus, sur les aspects coût, qualité, délai. Il en résulte non seulement une sous-utilisation de la compétence fournisseurs par les acheteurs et des difficultés à identifier les potentialités fournisseurs pertinents sur certains segments, mais également des problèmes à gérer les risques (notamment de défaillance) associés à la collaboration avec ce type de fournisseurs. Sans parler d'une absence de participation active des fournisseurs en phase amont de développement des produits.
Par ailleurs, la contribution fournisseurs à l’innovation est souvent pénalisée par des conditions d’accès floues auprès de grands donneurs d’ordres et une méfiance légitime des porteurs de solutions sur les attendus et le partage de la rémunération. Ces difficultés se traduisent alors par une incompréhension réciproque des parties prenantes, dont la capacité de développement produits et services en est la victime collatérale.
Une tentative de définition de l'innovation
Outre une dizaine de directeurs achats “grands comptes”, la table ronde des exécutifs de l'Achat réunissait des représentants d’Oséo(1), du Comité Richelieu et de la Médiation inter-entreprises, ainsi que trois PME dont l’ambition était de comprendre les modalités d’accès aux grands donneurs d’ordres. Les participants se sont accordés sur deux définitions simples de l’innovation :
1. L’innovation recouvre la mise au point ou l’adoption de méthodes de production ou de distribution nouvelles ou notablement améliorées.
2. L’innovation inclut toutes les nouveautés marketing, organisationnelles ou managériales intégrant de nouveaux concepts produits, de services, de designs ou de méthodes de vente visant à accroître l’attrait de l’offre ou à pénétrer de nouveaux marchés. « Une offre qui rencontre une demande marché, et voilà une simple idée qui devient une innovation à part entière », souligne Guy Elien, directeur associé de Clarans Consulting.
Un investissement médiocre dans la R & D à l'échelle nationale
L’intervention d'Annick Hercend, du Comité Richelieu, donne la mesure des obstacles culturels qu’il reste à franchir pour parvenir à l'excellence en Europe. La France se situe ainsi au dixième rang européen en matière d’innovation, derrière les pays scandinaves, l’Allemagne et le Royaume Uni. 50 % des grandes entreprises françaises (6e rang en Europe) et 15 % des PME (14e place en Europe) sont innovantes en produits. Aucune entreprise française n’est présente au classement des 50 premières entreprises mondiales les plus innovantes de Business Week/BCG. 30 % des entreprises innovantes n’ont pas d’activités de R & D, contre 46 % dans le reste de l’UE. La R & D n’est ni une condition nécessaire, ni suffisante pour être innovant. Moins de 2 % du PIB Français est consacré à la R & D. « Contrairement à beaucoup de nos partenaires commerciaux anglo-saxons ou asiatiques, nous constatons régulièrement que l'acheteur français installe une “certaine distance hiérarchique artificielle” entre lui et les PME, ce qui le coupe potentiellement d’opportunités extérieures faciles à saisir, et du coup décourage bon nombre de start-up innovantes », a affirmé Annick Hercend.
Même s’ils rêvent d’un “Small Business Act” à la française, les directeurs achats précisent que le risque lié à la pérennité moyen terme des PME innovantes reste un enjeu majeur dans l’évaluation des partenaires potentiels. La génération de revenus suffisants reste un obstacle important à la levée de fonds nécessaires à toute innovation majeure et à l’engagement d’exclusivité des parties prenantes.
Même si les directions achats restent des vecteurs d’importation majeurs de l’innovation dans l’entreprise, elles n’ont pas vocation à se positionner comme le protagoniste unique de l’introduction de solutions innovantes dans l’entreprise. Les PME innovantes ne devraient pas exclusivement passer par les achats, mais tenter de développer des relations privilégiées avec les équipes techniques. « Les organisations achats matures acceptent cela et encouragent ce type de relation », a indiqué Jean-Marie Guieau de GDF-Suez, argumentant que les bureaux d’étude, la R & D ou le marketing ont tout autant de responsabilités à porter sur ce point. « Cette responsabilité est à partager entre l'acheteur, noyé sous les sollicitations de tous ordres, et le technicien/ingénieur français, qui souvent n'est pas assez orienté business et besoin client », a souligné Alain Desmottes de Thales.
Au-delà des nouvelles compétences nécessaires à la conduite de projets multifonctionnels, dont nous pourrions avoir besoin pour soutenir ce type de démarche, c’est avant tout une recherche des bons équilibres de la relation que les directions achats doivent conduire, en renforçant les règles d’éthique afin de préserver la propriété intellectuelle et industrielle des intervenants. Les débats se sont conclus sur la présentation de deux initiatives/outils intéressants en matière de conduite de projets d’innovation : le Peak Index (Purchasing European Alliance for Knowledge) et la MIM (Monier Innovation Matrix).
Quelles bonnes pratiques mettre en place ?
Les entreprises innovantes en nouveaux produits et nouvelles façons de faire ont besoin d'être soutenues grâce à la mise en place de groupes multifonctionnels qui recueillent et évaluent les initiatives fournisseurs. Il faut aussi considérer ses fournisseurs majeurs comme des pourvoyeurs de solutions possibles et susciter les partenariats et les initiatives (internes et externes), concourant à l’amélioration de la qualité perçue et à l’apport de valeur ajoutée.
La mise en place et le respect de gouvernances juridiquement stabilisées, l'établissement d'un cadre structuré et normé de la gestion de projet sont aussi recommandés. La chaîne de valeur doit être mise en perspective de façon à rendre l’entreprise, au sens large, plus agile. À terme, ces initiatives devraient se traduire par l’évolution des organisations achats (formation, nouveaux objectifs), ainsi que par la mise en place d’indicateurs de performance pertinents permettant la mesure de la capacité des acheteurs à mobiliser et à fédérer, leurs fournisseurs et à permettre l’émergence d’idées nouvelles. De nouveaux processus transversaux favorisant la transversalité et de nouvelles compétences dans la gestion de projets devraient également être déployés. L’écoute clients et fournisseurs est à renforcer pour capter les attentes et les défaillances d’usage. Il est nécessaire de se concentrer prioritairement sur les besoins clients et de challenger les convictions de l’entreprise et l’innovation autocentrée.
(1) Signalons à cet égard qu'Oséo, représenté par Sylvie Cogneau, a mis en place un sourcing qualifié des PME innovantes à destination des grands comptes.