Recherche
Mag Décision Achats
S'abonner à la newsletter S'abonner au magazine
En ce moment En ce moment

(Tribune) Le taux de dépendance fournisseur : un des derniers grands mythes des achats

Publié par le - mis à jour à
(Tribune) Le taux de dépendance fournisseur : un des derniers grands mythes des achats

L'exploitation abusive, par une entreprise, d'une position dominante est prohibée par le droit de la concurrence. Mais les risques encourus incitent-ils réellement les entreprises à écarter les prestataires jugés trop fragiles, alors qu'ils pourraient leur apporter beaucoup ?

Je m'abonne
  • Imprimer

La relation de dépendance économique est caractérisée, dès lors qu'il est établi qu'une entreprise se trouve dans l'impossibilité de substituer à son donneur d'ordres, un ou plusieurs autres donneurs d'ordres, de façon à faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables. Et, selon le droit de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise d'une position dominante est prohibée sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, et L. 420-2 du code de commerce.

Pour autant, les entreprises veillent-elles particulièrement au taux de dépendance et écartent-elles des prestataires afin de ne pas risquer de travailler avec un fournisseur trop dépendant ? Cette question épineuse est capable de faire murmurer bien des services achats. Pour tenter d'y répondre, j'ai d'abord sollicité Pierre Pelouzet, Médiateur national des relations interentreprises. L'un des objectifs de la Médiation interentreprises, qui dépend du ministère de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique est, en effet, de rebâtir la confiance entre les entreprises.

"Le taux de dépendance économique est un mythe sur lequel jouent certains services achats", assène Pierre Pelouzet. "La véritable question est l'abus de dépendance économique, arsenal destructeur d'innovation. Pourquoi imposer un pourcentage et sur quelle base, au lieu d'évaluer le rapport de force ? Quand on apprécie son fournisseur et que la relation est équilibrée, pourquoi mettre cette PME en danger ? On va plutôt l'aider à développer son business pour la rendre plus autonome, plus performante, plus collaborative. En pilotant en toute transparence la relation fournisseur, on prévient cette dépendance en posant les mécanismes adaptés. Un ­service achats peut se mettre délibérément en position de domination face à son fournisseur", complète Pierre Pelouzet. "Il peut lui demander tout et n'importe quoi et se comporter de manière excessivement légère. Il s'agit de ne pas profiter de sa force de manière ­outrancière ; cette attitude, souvent inconsciente indique que l'acheteur manque de clés comportementales face à son fournisseur."

L'acheteur doit savoir prendre des risques et doit être soutenu par sa hiérarchie. Ils doivent ensemble bien les mesurer et les qualifier. Un manque de dialogue occasionne trop souvent la faillite de certaines PME. "Le travail de la Médiation interentreprises et les engagements de la Charte et du Label relations fournisseur responsables améliorent cette dépendance potentielle vis-à-vis de ses fournisseurs", assure Pierre Pelouzet.

Le spectre de dépendance entraînant sa cohorte de tribunaux et de condamnations est un mythe

Ce taux de dépendance mythique est parfaitement destructeur ; il restreint les potentialités de business et tue l'innovation. Par définition, l'innovation est plutôt portée par des petites structures. L'acheteur, en instaurant un meilleur dialogue, incite à l'innovation et a tout intérêt à développer un partenariat construit et sain. "C'est un sujet de stress géré par les acheteurs "en copie cachée" avec très peu d'actions collaboratives entre donneurs d'ordres et fournisseurs. Pour dynamiser la relation, il faut outiller le dialogue en caractérisant la situation au cas par cas", explique Françoise Odolant, responsable du pôle acheteurs, chartes et label à la Médiation interentreprises et des marchés publics.

La CDAF travaille aussi sur ces enjeux. "Comme le préciserait Marc Sauvage, président national de la CDAF, notre ADN s'articule autour de l'ancrage de la fonction achats au sein de l'organisation", commente Bernard Monnier, président de la CDAF Île-de-France, et auteur de La Route des innovations. "Nos réflexions sont fortement orientées vers la relation durable et responsable avec ses fournisseurs et s'appuient sur la Charte relations fournisseur responsables."

"Mes activités m'ont très naturellement orienté vers l'innovation propice à ce risque de dépendance", ajoute Bernard Monnier. "Un fournisseur va proposer une solution très spécifique, à un niveau d'expertise élevé. Ce sont souvent des structures petites et innovantes, qui se positionnent sur un marché monopolistique. Leurs spécificités en font des PME attractives, performantes et flexibles, mais également fragiles et à l'équilibre précaire." Ces partenariats, poursuit-il, "aboutissent souvent à un taux de dépendance très élevé. Quelle attitude adopter ? Arrêter tout projet de collaboration ? Passer à côté d'une potentielle innovation de rupture, riche en création de valeur ? Renoncer à la croissance et une forte compétitivité que le contrat d'un grand groupe pourrait générer ? Je préfère saisir l'opportunité plutôt que de trembler face à une prise de risque. Le véritable risque serait de se priver de cette organisation innovante."

Lire la suite en page 2 : "Il va falloir accepter des taux de dépendance au départ très élevés


Il va falloir accepter des taux de dépendance au départ très élevés...

Il s'agit d'agir en acheteur responsable, selon des processus complètement différents de ceux qu'on a coutume d'utiliser. Il faut savoir être un GPS (gestionnaire de partenariats stratégiques - cf. La Route des innovations) pour conduire vers l'innovation. Il va falloir accepter des taux de dépendance, au départ, très élevés tout en accompagnant la PME. Je repense à une start-up de trois personnes située dans le Sud-Ouest. Cette TPE est devenue, en moins de cinq ans, la PME innovante de référence d'un centre de recherche dans le domaine du spatial. Grâce à un bon pilotage, d'une dépendance de départ à plus de 80 %, nous avons aidé cette PME à se diversifier et avons réduit ce taux.

Pour Jean-Arthur Pinçon(1), du cabinet MA Consulting, longtemps professeur au MAI et à la CDAF, auteur de la célèbre méthode Opera®, le premier risque est bien le risque pris par le fournisseur lui-même. Sur quels critères un acheteur aurait-il la compétence pour définir le ratio de dépendance "raisonnable" à appliquer ? Être dépendant à 80 % génère, parfois, des marges et une sécurité grâce auxquelles le fournisseur sera mieux armé et plus compétitif.

La variation du fameux pourcentage de mesure du risque économique peut aller de 20 à 40 %, ce qui prouve qu'elle ne s'appuie pas sur grand-chose. Une TPE de prestation de services qui réalise 100 000 € de chiffre d'affaires, bridée par un contrat à 20 %, ne pourra réaliser, aussi innovante soit elle, plus de 20 000 € par an avec le même client. Cela représente moins de 10 % de son temps disponible sur une base de facturation de 1 000 € par jour, ce qui est ridicule.

Le dogmatisme, sur ce thème, semble être hors sujet ; le bon sens reste sans doute la seule règle valable et certains services achats ont tout lieu de réinventer leurs relations fournisseurs. " Acheteurs, n'ayez pas peur d'avoir des idées ! ", affirme Pierre Pelouzet.

(1) À paraître prochainement, de Jean-Arthur Pinçon, aux éditions L'Harmattan, Réformer les achats publics : un enjeu de plus de 30 milliards !

Dominique du Paty de Clam est la fondatrice de Handiréseau. Son cabinet accompagne les entreprises dans la définition et la mise en oeuvre de leur politique achats avec le secteur adapté et protégé. Dominique du Paty de Clam a, notamment, été chargée de projets et d'achats en entreprise.

 
Je m'abonne

NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles

La rédaction vous recommande

Retour haut de page