Le coworking, bien plus qu'un service temporaire ?
Les grands groupes s'intéressent de plus en plus au coworking, le considérant comme un levier d'innovation et d'optimisation immobilière. La Covid-19 ne semble pas infléchir la tendance.
Je m'abonneDepuis 2015, date de l'arrivée du coworking en France, environ 500 000 m² ont été pris à bail par les opérateurs du coworking en Île-de-France, dont près de 200 000 m² sur la seule année 2019. La majorité (75%) se situe dans Paris intra-muros, avec un solde majoritairement concentré à la Défense et dans quelques villes de l'Ouest comme Boulogne, Issy-les-Moulineaux, Neuilly et Levallois-Perret. "Progressivement, la taille des surfaces prises à bail a augmenté, avec une part très conséquente dans le Quartier Central d'Affaires de Paris, témoignant de l'attrait grandissant des grands groupes", constate David Bourla, directeur études chez Knight Frank. En effet, l'activité a été particulièrement importante en 2019 pour les surfaces supérieures à 5 000 m², avec 11 % du volume placé en Île-de-France, contre 9 % en 2018 et 5 % en 2017. "Dans Paris intra-muros, leur part atteint les 35%", précise David Bourla. Les grandes entreprises sont de plus en plus nombreuses à investir ces espaces.
"Nous réalisons un tiers de notre chiffre d'affaires sur ce créneau qui connaît la plus forte croissance", confirme Christophe Burckart, directeur général du groupe IWG France. Surtout, ils leur attribuent des usages désormais multiples. "Auparavant, ils cantonnaient son utilisation sur des périodes transitoires, pour accueillir les salariés pendant un déménagement ou des travaux, par exemple. Depuis peu, elle est une composante de leur stratégie immobilière de rationalisation et d'économie des espaces de travail, permettant de réallouer les dépenses sur des sujets de croissance", illustre Christophe Burckart.
Cette ascension n'a pas été stoppée par l'épidémie de la Covid-19. Après un recul sur les mois de mars et avril, la demande a ré-atteint 70 % du niveau pré-Covid en mai, 90 % en juin, nous confie-t-on chez IWG France. "Pendant le confinement, nous avons signé quelques contrats émanant d'entreprises qui voulaient s'inscrire en conformité avec les règles de distanciation sociale". Finalement, le virus semble avoir accéléré la transformation et l'acceptation des nouveaux modes de travail. "Les collaborateurs n'ont plus honte de travailler hors du siège social, et les entreprises sont parvenues à gérer le travail à distance. De plus en plus, elles tendent à vouloir satelliser les espaces de travail, les consommant comme un service à la demande, d'après les déplacements et les besoins des collaborateurs."
Une flexibilité sans pareille
Le coworking présente l'avantage d'offrir une flexibilité immobilière. Il est possible de réserver un bureau pour une heure, une journée comme pour une année. Ces services servent les intérêts des commerciaux nomades qui peuvent louer une salle de réunion, au gré de leurs rendez-vous. Ces locaux partagés se prêtent naturellement aux activités saisonnières, en démarrage ou pour une mission de courte durée pour lesquelles la location d'un bail traditionnel n'est pas opportune. Cela se justifie pour l'ouverture d'une filiale à l'étranger. "Il est fréquent que les grandes entreprises logent une équipe projet durant la durée de réalisation d'une mission dans un bureau flexible. Ils vont diminuer le nombre de postes au-fur-et-mesure de son état d'avancement, optimisant ainsi la surface utilisée. Les membres de directions de l'innovation de grands groupes aiment aussi organiser leurs réunions dans des espaces de coworking pour sortir du cadre", explique Cécilia Durieu, directrice associée chez Greenworking.
Connectés, ces espaces sont très prisés par les filières ayant trait au numérique, à l'innovation, au conseil, à la distribution, à la communication.
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"L'expansion du coworking est le reflet de la transformation des modes de travail, désormais plus collaboratifs", synthétise David Bourla. Ce sont des lieux où se côtoient plusieurs publics et dans lesquels se nouent des partenariats. Certaines entreprises s'y installent d'après la communauté en place, l'esprit de groupe renforçant la productivité et la motivation. "Les sociétés qui évoluent dans le conseil ou la finance vont par exemple cibler les 8e et 16e arrondissement de Paris où se concentrent les entreprises de ces secteurs", renseigne David Bourla. Pour créer cette synergie collective, "les grands groupes se mettent à développer leur propre coworking interne", indique Cécilia Durieu. Baptisé corpoworking, ce concept vise à prévoir un espace dans lequel se mêlent des salariés du groupe, des partenaires, des clients, etc.
Choix durable
Auparavant cantonné à un usage restreint, le coworking satisfait désormais à des enjeux nettement plus durables. Preuve en est avec Oracle qui installe ses antennes régionales dans des espaces Regus dès que le contrat de location prend fin, ajustant la surface aux besoins. Cela devient une tendance financièrement avantageuse puisque l'on estime qu'un poste de travail est généralement occupé la moitié du temps , avance Christophe Burckart. Au-delà de la flexibilité qu'ils confèrent, ces bureaux partagés sont aussi considérés comme un moyen d'attirer et de fidéliser des talents qui privilégient une localisation géographique centrale dans le choix de leur carrière professionnelle.
C'est l'approche qu'adoptait Carrefour en installant son "Hub digital" en mars 2019 depuis l'espace WeWork du 13e arrondissement de Paris ; son siège social à Massy (?91) n'étant pas un atout au recrutement de profils spécialisés en IT. Louant 2 500 m² à deux pas de la station F, l'enseigne voulait ainsi innover dans l'univers de la data et réussir sa transformation digitale. Thales a également placé sa "Digital Factory" au coeur de la capitale, au WeWork, rue Lafayette.
"Nous recherchions une implantation dans le secteur du QCA parisien dans lequel la concentration des activités digitales est la plus forte, et bien sûr, de la flexibilité immobilière : sur ce type d'activité, nos effectifs fluctuent rapidement et leur évolution est difficile à anticiper", explique Philippe Ernandès, directeur adjoint immobilier Groupe chez Engie.
Effectivement, l'équipe, qui comptait 50 collaborateurs à ses débuts, en compte désormais près de 200, logés à présent sur 3 000 m². Hormis l'adaptabilité des bureaux flexibles, le groupe apprécie les aménagements adaptés aux nouveaux usages faisant la part belle à la collaboration et à la créativité, et la possibilité de mutualiser l'utilisation d'infrastructures et les services, comme les salles de réunion, la restauration rapide, l'espace d'accueil, les prestations d'entretien et de maintenance. "Cela nous évite la gestion de ces postes, tout en profitant d'espaces à la demande. In fine, le coût reste compétitif par rapport à une prise à bail classique, surtout en tenant compte de l'ajustement en cours d'année de la surface réellement utilisée." Il avoue avoir amélioré la visibilité de l'unité digitale auprès de la French Tech. "Nous profitons des animations du centre Regus, programmées pour faciliter l'interconnexion entre les occupants. La configuration du site facilite l'organisation d'événements en propre avec nos clients et partenaires." Le groupe a pu y tisser des liens, repérer et attirer des talents. En complément, Engie a recours au coworking pour des opérations tiroirs, comme des déménagements.
De façon encore balbutiante, la possibilité est offerte aux collaborateurs itinérants d'avoir accès, à tout moment, à un espace du réseau Regus. "Cela permet de disposer d'un environnement de travail immédiatement disponible à proximité et peut même offrir l'opportunité de rencontrer des prospects ." Le coworking peut aussi être une solution de secours pour assurer la continuité d'activité en cas d'indisponibilité d'un site. Enfin, le groupe loue des espaces de coworking au-delà de l'Europe, s'évitant la recherche chronophage et coûteuse de locaux à l'international, en particulier pour des projets requérant une proximité avec les clients et partenaires ou pour de nouvelles implantations.