Des stratégies RH pour réenchanter les collaborateurs
Dans un marché du travail tendu où la fidélisation et le recrutement tournent au casse-tête, les initiatives RH font preuve d'innovation pour répondre à des attentes complexes de la part des collaborateurs.
Je m'abonneBurn-out, quiet quitting, harcèlement professionnel, quêtes de sens... La dégradation des conditions de travail, les prises de conscience des collaborateurs, et de nouvelles attentes ont fait surgir ces notions dans de nombreux débats au cours des dernières années. Un sondage réalisé en 2023 par Génie des Lieux, un designer d'espaces de travail, indique que 68 % ont déjà fortement pensé quitter une entreprise non respectueuse de leurs valeurs. Les entraves aux valeurs sociales sont le plus insupportable pour 89 % des Français, et 72 % d'entre eux estiment que des espaces professionnels respectueux permettent de lutter contre certaines démissions. Un constat à mettre en corrélation avec les habitudes de travail qui semblent avoir irrémédiablement basculé dans une nouvelle réalité.
Le rapport aux espaces de bureau professionnels a en tout cas rapidement évolué, à commencer par l'utilisation de ces derniers. Une étude menée par Square Sense, spécialiste de l'occupation des bâtiments, relève qu'à l'heure actuelle les bureaux ont un taux d'occupation de 20 à 40 %, selon les jours de la semaine, contre plus de 60 % avant la crise sanitaire du covid-19. Les commodités liées au télétravail mais aussi l'absence de garanties et de services sur le lieu de travail incitent les collaborateurs à rester à domicile. L'analyse de Square Sense souligne que les 3 services les plus demandés sur le site de l'entreprise sont la restauration, le coworking et les bornes de recharges pour favoriser les mobilités douces. Mais d'autres points semblent de plus en plus mentionnés pour améliorer la qualité de vie des collaborateurs, tels que la qualité de l'air, la température, la luminosité, ou encore les nuisances sonores.
Répondre à de nouvelles exigences
« De nouvelles attentes de la part des collaborateurs se sont affirmées depuis la crise du covid-19, même si elles existaient déjà auparavant », remarque François Jung, responsable relations sociales, paie & administration du personnel chez Schmidt Group. « Le télétravail est exemple fort qu'il s'agit d'organiser de manière fine pour répondre aux souhaits de chacun. Pour les professions télétravaillables, nos salariés peuvent prendre 2 jours de télétravail par semaine, avec l'objectif d'apporter un meilleur équilibre vie professionnelle / vie privée. C'est un élément que nous mettons beaucoup en avant. Des jours de télétravail supplémentaires sont également prévus par mois afin de répondre à des situations exceptionnelles comme des intempéries, des pannes de voiture, des enfants malades... »
Elliot Boucher, cofondateur d'Edusign, une plateforme digitale de gestion de l'assiduité, de questionnaires et de signatures électroniques, relève lui aussi cette « volonté accrue de trouver un meilleur équilibre entre travail et vie privée. Le télétravail est un biais pour aller dans ce sens et trouver de la flexibilité. Par exemple, certains préfèrent faire du sport l'après-midi et travailler plus le soir. »
Edusign a fait le choix du 100 % de télétravail. Une posture délicate sur un plan RH qu'il convient de choyer pour en faire un succès. « Le télétravail suppose des défis à relever pour en faire un succès surtout quand il devient la norme pour tous au quotidien », ajoute-t-il. « L'un des écueils concerne la communication et la solitude. Nous avons remarqué des problèmes sur ce plan lorsque nos effectifs ont grandi. Les seules visioconférences ne suffisaient plus pour fédérer, pour s'impliquer. » Pour y remédier, l'entreprise a mis en place Gather.town, une solution de bureau virtuelle destinée à mieux réengager les collaborateurs. « Concrètement, chacun dispose d'un avatar qui peut se déplacer dans un espace de travail commun. On peut taper sur l'épaule d'un collègue pour lui parler, comme au sein de bureaux physiques. Inutile d'envoyer une invitation par Teams par exemple pour prévoir de se parler, ce qui manque de spontanéité et n'est pas toujours pratique », illustre Eliott Boucher. « Certains collaborateurs étaient spontanément très attirés par cet outil, d'autres plus dans l'expectative. Aujourd'hui, il convainc même dans nos recrutements. »
Le digital, un levier RH toujours plus fort
La demande de digitalisation des services en entreprise va crescendo dans bon nombre d'organisations, comme en témoigne François Jung : « notre entreprise s'adapte à ces nouveaux souhaits en faveur d'une meilleure circulation de l'information. Nos documents à l'embauche sont remis sur clé USB intégralement. Nous nous sommes dotés d'un outil de gestion de notes de frais, pour la gestion de l'épargne salariale, pour les fiches de paie dématérialisées. Par le passé, seul un intranet était accessible aux personnes travaillant avec un ordinateur. Aujourd'hui, l'outil est revu entièrement au format Sharepoint, et est devenu un extranet au service de tous les salariés sans exception. Sur 1 800 collaborateurs, la moitié sont des ouvriers en production. Ces derniers ont désormais également un profil pour accéder à cet extranet où nous mettons de nombreuses informations à disposition comme les travaux du comité de direction, les menus du restaurant à venir, des données sur la vie de l'entreprise, ou encore la publication d'offres d'emploi internes. Un réseau social interne est également disponible. L'objectif est de faire participer l'ensemble des salariés à la vie de l'entreprise. Cette nouveauté est en place depuis 18 mois et rencontre un écho très positif. »
Valoriser les environnements physiques
Si le travail à distance fait partie des attentes, il ne balaie pas pour autant la nécessité de se rencontrer, de se côtoyer. « Même dans notre modèle à 100 % en télétravail, l'organisation d'événements est une clé pour fédérer, rapprocher les collègues. Nous organisations 2 teams-buildings par an. Nous encourageons aussi les collaborateurs vivant dans la même ville à se rencontrer », souligne Eliott Boucher.
Du côté de Schmidt Group, la présidence tient à éviter les relations « désincarnées ». Les collaborateurs voudraient parfois télétravailler davantage, mais l'employeur souhaitent défendre la présence et la vie quotidienne dans les locaux de l'entreprise. Afin de favoriser la fidélisation, « des investissements majeurs ont lieu, avec du nouveau mobilier, des espaces plus attractifs. Nous allons même déménager sur un nouveau site en 2025. Il s'appellera la Ruche, terme choisi pour bien faire comprendre la vision que l'entreprise a de l'environnement de travail, à savoir un lieu où les salariés viennent et partent, à leur guise », décrit François Jung.
Pour valoriser les échanges, des « work cafés » ont également été créés. Ils visent à faire se rencontrer les collaborateurs, à les inviter à échanger, à prendre de la hauteur sur leurs défis au travail tout en privilégiant un cadre agréable. « Cette initiative a vocation à mettre sur pied des espaces de travail inspirants, en réorganisant les espaces de réunion et de vie », poursuit-il.
Faire écho à une quête de sens
Mon travail est-il en accord avec les priorités de ma vie en général ? Mes conditions de vie professionnelle et la culture de mon entreprise sont-elles en corrélation avec mes aspirations ? Ces questions, qui semblent aujourd'hui omniprésentes dans l'esprit de bon nombre de salariés, ne peuvent plus être ignorées par les décideurs RH. Jacques Raud, directeur du cabinet de recrutement Capucine & Associés, estime que « la tendance croissante des entreprises à se focaliser sur l'onboarding témoigne d'une prise de conscience globale de la nécessité de prendre en compte ces critères. Rappelons que 75 % des départs dans les organisations sont liés à des problèmes d'intégration. Le recours à des outils d'onboarding devient fréquents. On est de plus en plus conscients que cette phase commence bien avant le moment de la signature. Il faut intégrer le collaborateur, l'inviter, lui présenter concrètement l'environnement dans lequel il sera amené à évoluer. »