Achats/juridique: cap sur la collaboration
De nombreux sujets que les acheteurs traitent quotidiennement ont trait au juridique. Pourtant, la relation entre les directions achats et juridique n'est pas au beau fixe. Il est donc essentiel de revoir l'organisation, les process et les outils afin qu'une réelle collaboration se mette en place.
Je m'abonne Parmi les décideurs achats, 70% considèrent que leur relation avec la direction juridique n'est pas optimale (étude Wavestone/+Avocats de 2016). "Il existe plusieurs raisons à ces problèmes relationnels, commente Franck Levy, directeur finance et performance chez Wavestone. Tout d'abord, la disponibilité des juristes qui ne sont pas en nombre suffisant pour pouvoir répondre aux demandes. Il y a également un problème de timing: la collaboration arrive trop tard, à un moment où apparaissent des tensions. Enfin, les priorités divergent."
En effet, 60% des décideurs achats interrogés invoquent la disponibilité des juristes, 56% la collaboration trop tardive au sein du processus et 49% des priorités divergentes. "La direction des achats peut trouver la direction juridique trop tatillonne et penser qu'elle lui fait perdre son temps. Elle peut penser maîtriser les contrats car elle en signe depuis longtemps et connaît la réalité du terrain. La direction juridique peut quant à elle se sentir mal à l'aise de valider une opération dont elle ne connaît pas tous les tenants et les aboutissants", complète Didier Dalin, président d'In Extenso Avocats.
Il est pourtant essentiel que les directions achats et juridique collaborent au quotidien, notamment autour des contrats. "La collaboration entre la direction achats et la direction juridique devient importante, même dans les petites PME, car toutes les sociétés externalisent désormais de nombreuses prestations", insiste Didier Dalin. Mais comment favoriser cette collaboration? Au programme: organisation, processus, règles mais aussi formation et dialogue.
Contrats, concurrence et conformité
Premier sujet de collaboration des directions achats et juridique: les contrats. Un sujet de plus en plus important au regard de l'évolution de la législation dans ce domaine. "Rupture des pourparlers, rupture des relations commerciales établies, notion de prêt de main-d'oeuvre... Ces évolutions législatives font de plus en plus porter de responsabilités au client et renforcent donc le rôle du juriste auprès de la direction achats", estime Didier Dalin. En effet, pour être sûr de ne pas commettre d'impairs, les achats doivent verrouiller juridiquement toutes leurs relations commerciales. Franck Levy, de Wavestone, pointe également la montée en puissance des achats d'innovation qui nécessitent à la fois de travailler de manière plus rapide mais aussi d'intégrer de nouveaux fournisseurs. Cela sans pour autant détériorer l'acte d'achat. "Car des enjeux financiers y sont associés", souligne-t-il. Il cite l'étude réalisée avec +Avocats qui révèle également que plus de 70% des directions achats ne mesurent pas les risques associés à leurs contrats. "Or, les personnes qui mesurent ce risque estiment pourtant que l'enjeu peut dépasser plusieurs dizaines de millions d'euros", poursuit-il. Les achats auraient donc tort de se priver de l'apport du juridique au niveau des contrats, tant les risques encourus, pénaux mais également financiers, sont importants.
Martine Wallimann, directrice de la division juridique et conformité au sein de Synapscore, société qui propose une plateforme de management collaboratif, des contenus numériques et des services associés pour favoriser l'intelligence collective au sein des entreprises, avance d'autres sujets sur lesquels la collaboration entre achats et juridique est essentielle: les pratiques anticoncurrentielles et la dépendance économique. "Les notions de concurrence et d'abus de position dominante sont souvent négligées par les acheteurs, ce qui est catastrophique", pense-t-elle. Le service juridique est, là encore, essentiel pour inviter les acheteurs à être vigilants sur ces points, à les amener à vérifier qu'ils ne se retrouvent pas dans des situations gênantes sans le savoir. "On peut facilement se retrouver dans une situation d'entente, par exemple. En étant fournisseur d'une branche d'un grand groupe et en même temps client", avance Martine Wallimann. La collaboration entre les directions achats et juridique permet d'identifier les risques de ce type et de les gérer.
Enfin, la direction juridique est essentielle aux achats sur les questions de conformité: en France, la loi Sapin II oblige à vérifier les pratiques en termes de corruption et de conflits d'intérêts de ses fournisseurs. Une nouvelle fois, sur ces sujets, le juridique et les achats doivent collaborer pour s'assurer que l'entreprise est bien en conformité avec la réglementation en vigueur dans les différents pays d'exercice.
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Faire intervenir le juridique en amont
Si la nécessité d'une collaboration efficace entre achats et juridique n'est donc plus à prouver, il s'agit de lever les freins à une bonne entente entre les deux directions. Franck Levy recommande de transformer l'organisation de la société en créant un poste de contract manager. "Il s'agit d'une personne avec une casquette opérationnelle, formée par des juristes, et qui suit le contrat du début à la fin", décrit-il. C'est donc lui qui fait le lien entre les différentes directions qui gravitent autour du contrat. Sans aller jusqu'à cette création de poste, une nouvelle organisation peut être trouvée entre les services existants. Didier Dalin, d'In Extenso Avocats, conseille aux acheteurs d'intégrer le juriste aux discussions avec le fournisseur dès l'origine du contrat. "En étant présent dès l'origine, le juriste suit l'évolution du contrat et peut ainsi conseiller aux acheteurs de faire attention", pense-t-il. Un juriste peut donc être présent dès l'appel d'offres, lors des réunions de négociations avec les fournisseurs, pour commencer à parler juridique en même temps que prix et prestations réalisées.
Xavier Marchand, avocat associé au sein de Carakters, cabinet en gestion des contrats et des risques, conseille à la direction achats, à la direction juridique, mais aussi à tous les services concernés par un nouveau contrat, de construire ensemble un tableau Excel listant tous les besoins. "Il s'agit d'entrer dans le détail, en allant même jusqu'au format des factures si nécessaire. Ensuite, à chaque case du tableau Excel correspondra une clause du contrat: spécificités techniques, confidentialité, etc.", ajoute-t-il. Un travail en amont qui fait gagner du temps et qui permet également que toutes les personnes concernées par le contrat le comprennent. "Un bon contrat est quelque chose qui dit clairement ce pourquoi on s'est mis d'accord", déclare Xavier Marchand.
Franklin Brousse, avocat spécialisé dans les achats indirects innovants, informatiques et télécoms au sein du cabinet +Avocats, invite quant à lui à définir des règles de fonctionnement entre les deux directions. "Les achats doivent se coordonner avec les juristes pour savoir quand et comment faire intervenir le service juridique, en fonction des typologies d'achat, du montant, de la nature du contrat, mais aussi du niveau de formation et de maturité juridique des acheteurs", indique-t-il. Car si l'acheteur n'a pas vocation à connaître l'environnement réglementaire, il doit savoir négocier certaines clauses comme celle relative aux pénalités ou aux conditions financières. "Cela permet de ne plus faire intervenir la direction juridique sur des questions basiques que l'acheteur peut régler seul : la direction des achats gagne ainsi du temps et peut signer plus rapidement et les juristes gagnent en qualité de relation puisqu'ils n'interviennent plus que sur les questions où ils apportent une réelle valeur ajoutée. C'est gagnant-gagnant", estime Franklin Brousse.
Il encourage également les juristes à réaliser des modèles de contrats accompagnés de fiches de présentation qui expliquent comment les utiliser, afin de renforcer l'autonomie des acheteurs au niveau juridique tout en s'assurant que les risques liés aux contrats sont bien gérés. "Ces modèles types doivent être suffisamment équilibrés, apporter un niveau de flexibilité suffisant", prévient Martine Wallimann, de Synapscore. L'acheteur doit en effet savoir sur quelles clauses il est possible de faire des compromis et lesquelles il faut absolument conserver telles quelles. Ce qui nécessite une formation des acheteurs à ces différentes clauses.
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Formation et dialogue
Car rendre autonomes les acheteurs ne veut pas dire les lâcher seuls dans l'univers juridique, sans accompagnement. Franklin Brousse insiste sur la nécessité de former les acheteurs au juridique. "Les juristes doivent former les acheteurs à la bonne utilisation des contrats, pour leur permettre de s'approprier ces outils, conseille-t-il. Plus les acheteurs sont formés, moins ils sollicitent les juristes pour des questions purement juridico-juridiques." Ces formations peuvent être réalisées par la direction juridique en interne ou par des formateurs externes. Quoi qu'il en soit, elles doivent se baser sur les besoins réels des acheteurs. "Lors des formations que je réalise auprès des directions achats, j'aborde des questions très pratiques : qu'est-ce qu'un contrat ? à quoi sert-il ? quels processus ?... Les acheteurs viennent avec leurs contrats et nous discutons de leurs besoins concrets. Puis nous regardons ce qui leur paraît clair et ce qui ne l'est pas. À la fin, tout doit être clair. L'objectif est de leur démontrer que le droit est une boîte à outils qui est là pour les aider, pas pour les embêter", explique Xavier Marchand, du cabinet Carakters. Martine Wallimann, de Synapscore, pense que ces formations sont l'occasion de faire comprendre les enjeux juridiques. "Sur le prix, par exemple, il est utile d'expliquer ce qu'il est possible de faire en termes de ristourne. La marge également est une problématique complexe. Et l'acheteur doit comprendre les problématiques de concurrence, pointe-t-elle. Ce n'est qu'en étant formé, sensibilisé à ces problématiques qu'il arrivera à déterminer dans quels types de situation il doit solliciter le service juridique et donc qu'il évitera de se retrouver dans des situations compliquées."
Au-delà de la formation, c'est un dialogue qui doit s'instaurer entre les deux directions. C'est en effet par le dialogue que la plupart des problèmes en lien avec les achats et le juridique peuvent se régler. Or, les deux directions ont parfois peu d'occasions de se rencontrer et donc d'échanger. "La direction juridique n'occupe parfois pas les mêmes locaux que les opérationnels, constate Didier Dalin, d'In Extenso Avocats. L'entreprise doit donc organiser des réunions et des séminaires réunissant les membres des différentes directions afin qu'ils apprennent à travailler ensemble." Dans certaines sociétés, ce dialogue est favorisé par l'intégration d'un juriste au sein même de la direction achats (voir ci-dessous).
Chez Malakoff Médéric, une juriste intégrée aux achats
Et si la solution pour faire collaborer les directions juridique et achats était d'intégrer des juristes au sein des achats? C'est en tout cas le choix qu'a fait le directeur achats de Malakoff Médéric il y a huit ans en recrutant une juriste totalement dédiée à sa direction. "L'objectif était de répondre à une problématique de réactivité. Selon ses calculs, il fallait alors entre trois et six mois pour signer un contrat, ce qui était beaucoup trop long", explique Laurie Soldevilla, juriste achats au sein de Malakoff Médéric. À son arrivée, la juriste commence par rédiger des contrats afin de ne pas intervenir en mode pompier, mais en amont. "J'ai demandé aux acheteurs de mettre des modèles de contrats dans l'appel d'offres pour qu'ils prennent l'habitude de m'intégrer en amont: la négociation juridique a ainsi lieu en même temps que la négociation commerciale", décrit-elle.
Parallèlement, elle apprend le métier d'acheteur et suit toutes les formations qui leur sont dédiées, afin de bien comprendre leurs problématiques. "Et comme je suis dans le même open space qu'eux, je les écoute parler et apprends également de cette façon", raconte-t-elle. Elle essaye également de sensibiliser les acheteurs au juridique, de les faire monter en compétence sur les modèles de contrats ou encore sur quelques points juridiques simples. "L'objectif est de faire sortir des contrats sans que je les voie à travers des modèles de contrat qui collent à leurs attentes", avance Laurie Soldevilla. Au final, l'objectif de réactivité a été atteint: trois ans après l'arrivée de la juriste, le délai de signature est descendu à trois semaines. "Il est même encore plus bas aujourd'hui", pense Laurie Soldevilla. La juriste dit également apporter des réponses de plus en plus rapides en cas de contentieux. "Mon objectif est de répondre aux recommandés qui nous sont adressés sous huit jours maximum afin de ne pas laisser traîner un problème", explique-t-elle.
Un dialogue qui est essentiel pour gérer les contrats sur la durée et informer le juriste de l'exécution du contrat. "Souvent, la direction juridique n'est plus tenue informée de l'exécution du contrat. Elle n'est appelée qu'en cas de problème. Or, la collaboration ne cesse pas à la signature", pointe Didier Dalin. Un dialogue également nécessaire pour trouver des solutions à deux. "Pour comprendre la complexité d'une situation, il faut se parler. Cela peut prendre la forme d'un rapide coup de fil. Mais un échange oral vaut mieux que des e-mails dans tous les sens", avertit Martine Wallimann.
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Des outils matures
Si rien ne remplacera jamais un dialogue, des outils collaboratifs ont émergé sur le marché pour faciliter la collaboration entre les directions achats et juridique. "Les entreprises doivent adopter des systèmes d'information performants qui permettent de fluidifier les échanges, de tracer les actions... Il existe aujourd'hui de nombreux éditeurs qui arrivent à maturité sur ce sujet", estime Franck Levy, de Wavestone. En effet, plutôt que d'user et d'abuser d'e-mails, les outils collaboratifs permettent d'échanger des documents, de travailler ensemble dessus, d'accéder à l'historique des échanges... Martine Wallimann reconnaît que, pour la gestion des contrats, des outils communs peuvent être utiles. "Ils permettent une gestion documentaire avec un outil de workflow de validation, de revue", décrit-elle.
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Mais les premiers outils communs dont doivent disposer les deux directions pour améliorer leur collaboration sont des règles et des processus clairs. Ainsi qu'une politique partagée. Sur les contrats, par exemple, les deux directions doivent s'être accordées sur une politique contractuelle claire. "Cela permet de savoir jusqu'où il est possible d'aller", estime Martine Wallimann. Une politique qui doit être partagée entre les directions achats et juridiques mais également avec les opérationnels qui sont amenés à signer des contrats. Et c'est aux acheteurs de porter cette politique contractuelle auprès des fournisseurs et de s'assurer qu'ils comprennent les contrats qu'ils signent pour éviter des problèmes par la suite. "L'acheteur doit être en capacité d'animer un écosystème fait de fournisseurs, de clients internes et de juristes", pense Franck Levy, de Wavestone. C'est en tout cas en permettant le dialogue entre ces différents acteurs que la direction des achats apporte une véritable valeur ajoutée.