La télématique embarquée pour mieux maîtriser et optimiser son TCO
Au-delà de la géolocalisation des véhicules sur une carte, les solutions de télématique s'étoffent pour proposer aux entreprises des services qui s'étendent de la maîtrise du TCO à l'optimisation de leur activité. Que peut-on en espérer ?
Je m'abonneChris Valasek et Charlie Miller. Ces noms ne vous disent peut-être rien, pourtant ils ont causé quelques sueurs froides aux constructeurs automobiles : en juillet dernier, ces deux hackers étaient les premiers à prendre le contrôle d'un véhicule à distance. Ils sont parvenus à allumer les essuie-glaces, la climatisation et l'autoradio avant de couper le moteur d'une Jeep Grand Cherokee.
Au-delà de l'incident, qui a tout de même contraint la marque à rappeler 1,4 million de voitures, cet événement illustre les possibilités offertes par les véhicules connectés. Elles reposent sur la combinaison de technologies de télécommunication (modem GPRS pour envoyer les données au gestionnaire de flotte et Bluetooth pour communiquer des informations au conducteur), de systèmes de localisation de plus en plus précis (certains sont désormais capables de combiner les coordonnées GPS avec celles de Glonass, son équivalent russe) et de remontées de données provenant du véhicule (la prise diagnostic dite OBD2).
"En exploitant les coordonnées GPS, la vidéo et les données véhicules, nous serons bientôt capables d'analyser l'horizon électronique du véhicule, c'est-à-dire de prévoir les risques que le conducteur va rencontrer en fonction de la cartographie, des conditions de circulation et de la météo", affirme Philippe Orvain, président de Nomadic Solutions, dont les boîtiers, vendus à des entreprises qui commercialisent des solutions de télématique embarquée, équipent 95 000 véhicules. Les ingénieurs travaillent déjà sur d'autres avancées pour les années à venir: détection d'obstacles et alerte de perte de vigilance, notamment.
Guerre des prix et course aux technologies
Pourtant, la télématique embarquée reste peu présente dans les entreprises, à l'exception des flottes de transport. Le cabinet suédois Berg Insight mesure régulièrement le taux de pénétration de ces équipements sur le marché européen : 12,4 % en 2013, avec la perspective d'atteindre 22,9 % en 2018.
En France, les prestataires reconnaissent que ce développement est freiné par la crainte du "flicage" au sein même des entreprises. Bien que la Cnil impose une consultation préalable des représentants du personnel, cela ne suffit pas toujours à convaincre. Mais les comportements commencent à changer avec l'essor des applications connectées et de plus en plus d'acteurs s'intéressent à ce marché.
En France, Renault a lancé Pro+board en novembre 2014. Moyennant 8 à 16 euros par mois et par véhicule, elle permet de suivre le kilométrage, la consommation, les émissions de CO2 et de bénéficier d'alertes techniques. Chez PSA, l'offre Peugeot Connect et Citroën Connect, conçue avec Orange Business Services et Axodel (filiale du fabricant de boîtiers Kuantic), propose de la gestion de parc, de l'écoconduite et de la géolocalisation pour des tarifs compris entre 10 et 15 euros.
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Les loueurs longue durée ne sont pas en reste avec Arval, qui a lancé en décembre 2014 une offre à prix cassé (7,5 € par mois) capable de remonter aux gestionnaires de parc les kilométrages, les consommations moyennes, les temps de conduite professionnelle, les comportements des conducteurs et de suivre les véhicules en cas de vol ou d'accident.
Et le marché n'est pas près de se stabiliser, puisque le parc en circulation sera de plus en plus connecté. Toutes les voitures neuves seront concernées à partir d'avril 2018 en Europe, le Parlement européen ayant imposé à bord le système e-call, capable d'alerter les secours en cas d'accident. En coulisse, un bras de fer industriel se joue déjà entre les constructeurs, forts de la maîtrise des équipements électroniques de leurs véhicules, et le géant de l'Internet Google, en passe de maîtriser la cartographie mondiale. "Sur 30 millions de kilomètres de routes dans le monde, Google en a déjà cartographié 10 millions et il est le seul à utiliser des satellites 3D", avertit Franck Cazenave, directeur marketing et business development de Bosch France, également auteur de Stop Google.
Maîtriser le TCO
En attendant le résultat de cette compétition, les opérateurs de télématique tirent parti des technologies existantes pour proposer des services fondés sur l'analyse des données disponibles. Chez TomTom Telematics, la géolocalisation est une brique dans une offre de services dédiée à l'optimisation des ressources mobiles. "En limitant les kilomètres parcourus, nous réduisons la consommation de carburant de 5 à 20 %. Mais c'est aussi une manière de réduire le temps de conduite, donc d'optimiser la durée, voire la facturation de l'activité", avance Stéphane Schriqui, directeur commercial de TomTom Telematics.
À partir de son portail Webfleet, il est possible d'agréger des modules d'analyse de notation de la conduite et d'alertes techniques pour faciliter la gestion de parc. Tout part ici de l'installation d'un boîtier, puis de l'abonnement à des services (à partir de 12 ou 18 € avec la location du boîtier, qui peut aussi être acheté 250 €). Même architecture chez Masternaut, autour de la plateforme web Connect, à laquelle sont agrégés des modules.
Pour pousser l'optimisation du volet TCO conducteur, la partie Ecodrive permet d'alerter à la fois les gestionnaires de parc et le conducteur en temps réel. "En fonction des accélérations vives, des virages brusques, des sur-régimes et des arrêts moteur tournant, chaque chauffeur a un score qui permet de se comparer, explique Nicolas Bréquigny, chef de produit marketing. En outre, une barre lumineuse placée sur le tableau de bord, qui varie du vert au rouge, lui permet de réagir immédiatement, ce qui réduit la consommation et la sinistralité."
Optimiser l'activité
Autre atout des solutions télématiques : elles permettent de détecter d'éventuelles dérives, volontaires ou non. Comme l'explique Christophe Korfer, président de Lost'nFound (solutions à partir de 14,90 € par mois), "un gestionnaire de parc pourra repérer l'utilisation abusive d'un véhicule utilitaire le week-end ou un kilométrage supérieur à la loi de roulage prévue. Une fois par mois, un rapport sur les positions des véhicules et les kilomètres parcourus permet de contrôler d'éventuels abus par rapport à la carte carburant."
Certains opérateurs ont développé des solutions adaptées aux flottes qui réalisent des interventions ou des livraisons. Tel est le cas chez Ocean, récemment racheté par Orange Business Services (qui propose également ses propres solutions de fleet performance). "Nous parlons de gestion d'activité, précise Anne Rivière, en charge de la direction des offres et des services clients. Ainsi, dans le cas d'une entreprise qui effectue des livraisons ou des visites de maintenance, Ocean permet une analyse de l'activité en relevant les points de concentration dans les zones de visite des véhicules afin de repérer les zones mal couvertes et les kilomètres inutiles. Le gain peut ainsi couvrir les frais engagés (15 à 30 € par mois selon les options boîtier et services inclus)."
N'investir que dans les fonctionnalités rentables est la démarche choisie par Mapping Control, qui propose un audit préalable avant de combiner plusieurs modules, allant de la géolocalisation à l'écoconduite, en passant par la gestion de flotte et de la mobilité (de 16 à 20 € pour trois livrés avec une formation de deux fois trois heures en e-learning). Pour Daniel Vassallucci, son président, "dès l'installation, l'économie sur un véhicule peut représenter 15 à 18 % de son TCO, soit une centaine d'euros au moins."
Enfin, les services sont de plus en plus pointus. Mapping Control ou Masternaut proposent ainsi le calcul des indemnités kilométriques : lorsqu'un collaborateur utilise sa voiture de fonction à titre personnel, il le signale via une application smartphone, ce qui facilite le calcul au réel des avantages en nature. Reste que la télématique n'a pas encore réponse à tout. Par exemple, en ce qui concerne l'entretien des véhicules, elle se limite à alerter les gestionnaires de parc, sans permettre d'évaluer l'ampleur ni le coût des interventions nécessaires.
1 million d'euros économisés chez Dalkia
Sur 8200 véhicules, Dalkia en équipé 50000 avec une solution Masternaut en 2012. "Avec mes collègues en charge de l'exploitation, nous souhaitions optimiser les tournées en limitant les kilomètres parcourus, et réduire la sinistralité, relativement élevée", explique Jean-Luc Celotto, responsable de la gestion des véhicules Dalkia en France. La première étape a d'abord été sociale et interne: présenter les projets aux instances représentatives du personnel et aux techniciens concernés, montrer quelles données seraient récupérées et rassurer avec la présence d'un bouton de déconnexion. Une fois opérationnelle, la télématique a produit des résultats rapidement : 7 à 8% de consommation en moins et un recul de 15% des accidents, la première année. "Il y a même un effet 'placebo' ", reconnaît Luc Celotto : "les véhicules non équipés ont réalisé de progrès dans les mêmes proportions."
Autre bénéfice: avec le temps, les tournées ont été affinées, jusqu'à obtenir une réduction de 10% du kilométrage global, avec une stabilisation de la sinistralité aux alentours de 15% en moins. Au total, le gain pour l'entreprise s'élève à 1 million d'euros environ! Une performance qu'il faut désormais maintenir par des actions d'animation et de sensibilisation pour que les conducteurs conservent leurs bonnes habitudes.
Tracking des consommations diesel : mission impossible ?
Sur les moteurs diesel, des écarts mineurs peuvent exister entre les consommations réelles et les relevés des systèmes de tracking. Pour récupérer leurs informations, ils utilisent la prise diagnostic (OBD) placée sous le capot. Or, celle-ci ne donne pas directement la quantité de carburant injectée dans le moteur, mais le flux d'air entrant à l'admission. Un algorithme se charge ensuite d'en déduire la consommation.
Dans le cas d'un moteur essence, l'exercice est maîtrisé. En revanche, sur un diesel, ce flux d'air est plus complexe à analyser, car il intègre des gaz chauds provenant de l'échappement, récupérés par la vanne EGR. Pour connaître la consommation exacte, il faudrait récupérer les données à la source sur l'électronique du véhicule, en se branchant sur le bus CAN. Mais cette opération est exclue, car elle reviendrait à perdre la garantie constructeur du véhicule.
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