Comprendre la structure d'un prix fournisseur donne un avantage compétitif
Réduction des coûts ou performance du prix? Que visez-vous quand vous négociez avec un fournisseur? En travaillant la structure du prix vous pouvez atteindre les deux sans presser le fournisseur comme un citron!
Je m'abonneSur quelle base négocier un prix fournisseur? Des données marché qui ne donnent qu'une vision générale du comportement prix d'un produit ou d'un service? Les volumes que vous pouvez attribuer? La mise en compétition fournisseur? Dans 98% des cas les négociations sont encore abordées de cette manière. Or, il paraît difficile de négocier efficacement si on ne sais pas de façon précise comment est construit le prix fournisseur.
La pression sur les fournisseurs crée une situation conflictuelle à laquelle ces derniers répondent par des arguments factuels difficilement opposables du type hausse des matières premières, de l'énergie, de la main d'oeuvre. Mais sans connaître les coûts de production réel d'un produit, l'acheteur reste dans le noir. Quelle est la marge initiale du fournisseur? Quel potentiel d'amélioration peut-on avoir? Comment mesurer l'effet d'une augmentation de volume?
Avant même de chercher à négocier le prix il faut pouvoir être sûr d'être au bon prix, at cost, dès le départ en travaillant sur le premier cycle de vie du produit. "Au-delà de la quête de réduction de prix on va vers la performance du prix", indique Olivier Brongniart président fondateur de Cost House.
Pour qu'une démarche sur la structure des coûts soit efficace il est nécessaire de :
- mettre en place des cellules de costing au sein de la fonction achats et de former les managers pour qu'ils gagnent en compétences techniques.
- développer la capacité à collecter et mettre à jour les données de base.
- établir des modèles de coûts
- implémenter des outils de BI pour piloter l'ensemble
Lire la suite en page 2 - quelle méthode de calcul?
En ce qui concerne la construction des modèles de coût deux approches sont possibles : l'approche analytique, qui consiste à comprendre techniquement le produit via une décomposition étape par étape de ce dernier en vue d'en reconstituer le coût, et l'approche paramétrique qui elle donne une vision statistique externe du comportement coût d'un produit d'après des paramètres types (taille/poids/pays d'approvisionnement). Sur ce point tous les consultants s'accordent à dire qu'il faut combiner les deux approches lorsqu'on est sur un projet global.
Les outils informatiques pour piloter ces modèles existent et sont efficaces. Parmi les plus connus on peut citer Cleopatra et TechniQuote. On constate d'ailleurs un mouvement assez fort pour développer ce type d'outils et libérer du temps aux acheteurs. Le frein ne se situe donc pas au niveau des outils mais bien des compétences.
"Il faut repositionner les acheteurs sur la valeur ajoutée. Et pour comprendre l'implication de chaque intrant et de chaque action menée sur un produit rien de tel que le terrain", estime David Bocher, co-fondateur, directeur associé de Octoplus Consulting. En effet, toutes les entreprises mettent en place des systèmes de décomposition des prix sur la base des informations fournisseurs mais il ne s'agit pas d'analyse de coût sur le réel. "Le fournisseur a tendance à mettre des marges cachées. Ces données ne reflètent donc pas la réalité du marché. On ne peut pas faire de l'analyse de coût uniquement à partir d'un logiciel derrière son bureau." Se priver d'un audit fournisseur sur site serait une grave erreur.
Zoom
L'expérience des Galeries Lafayette sur l'achat de luminaires.
L'achat de luminaires est un poste très important pour le secteur du retail. Non seulement l'éclairage représente 40% de la facture énergétique d'un magasin mais en plus il agit de façon marquée sur l'achat d'impulsion des visiteurs. Autant dire qu'il ne faut pas se tromper et qu'il vaut mieux avoir une connaissance et une traçabilité précise de la façon dont est fabriqué le produit. "C'est d'autant plus vrai qu'il ne s'agit pas de matériel standard. Il y a beaucoup de sous composants dont la qualité est très variable", indique Jean-François Campoli, responsable des achats investissements et maintenance aux Galeries Lafayette.
Mieux vaut être expert sur sa famille de produits donc. "La particularité des achats techniques aux Galeries Lafayette est que tous les acheteurs sont avant tout des ingénieurs. Nous leur demandons d'être de brais experts technique pour avoir une compréhension totale de tous les composants des produits qu'ils achètent et de leur impact sur le produit", souligne Jean-François Campoli. Ils seront en outre capables de faire un benchmark sur les produits comme sur les fournisseurs. "Notre légitimité vient de notre capacité à apporter de l'intelligence à toutes les fonctions."
Concernant l'achat de luminaires, la division achats investissements et maintenance des Galeries Lafayette a d'abord demandé toutes les fiches techniques des produits concernés puis des échantillons aux différents fournisseurs. "Nous avons tout démonté et avons même pris des exemplaires similaires dans nos magasins pour comparer, explique Jean-François Campoli. Nous avons quelques surprises mais nous avions pour nous des critères mesurables et objectifs." Imparable!
Lire la suite en page 3 - Des enjeux multiples
Certes une telle démarche représente un investissement temps et hommes important. Mais les enjeux sont multiples. Ils concernent bien évidemment la performance de l'achat mais également la qualité de la relation client/fournisseur ainsi que la crédibilité et la valeur ajoutée de l'acheteur en interne.
La performance de l'achat. Une analyse de la structure des coûts fournisseur permet donc d'établir des modèles de coûts précis pour chaque produit ou service et de faire du design ou du redesign to cost. "Le redesign to cost est une démarche plus longue (18 mois en moyenne) mais les gains sont beaucoup plus importants. Quand la négociation fait gagner 5 à 10% sur le prix final, le redesign to cost en fait gagner 10 à 40%", assure Alberto Buron, expert achats chez Cylad Consulting.
Connaître et aborder point par point de façon factuelle chaque ligne de coût d'un produit permet de travailler sur les points d'inefficience et les incohérences au niveau des différentes manipulations, d'éliminer les doublons entres les actions de votre fournisseur et les vôtres sur les vérifications qualité par exemple. "Aller en usine permet d'appréhender les inducteurs de coût du fournisseur. L'acheteur a enfin accès aux charges indirectes du fournisseur", souligne David Bocher.
L'accès à l'ensemble de ces données très stratégiques peut changer la boucle d'approvisionnement. L'acheteur est désormais en mesure de connaître le meilleur prix atteignable selon le pays ou la zone sélectionnés et améliorer les BLC (best landed cost). On garde l'esprit ouvert au-delà du panel fournisseur établit. La démarche offre aussi une dimension prévisionnelle intéressante. "On va faire travailler ensemble les acheteurs famille qui par leurs analyses terrain vont consolider une base de connaissance au travers de cost models et les acheteurs projet vont pouvoir utiliser ces observations pour chiffrer les projets à venir", détaille David Bocher de Octoplus Consulting.
Interview de Brice Hamel, costing expert chez Faurecia
"Avoir un costing expert assainit la relation fournisseur et donne de la visibilité sur les prix"
Pourquoi avoir mener un travail sur la structure des coûts?
Chez Faurecia nous avons la particularité d'être à la fois donneur d'ordres et fournisseur dans la mesure où nous achetons des pièces automobiles que nous assemblons après y avoir ajouté un certain nombre d'éléments que nous produisons. L'ensemble, dont 60% environ sont des pièces achetées, est ensuite vendu à nos clients constructeurs. Il est donc impératif d'être au bon prix dès le départ. Travailler la structure des coûts nous apporte de la sécurité : nous sommes sûrs de faire appel au bon fournisseur et de l'efficience de son process. Avec 17 usines en Europe nous avons aussi besoin de déterminer le meilleur BLC (best landed cost) pour chaque type de pièce. Enfin, c'est un apport de sérénité dans l'organisation de Faurecia. Il est désormais plus facile d'expliquer un prix en interne et de le justifier auprès des nos clients constructeurs. L'intérêt est donc double : à la fois pour nos commodity managers et pour nos sales managers.
Comment avez-vous développer une telle démarche?
Nous avons commencé à travailler il y a 7 ans avec Octoplus Consulting qui nous a d'abord accompagné puis formé afin que nous soyons autonomes. Depuis 3 ans cela fonctionne vraiment bien. Nous avons créé un poste spécifique de "costing expert" intégré aux achats pour chacune de nos régions stratégiques (les Etats-Unis, l'Europe et la Chine). La méthode consiste à faire un état des lieux des coûts de production fournisseur en faisant des audits terrain en usine puis d'optimiser les process au maximum selon nos besoins. Chaque pièce a ainsi son cost model avec un planning d'optimisation pour réduire les coûts sans impacter la marge du fournisseur. Nous avons mis cette procédure en place sur les achats de production qui touche nos 9 familles d'achats.
Quel est le rôle d'un costing expert?
Le costing expert a plusieurs missions : il fait du cost audit chez le fournisseur, construit les modèles de coûts produits et sur chaque pièces utilisées, vérifie qu'on paye toujours le bon prix. Mais il doit être neutre, c'est pourquoi nous distinguons le cost expert de l'acheteur. Il ne fait pas de négociation avec le fournisseur. Son rôle est donner de la visibilité sur le prix. Il met les données prix à plat, fait des recommandations d'optimisation et donne la main à l'acheteur pour la partie négociation. Les relations avec les fournisseurs sont assainies, apaisées et nous pouvons travailler sur du long terme.
Lire la suite en page 4 - La relation fournisseur transformée
La relation client/fournisseur transformée. "Signer un contrat à perte est une bombe à retardement alors que travailler sur la structure du coût permet un dialogue avec le fournisseur orienté valeur", rappelle Olivier Brongniart de Cost House. Ici l'objectif est de travailler le coût sans presser la marge. Mais à l'inverse on peut aussi facilement démonter le bluff d'un fournisseur sur une hausse de prix injustifiée. "On négocie de manière factuelle, plus rapide et en transparence. La relation fournisseur s'en trouve apaisée, plus durable et plus sûre", souligne David Bocher.
Une compréhension mutuelle de la réalité des coûts s'instaure et permet de définir en confiance les segments sur lesquels ce fournisseur sera le mieux placé. "Avec une telle compréhension du coût vous pouvez définir le fournisseur idéal et travailler main dans la main pour monter un plan d'optimisation sur plusieurs années. Les effets induits étant la réduction du temps de réponse à appels d'offres et le temps passé en négociation", affirme Philippe Tura, directeur achats chez Sogefi au moment où il a déployé la méthode d'Octoplus Consulting.
Le rôle de l'acheteur valorisé. Un acheteur ne devrait jamais se trouver en défaillance vis-à-vis des ingénieurs métiers comme des fournisseurs sur les achats techniques. En travaillant sur la structure des coûts, l'acheteur gagne en connaissance, en compétence et en expertise. En interne, il est perçu différemment et passe du statut d'acheteur-pompier ou acheteur-approvisionneur à celui d'acheteur à valeur ajoutée.
Grâce à ses connaissances techniques, factuelles et concrètes, l'acheteur est assuré d'être toujours au bon prix. Sa confiance dans l'atteinte des objectifs fixés s'en trouve renforcée, il peut expliquer facilement le pourquoi d'un prix ou d'une hausse de prix au comex. Il n'est plus critiqué ou attaqué sur ses arbitrages. Au contraire il est force de proposition auprès des autres fonctions. L'ensemble d'une telle démarche permet ainsi aux acheteurs individuellement comme à l'ensemble de la fonction achat de gagner en maturité.