Achats publics - Comment apporter souplesse et performance dans les contrats ?
À l'heure où la sphère économique ne parle que d'innovation et d'agilité pour maintenir compétitivité et croissance dans un contexte mondial sous tension, apporter davantage de flexibilité dans le processus de contractualisation s'avère un enjeu clé pour les acheteurs publics.
Je m'abonneLes différentes réformes et les travaux de modernisation de la commande publique mis en oeuvre ces dernières années ont rendu le droit de la commande publique assez souple en définitive, celui-ci offrant aux acheteurs un nombre plutôt conséquent d'outils qui vont dans ce sens. "En théorie, nous sommes capables de déployer pas mal d'outils pour faire preuve de souplesse dans nos contrats et être plus flexibles dans la relation fournisseurs, indique Hélène Defives, acheteuse au sein de la Plateforme régionale des achats de l'État (PFRA) de la région PACA. Il y a deux façons d'aborder l'achat : soit par le moyen, soit par le besoin. L'approche par le besoin permet de réfléchir à nos contrats autrement." Définir le besoin implique, en effet, de mener une analyse fonctionnelle de ce dernier et de questionner l'utilisation finale et non le moyen d'y parvenir. "Il ne s'agit plus de décrire précisément les moyens que le prestataire devra mettre en oeuvre pour répondre au besoin, mais d'envisager le besoin comme un ensemble évolutif et multidimensionnel", abonde Marine Courret, adjointe à la directrice de la PFRA de PACA. L'agilité est d'abord une réflexion sur la stratégie d'achat. Plus on effectue un travail en amont, plus le contrat sera adapté et performant en intégrant les bons jalons et les bonnes clauses. Travailler l'achat en mode projet, avant la consultation, en associant tous les acteurs de l'achat permet un sourcing et une étude de marché efficaces. Dans l'achat public, étant donné les délais de passation des marchés, l'objectif principal est de ne pas être en décalage avec le marché. "Dans notre secteur, l'agilité n'est pas une question de rapidité ou de simplification à l'extrême, mais nécessite une bonne anticipation et une visibilité accrue sur un marché afin de proposer la meilleure stratégie d'acquisition possible", souligne Ghislaine Demette, en charge de l'élaboration des stratégies achats et référente achats durables au pôle achats de la DIRISI, ministère des Armées. Mener une démarche par l'analyse fonctionnelle est, par conséquent, le point de départ. Il faut ensuite y associer les outils adéquats. "Cela implique d'ouvrir la variante, qui laisse la possibilité d'une alternative au cahier des charges technique, explique Hélène Defives, de la PFRA de PACA. De même, travailler le coût du cycle de vie va de pair avec l'analyse fonctionnelle et conduira, au niveau contractuel, à construire une évolution positive et durable de l'achat à travers un plan de progrès." La principale complexité de ce type de démarche, qui s'attache à la finalité du besoin et non aux moyens techniques, tient à l'identification des coûts. "Toute la difficulté pour l'acheteur sera de bien connaître la structuration des coûts du secteur étudié, afin d'appréhender toutes les externalités et d'arriver à sélectionner une méthode de calcul des coûts de cycle de vie garantissant l'égalité de traitement entre les candidats", affirme Hélène Defives. L'analyse fonctionnelle peut aussi se traduire par une démarche de prix forfaitaires avec le prestataire. Plutôt que de réfléchir en prix unitaires de prestations, on accepte un fonctionnement en prix global, qui répond tout de même à des objectifs fixés selon des critères précis."Cette logique n'est pas en contradiction avec l'analyse des coûts du cycle de vie, puisque chaque coût peut faire partie de la décomposition des prix forfaitaires, insiste Marine Courret. La difficulté pour l'acheteur sera la mise en oeuvre de ces instruments encore peu utilisés." Lire la suite en page 2 : Clauses contractuelles, un levier sous-estimé - Anticipation et planification |
Clauses contractuelles, un levier sous-estimé
L'autre axe à travailler porte sur l'exécution des contrats. Faire évoluer les pratiques des marchés publics dans l'exécution des contrats, en développant des relations contractuelles responsables avec le prestataire, permettrait la mise en place de contrats plus performants et plus efficaces. "La flexibilité peut être trouvée à travers des clauses financières incitatives, par exemple sur les délais d'exécution, la qualité de la prestation ou les coûts de production", estime Hélène Defives. Ce type de clause va pousser le titulaire du contrat à dépasser ses objectifs et à être plus performant. "Les clauses incitatives sont une vraie bonne idée. Pourtant, on ne les utilise pas suffisamment", regrette Olivier Fraissinet, responsable du service marché public de l'Établissement français du sang (EFS) pour la région PACA-Corse. Cela sous-entend, cependant, de définir et de chiffrer la performance attendue, sans quoi celle-ci ne pourra être dépassée. Pour être efficaces, les objectifs doivent donc être SMART, c'est-à-dire spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels. "Si on arrivait à l'inclure dans nos contrats de façon systématique, cela nous apporterait beaucoup d'agilité", assure Hélène Defives.
On voit donc bien que l'on sort ici d'une approche contractuelle classique, en termes de rémunération, pour aller vers une rémunération du titulaire du contrat selon les enjeux du marché. "Une part variable liée à des critères d'exécution précis permet de développer une approche positive, de sortir de l'unique logique de pénalité en introduisant aussi la notion de récompense, pointe Marine Courret. On définit un forfait de base pour le prestataire qui doit, a minima, répondre à l'attendu. Si l'attendu est dépassé, il aura une prime." Sur un marché de restauration collective, notamment, il est possible de fixer des objectifs sur le pourcentage de "bio" . L'objectif initial et minimum sera, par exemple, de 20 % d'aliments bio dans les repas ou bien de 20 % de repas bio dans le mois. Si le prestataire dépasse cet objectif, il bénéficiera d'une prime forfaitaire proportionnelle au pourcentage de " bio " atteint. "L'acheteur peut aussi choisir d'intégrer des primes intermédiaires par paliers successifs. Pour 10 % supplémentaires, le prestataire touchera 50 % de la somme forfaitaire prévue à cet effet ; pour 30 %, il touchera 100 %", illustre Hélène Defives.
Outre la clause incitative, l'acheteur peut choisir de définir contractuellement un plan de progrès qui permettra de trouver des axes d'amélioration pendant toute la durée du contrat. Trois possibilités s'offrent alors à lui.
- Tout d'abord, une définition stricte des progrès attendus en amont dès la consultation. La difficulté sera ici d'identifier à l'avance les progrès possibles.
- Deuxièmement , une définition du cadre général en amont, mais les améliorations seront déterminées avec le prestataire. Dans ce cas, l'acheteur devra rester vigilant sur les coûts d'exécution du marché et faire attention aux dérives pour ne pas passer d'un besoin A à un besoin B.
- Troisième et dernière possibilité, ouvrir une variante et laisser le candidat proposer lui-même le plan de progrès ainsi que les pistes d'amélioration. L'acheteur devra alors veiller à encadrer la variante.
Anticipation et planification
Parce que souplesse va souvent de pair avec réactivité, l'anticipation et la visibilité sur l'ensemble des marchés forment un axe de travail majeur pour les acheteurs publics. A fortiori si le volume d'achat et le nombre de services couverts sont importants. "L'amélioration de la connaissance de notre besoin représente pour nous un véritable enjeu et constitue un moyen d'avoir des contrats plus performants", observe Marine Courret. Pour mémoire, la Plateforme régionale des achats de l'État de la région PACA a pour mission principale de mettre en place des contrats interministériels de façon à mutualiser au mieux des segments d'achats. Au total, plus de 450 services sont susceptibles d'utiliser ses contrats. Et si la standardisation des contrats permet de répondre à 80 % du besoin et de réaliser un effet volume indéniable, c'est une difficulté supplémentaire dans la quête de souplesse.
Parce que les contraintes de procédures et les délais d'ouverture de marché sont ce qu'ils sont, les voies d'optimisation se trouvent dans la planification et l'anticipation des étapes d'achat. "Nous travaillons selon une approche itérative. À chaque étape du processus achat (lancement de consultation, analyse, lancement du contrat ... ), nous rencontrons les services pour être toujours au plus proche des besoins, puisque, dans le cadre d'une procédure formalisée, il faut compter presque un an entre la phase de sourcing et l'exécution du marché", explique Hélène Defives.
La simplification et l'allègement des contrats représente un axe d'amélioration clé qui, de surcroît, contribue à rendre les enjeux plus lisibles et compréhensibles par tous. C'est la raison pour laquelle une réflexion est actuellement menée à la PFRA PACA pour réunir acheteurs et fournisseurs sur cette problématique. "Nous nous sommes consolidés en 2017 et, depuis, nous avons mené un gros travail de simplification au niveau de la consultation afin d'être attractifs. Cette année, nous aimerions aller encore plus loin en sollicitant les opérateurs économiques hors marché, afin d'avoir leur retour sur la structuration de nos contrats et sur nos clauses", annonce Marine Courret. Une recherche de transversalité et d'échanges donc, car c'est bien évidemment cette organisation en silo qui limite la souplesse. Il est peut-être temps que l'ensemble des acteurs de l'achat public changent enfin de posture.
Donner davantage de réactivité au process contractuel ?
Évidemment, en fonction de la procédure utilisée, il y aura plus ou moins de souplesse. Les procédures adaptées, par exemple, en offriront davantage que celles formalisées. Concrètement, pour économiser du temps sur la passation d'un marché, un acheteur va chercher à optimiser les délais rédactionnels, en créant, par exemple, un canevas de dossier de consultation. Ceci permettra d'automatiser certaines clauses et de faire un travail d'orfèvre sur certains éléments, afin d'améliorer la performance achat ou de réduire le risque juridique.
De même, il pourra demander aux candidats de remplir un cadre de réponses types pour mieux structurer, fluidifier et faciliter l'analyse des offres. Industrialiser le process interne et développer la démarche qualité par la mise en place de notes et d'outils types procure, en effet, un gain de temps important. "Au niveau des candidatures, nous avons essayé d'automatiser notre process en réduisant les informations demandées aux candidats. Dans 90 % des cas, on requiert seulement les capacités financières, c'est-à-dire le chiffre d'affaires et les références professionnelles. Pour gagner en temps et en souplesse organisationnelle, nous travaillons beaucoup en amont avec des tableaux de bord de suivi de marché, qui nous permettent d'avoir des alertes automatiques sur la reconduction des marchés", détaille Olivier Fraissinet, responsable du service marchés publics de l' Établissement Français du Sang (EFS) pour la région PACA-Corse. Tout cela implique un fonctionnement collaboratif et, notamment, l'existence d'un binôme fort entre l'équipe du service marchés publics et le responsable technique en charge de l'expression du besoin.
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