Négociation dans les marchés publics...que la route est longue ...
L'introduction progressive de la négociation dans les marchés publics est un long chemin de croix pour les acheteurs, souhaitons qu'elle devienne un chemin de Damas pour ceux qui définissent les modalités de son recours ...
Je m'abonneEn décembre 2021, les centres hospitaliers de Bastia et d'Ajaccio ont lancé une procédure avec négociation en vue de l'établissement d'un accord-cadre de prestations de transport aérien (évacuations sanitaires par voie aérienne de patients vers le continent).
Une entreprise, dont l'offre n'a pas été retenue, a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Bastia. Ce dernier a prononcé l'annulation de la procédure de passation considérant que l'usage de la procédure avec négociation en raison d'une part des circonstances particulières liées à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier, et d'autre part de l'incapacité de définir les spécifications techniques avec une précision suffisante (art. R. 2124-3 du CCP), n'étaient pas justifiés notamment au regard de l'expérience acquise « de longue date » par les deux centres hospitaliers pour ce type de marché.
Les deux centres hospitaliers ont contesté la décision devant le Conseil d'État. Les juges du Palais Royal ont (étonnamment) confirmé la position retenue par le Tribunal administratif de Bastia.
Les juridictions ont toutes deux écarté l'argument de l'acheteur public qui a vainement tenté d'expliquer que la négociation est le moyen d'obtenir une « amélioration des offres et l'émergence de nouvelles solutions par rapport à celles présentées lors d'une précédente procédure ».
Pourtant, les solutions évoluent bel et bien au gré des innovations de services et de procédés. Les innovations sont le plus souvent incrémentales (versions améliorées de la solution existante). Nier la possibilité de négocier, c'est nier la possibilité d'accéder aux innovations. L'industrie du transport sanitaire serait-elle étrangère aux innovations ? Plus fondamentalement, il est fort probable que le besoin des CH de Bastia et d'Ajaccio « ne peut être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles » (art. R. 2124-3 du CCP). Le transport aérien sanitaire entre hôpitaux n'est certainement pas un service « sur étagère ».
Cette jurisprudence est « fâcheuse » tant elle peut freiner l'usage de la négociation dans les marchés publics. La négociation est un superbe outil au service de la transparence, de l'égalité de traitement et de l'accès aux marchés publics. Elle permet de garantir un bon usage du denier public.
Ce jugement est d'autant plus malvenu que la création des groupements hospitaliers de territoires (GHT) a pour conséquence mécanique l'augmentation sensible du nombre de procédures formalisées et la diminution tout aussi mécanique des opportunités de négociation. Dans un contexte de finances hospitalières « fragiles », d'enjeux croissants de qualité et d'innovation, malmener ainsi la procédure avec négociation et envoyer pareil message aux acheteurs hospitaliers n'est pas très heureux (doux euphémisme).