"L'acheteur est le garant du respect de l'obligation de vigilance et diligence raisonnable de son entreprise"
Quelle est la responsabilité des entreprises à l'international ? Quel rôle doit jouer l'acheteur? Réponses avec Anne le Rolland, PDG Groupe d'ACTE International, prestataire en global supply chain management à l'occasion de la journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail le 28 avril.
Je m'abonneSelon vous, la loi sur le Devoir de Vigilance, adoptée en deuxième lecture à l'Assemblée Nationale le 23 mars dernier, est-elle une solution ?
Anne Le Rolland : Le texte de loi, moins exigeant que le projet initial, constitue tout de même le socle d'un cadre législatif français contraignant en matière de responsabilité sociale, éthique et environnementale à l'international. La clé de voûte de cette proposition de loi réside dans la contrainte de mise en oeuvre d'un " plan de vigilance " comportant des mesures pour identifier et prévenir les risques. Les entreprises doivent donc renforcer leur niveau de diligence raisonnable afin de sécuriser leur supply chain internationale. Elles peuvent procéder à des vérifications avant toute transaction, pour se faire une idée précise de la situation sur le site de production. Le supply chain manager d'aujourd'hui ne peut faire l'impasse sur les risques économiques, financiers, juridiques et de réputation liés à sa responsabilité, même indirecte, de donneur d'ordre.
On remarque par ailleurs, un engagement de plus en plus marqué de certains donneurs d'ordre dans des pratiques d'achat responsables (Projet d'ISO 20400) et la mise en place de politiques RSE ambitieuses. Ces entreprises montrent qu'il est possible d'être compétitif tout en faisant fabriquer ses produits dans des conditions acceptables. Une prise de conscience des consommateurs parait également essentielle aujourd'hui. Le consommateur actif peut jouer un poids important dans le changement des pratiques en choisissant d'acheter en conscience et de manière " responsable ".
Quel est le rôle de l'acheteur?
Anne Le Rolland : Le rôle de l'acheteur est à la hauteur des responsabilités qui lui sont confiées dans sa fiche de mission. S'il est seul à décider du référencement d'un nouveau fournisseur, il est le garant du respect de l'obligation de vigilance et diligence raisonnable de son entreprise. Il ne passe pas de commande avant d'avoir validé par un audit social que l'usine est conforme aux exigences de sécurité au travail et toutes les autres conventions internationales du travail. Si son rôle est " seulement " de proposer de nouveaux fournisseurs, il devient un des maillons clés du dispositif de responsabilité sociale et environnementale de son entreprise. Il est en première ligne lors de ses déplacements dans les usines pour détecter des situations à risque, alerter son responsable supply chain, et déclencher un audit social d'une tierce partie. Au minimum, l'acheteur applique et fait respecter les engagements éthiques et sociaux de son entreprise en intégrant les termes du code de conduite dans ses négociations d'achat. Il prend connaissance du rapport d'audit social et s'implique dans le suivi des actions correctives demandées à l'usine.
Acte International réalise des audits sociaux principalement à la demande des donneurs d'ordre français et européens chez leurs fournisseurs et sous-traitants en Asie et au Maghreb. Quel est le rôle de ces audits ?
Anne Le Rolland : Nous réalisons depuis plus de 15 ans des audits sociaux dans de nombreux pays (Chine, Bangladesh, Inde, Tunisie, Maroc, Turquie, etc.) Les auditeurs contrôlent les conditions de travail dans les usines en termes d'hygiène, de protection, et bien sûr, de sécurité. La première étape est de vérifier, à minima, la conformité des pratiques avec le droit national et les conventions internationales. Ensuite, l'audit est adapté en fonction de la filière d'activité de l'usine. Les enjeux de sécurité seront différents pour un ouvrier du textile travaillant avec des bains de teinture que pour un employé dans le secteur nucléaire. Nous remettons par la suite un rapport d'audit et un plan d'actions correctives à l'entreprise donneuse d'ordre. Acte International accompagne également le site de production sur place pour résoudre les insuffisances détectées.
Au cours de ces audits sociaux, que constatez-vous sur les conditions de travail dans les usines à forte main d'oeuvre des pays en voie de développement ?
Anne Le Rolland : Contre toute attente, les réglementations nationales dans ces pays sont souvent bien adaptées aux risques.Malheureusement, la santé et la sécurité au travail n'y sont pas prioritaires. L'insuffisance chronique de gouvernance des états, et l'absence de contrôles, favorisent le laxisme de certains patrons d'usines qui opèrent en quasi impunité.
De plus, le coût lié aux accidents du travail et aux maladies professionnelles est trop faible dans ces payspour espérer faire de la prévention.De ce fait, nous constatons encore beaucoup d'absence de précautions minimum de sécurité : issues de secours fermées, escaliers trop étroits, systèmes d'aération inexistants, installations électriques déficientes, etc. En revanche, les nouvelles usines qui se construisent dans ces pays sont largement à la hauteur des exigences environnementales et de sécurité de l'Union Européenne.
Quel est le risque pour les entreprises donneuses d'ordre qui commercent avec de telles usines ?
Anne Le Rolland : Dans le cas de l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui avait fait plus de mille victimes en 2013, les marques impliquées dans l'accident ont dû indemniser les familles. Depuis ce drame, les entreprises ont pris conscience qu'elles sont exposées à un risque de condamnation et à un risque sur image important. Pour autant, les mauvaises pratiques existent encore chez les fournisseurs...