Entre externalisation et fiscalité verte : 20 ans de fleet management
En 20 ans, la gestion de la flotte automobile a connu de nombreux bouleversements. Une voiture et son conducteur se souviennent et évoquent ces changements. Un récit alimenté par l'expertise de Philippe Brendel, président de l'Observatoire du véhicule d'entreprise.
Je m'abonneLa voiture : La gestion de flotte a bien changé en 20 ans. Tu te rappelles qu'au début des années 1990, les indemnités kilométriques (IK) étaient très répandues ?
Le conducteur : Toute une époque ! C'est vrai qu'aujourd'hui, ce système est très marginal. Il est utilisé de manière exceptionnelle et ponctuelle, majoritairement dans les TPE. Depuis peu, les IK sont d'ailleurs plafonnées et ne sont plus aussi avantageuses pour les véhicules de grosse cylindrée. Mais il y a 20 ans, elles étaient systématisées et s'appliquaient à des utilisations très régulières. Certains salariés se faisaient rembourser jusqu'à 30 000 km par an et empochaient un bon complément de revenus au passage. Pour l'entreprise, c'était une manière de déléguer une partie de la maintenance et de l'entretien du véhicule au salarié, mais elle le payait au prix fort. Sans compter le kilométrage parfois exagéré par l'utilisateur. Avec ce système, il était également impossible de mener une politique de parc, c'est-à-dire de choisir le véhicule dans lequel roulait le collaborateur, tout en garantissant qu'il était sûr et bien entretenu. Autre inconvénient, pour l'utilisateur cette fois : en cas de panne, le remplacement de l'auto n'était pas prévu.
La taxe sur les véhicules de société
La voiture : Aujourd'hui, tout le monde ne jure que par la location longue durée (LLD). L'automobile rejoint le modèle de la restauration, du nettoyage ou de l'informatique, en devenant une activité externalisée par l'entreprise, qui se recentre sur son coeur de métier.
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Le conducteur : La LLD est montée en puissance depuis le début des années 1990 en multipliant ses immatriculations annuelles par quatre. Aujourd'hui, 80 % des entreprises de plus de 1 000 salariés optent pour ce type d'acquisition, tandis que l'achat au comptant et la location avec option d'achat (LOA) représentent respectivement 15 % et 5 %. Dans les entreprises de moins de 100 salariés, l'achat reste toutefois le mode de financement majoritaire, mais la LLD gagne du terrain. Son succès s'explique par une meilleure gestion du poste de dépense automobile en prenant en compte l'ensemble des coûts de possession tels que l'entretien courant, la fiscalité et la valeur de revente. Un vrai confort pour les gestionnaires de parc, dans la mesure où ils délèguent une grande partie de leurs tâches aux loueurs et qu'ils évitent l'achat en fonds propres, qui immobiliserait des capitaux et alourdirait le bilan. D'ailleurs, toi aussi, tu fais partie d'un parc en LLD.
La voiture : Il a également fallu s'adapter aux changements de fiscalité. Avec une date à retenir : 2006 ! C'est l'année où la taxe sur les véhicules de société (TVS) est passée d'un mode de calcul basé sur la puissance fiscale à une indexation sur le taux d'émission de CO2. Tu t'en souviens ?
Le conducteur : Absolument. C'est un détail qui a changé sensiblement les comportements d'achat. Les flottes n'ont pas été métamorphosées et il n'y a pas eu d'explosion soudaine des ventes de petites voitures, mais les choix se sont focalisés sur des véhicules à faible émission de CO2, possédant des moteurs de plus petite cylindrée et moins énergivores. Le taux de CO2 est devenu l'un des principaux critères de choix. Depuis l'instauration de cette nouvelle TVS, les émissions moyennes des parcs automobiles d'entreprise ont baissé d'environ 20 %.
La voiture : Et en matière de sécurité, je pense que tu n'as pas à regretter les progrès significatifs que j'ai pu t'apporter, n'est-ce pas ?
Le conducteur : Non, en effet. Et je dégagerais même deux axes de progrès importants : la prévention du risque routier dans l'entreprise et l'intégration d'équipements de sécurité dans les véhicules de société. Depuis plus de dix ans, les grandes entreprises mènent des actions pour mieux protéger leurs collaborateurs des accidents de la route, même s'ils restent à l'origine de plus de 20 % des accidents mortels du travail. Leur démarche consiste parfois à réaliser un diagnostic pour déterminer comment sont utilisés les véhicules et connaître le contexte des accidents. Ces informations servent ensuite de base à un programme de prévention adéquat visant à abaisser la sinistralité et les primes d'assurance.
La voiture : Je remarque aussi que cette préoccupation a poussé les constructeurs automobiles à mieux équiper les véhicules en systèmes de sécurité... Je suis bien placée pour le savoir, avec mon pack visibilité, par exemple (éclairage et essuie-glace qui se déclenchent automatiquement). Ils se sont mis à proposer des finitions "business", comprenant systématiquement plusieurs équipements de sécurité (régulateur/limiteur de vitesse, connexion Bluetooth, ESP, etc.). Les progrès les plus surprenants ont eu lieu sur les utilitaires qui étaient, historiquement, les parents pauvres de la sécurité embarquée. Certains modèles possèdent dorénavant les mêmes équipements que les véhicules particuliers ainsi que d'autres visant à sécuriser les espaces de chargement afin d'éviter les chutes d'objets. Par ailleurs, je remarque que les automobilistes ont tendance à lever le pied pour moins consommer. J'ai l'impression que c'est la même chose dans le cadre professionnel, non ?
Le conducteur : Il est vrai que de nombreux gestionnaires de flotte tendent à limiter la consommation des salariés. Dans un contexte de hausse des prix du pétrole et de crise économique, les programmes d'éco-conduite se sont développés dans les entreprises. Ces formations ont montré leur efficacité, car en acquérant quelques bonnes pratiques, le salarié abaisse généralement sa consommation moyenne de 8 à 15 %. L'investissement est donc rentable, surtout qu'il génère d'autres sources d'économie sur l'entretien.
La voiture : Pendant ces 20 dernières années, les carburants aussi ont évolué...
Le conducteur : Je crois que le constat est sans appel : ces deux décennies sont celles du diesel. Il a connu une ascension continue, notamment dans les entreprises, où la proportion de véhicules diesel a atteint 96 %. La mise en place de la nouvelle TVS a d'ailleurs conforté ce phénomène puisque les moteurs diesel émettent intrinsèquement moins de CO2 que leurs homologues à essence. Aujourd'hui, on assiste à une inversion de tendance : l'essence commence à regagner du terrain à la faveur de nouveaux modèles basse consommation. En considérant leur coût total d'utilisation, ils peuvent se montrer plus économes qu'une version diesel, si le kilométrage annuel reste limité.
La voiture : Mais il n'y a pas que le diesel ; l'électrique et l'hybride ont fait une belle percée ! La voiture hybride a aujourd'hui une dizaine d'années, mais elle commence seulement à entrer dans les flottes d'entreprise, qui plébiscitent les modèles hybrides diesel, très avantageux en termes d'émissions de CO2. Les véhicules électriques n'ont pas eu le même succès malgré des aides fiscales consistantes et l'arrivée très récente de plusieurs nouveautés. Leur coût de détention baisse, mais ils restent plus chers à l'usage que les véhicules thermiques. Quant à la voiture connectée, elle a fait un flop...
Le conducteur : On peut dire qu'elle a eu un temps d'avance dans les flottes d'entreprise. Dès les années 2000, de petits boîtiers connectés de géolocalisation ont fait leur apparition pour gérer plus précisément les parcs automobiles. Cette solution était séduisante, mais elle n'a pas eu le succès escompté. Les gestionnaires de parcs la considéraient trop chère au regard du service rendu. Cependant, elle répondait bien aux attentes d'usages spécifiques. Dans les activités de livraison, d'après-vente ou de maintenance, ces boîtiers se sont imposés pour la gestion de tournées. Ils ont permis d'améliorer la productivité en optimisant le temps du collaborateur et celui de la tournée.
La voiture : J'aimerais bien savoir à quoi ressembleront les véhicules de société de demain !
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Le conducteur : Ah, c'est difficile à prévoir ! Il faudrait déjà avoir une bonne visibilité sur la fiscalité de ces prochaines années. Si la politique de bonus écologique se maintient, l'hybride pourra continuer sa croissance avec de bonnes chances de succès pour sa version rechargeable. Ce qui est plus certain, c'est la percée des automobiles connectées. Il ne sera plus question d'ajouter un boîtier de connexion, car elles posséderont en série la technologie nécessaire pour faire du suivi de flotte, et proposeront de nombreux autres services pour le conducteur. Il faut en tout cas s'attendre à un coup d'accélérateur en la matière grâce au déploiement de l'appel d'urgence automatisé, obligatoire sur les voitures neuves à partir de 2015.
La voiture : Tu penses qu'il faut s'attendre à des nouveautés dans la gestion de flotte ? Si l'on regarde du côté des véhicules particuliers, on peut avoir une idée de ce qui se profile. Le modèle de la voiture partagée prend de l'ampleur et pourrait gagner les flottes. Aujourd'hui, le phénomène est marginal car on compte moins d'un millier de voitures gérées par un système d'autopartage en entreprise, mais la tendance est bien là.
Le conducteur : On pourrait aussi changer progressivement de paradigme, et passer d'une vision centrée sur l'automobile à un modèle de gestion de mobilité. Pour un salarié, la voiture ne serait qu'une solution de mobilité parmi d'autres. L'autopartage en entreprise pourrait être ainsi complété par des crédits de mobilité, qui couvriraient de manière optimale tous les besoins des collaborateurs. Naturellement, ce type de schéma ne pourra pas convenir à tous. Je vois mal un dirigeant utiliser cette solution. On peut également s'interroger sur l'évolution des besoins de déplacements professionnels. La diffusion de la visioconférence et des nouveaux moyens d'échange d'informations pourraient bien limiter ces déplacements. Avec un impact notoire sur le métier du gestionnaire de flotte.