Comment la commande publique encourage la durabilité des achats
Les dispositifs et mesures pour rendre les achats publics plus responsables se sont multipliés, dans l'espoir de créer un effet de levier. Et ça marche.
Je m'abonneAujourd'hui, le volume des achats publics représente 10% du PIB national, soit 200 milliards d'euros. C'est pourquoi ils sont considérés comme un levier d'action majeur de l'éco-transition, et l'État a construit un cadre législatif qui joue sur deux axes principaux.
Double effet de l'arsenal légal
Certaines réglementations imposent des obligations aux acheteurs publics ; d'autres jouent sur la qualité des produits, comme par exemple l'indice de réparabilité. Plusieurs textes se sont ainsi succédés. « La loi de 2015 pour la transition énergétique pour la croissance verte, qui définissait une hiérarchie d'utilisation des ressources, et intégrait l'analyse du cycle de vie, faisait ainsi référence à la commande publique durable, et mettait en place des mesures incitatives sectorielles », décrit Malika Kessous, cheffe du bureau achats responsables au département de la modernisation des achats du Ministère des Finances.
La loi Egalim, de 2018, intégrait notamment l'obligation d'intégrer des aliments bio et locaux dans la restauration collective, l'interdiction de la vaisselle jetable en plastique... La loi Agec, de 2020, fixait par exemple un seuil d'au moins 20% de la dépense annuelle pour recycler, ré-employer ou réutiliser des ressources. La loi Climat et Résilience a fixé aux acheteurs publics un objectif d'intégrer dans 10% de leurs marchés des considération environnementales et sociales... La liste pourrait continuer ainsi pendant longtemps, entre considérations sur les matériaux, obligations de transparence, etc.
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Les dispositifs se sont ainsi multipliés, en allant des PNAD (Plan National des Achats Durables) au SPASERS (schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables). L'objectif, à terme, de tout cela : intégrer des dispositions environnementales et sociales dans tous les marchés publics. Avec, si on peut le dire ainsi, le double effet Kiss Cool : ce qui est né pour répondre aux exigences de la commande publique va profiter - et profite déjà - à tous les acheteurs.
De l'art du ruissellement de ces nouveaux sujets sur la commande publique
En pratique, les plans nationaux fixent des objectifs, le relai est ensuite pris par diverses entités publiques, pour les convertir en actions concrètes. « Nous avons un programme d'accompagnement des acheteurs : que veulent dire les différents critères, comment ça marche... décrit Malika Kessous. Nous proposons des formations sur les thématiques environnementales, sociales, participons à la rédaction de guides... »
Un travail également effectué au niveau local, par exemple, dans les Hauts-de-France, par le CERDD, un groupement d'intérêt public. « Nous avons mis en place, depuis 2019, un vrai réseau d'acheteurs sur la Région, pour partager les bonnes pratiques et les difficultés et pouvoir monter en compétence collectivement », décrit Olivia Sallé, chargée de mission transitions économiques au CERDD. À force de rencontres, d'ateliers de travail, et de mise à disposition de ressources notamment, l'idée est d'impliquer le maximum d'acteurs économiques dans la démarche. « Nous essayons d'aller plus loin que les exigences réglementaires, et de créer des imaginaires positifs sur le développement durable », souligne Olivia Sallé.
Cette démarche collective est d'autant plus importante que dans la majorité des collectivités, de taille moyenne, il y a un déficit de moyens humains et financiers qui les empêche de mettre en oeuvre les programmes. Ils ne savent pas à qui parler, ne connaissent pas les impacts de leurs achats et ne savent pas les mesurer... « Il faut donc combler ces manques, à la fois techniques et de connaissance, souligne Olivia Sallé. Le CD2E, une association qui a pour but de promouvoir la transition écologique dans les Hauts-de-France, et ce plus particulièrement dans le bâtiment, a ainsi créé un service, la Clause Verte, qui offre de l'aide allant du très technique au très basique pour intégrer les critères de durabilité dans ses marchés. »
Créer de nouveaux modèles et finalement un nouvel écosystème
La naissance de labels va également permettre aux fournisseurs d'être reconnus dans le domaine, et ainsi développer l'offre et l'écosystème adjacent. « Pour arriver aux résultats que l'on veut obtenir, il faut une offre qui le permette, souligne Malika Kessous. Et pour l'instant, elle n'est pas, en France, nécessairement suffisante. » Et les opérateurs économiques qui veulent bien se diriger vers de nouveaux modèles ont besoin d'être rassurés. « Si une entreprise ne s'adapte pas aux nouvelles pratiques, elle se prive de 10% du marché national, souligne Olivia Sallé. Répondre aux exigences publiques a donc du sens. »
Là encore, pour aider les acheteurs publics à naviguer dans l'offre en prenant en compte les nouveaux critères, des outils ont été créés. Par exemple, hello RSE est une plateforme d'achat qui décrit comment acheter local et responsable. « Pour avoir un véritable impact, les mesures auraient dû s'intéresser au volume, et pas uniquement au montant des achats », estime Olivier Perron, fondateur d'hello RSE.
Les SPASERs (schéma de promotion des achats publics socialement responsables), par exemple, sont obligatoires lorsque le montant annuel des achats dépasse la barre des 100 millions d'euros. « Mais en-dessous de cette limite, il n'existe pas vraiment d'outil pour guider les petites collectivités dans leurs achats responsables. » C'est d'autant plus vrai que beaucoup d'entre elles n'ont pas de structure achat dédiée. Et dans la pratique, elles n'ont souvent pas vraiment le temps de suivre - ni même de connaître - toutes les directives. Hello RSE a donc créé un parcours simple qui encourage les achats responsables.
« L'acheteur arrive par le produit, qui est plus ou moins vertueux, décrit Olivier Perron. S'il existe des alternatives plus responsables, nous allons les lui signaler ; et une fois qu'il aura fait son choix de produit, nous lui proposons plusieurs fournisseurs, là aussi en favorisant les aspects durables, par exemple la proximité. » Pour l'instant, Hello RSE se concentre sur les commandes publiques, qui constituent 85% des achats effectués sur la plateforme ; mais l'ambition affichée est de pouvoir être utilisée par tous. « Beaucoup d'entreprises sont déjà venues sur la plateforme », souligne Olivier Perron.
Supporter le surcoût au nom de la RSE, contre intuitif mais salvateur ?
Sur tous ces aspects, les décisions prises dans le public vont ainsi, en quelque sorte, tirer le privé vers le durable, à la fois par force d'exemple et par une logique concurrentielle. « On constate que les exigences de la commande publique ont un effet vertueux sur les achats en général, et ce plus particulièrement dans les secteurs où le public et le privé sont en concurrence », souligne Aurore Lermant. En effet, la valeur ajoutée des achats responsables peut devenir un argument marketing. « Par exemple, dans le secteur de la santé, proposer une alimentation bio et sourcée localement peut être un vrai argument de qualité de vie pour une maison de retraite », continue Aurore Lermant. Mais il y a, de plus, un effet de cascade : si l'acheteur public est un acheteur final, ses exigences auront un impact également sur les fournisseurs de rang 2 et plus. Les bonnes pratiques pourront ainsi se répandre tout au long des filières, et ainsi profiter également aux acheteurs privés. Et le pli semble pris.
« Nous avons des trackers qui nous montrent que, sur des petites commandes, les acheteurs sont prêts à supporter un surcoût de 10 à 15% si cela revient à privilégier des solutions locales et plus responsables », souligne Olivier Perron.
Le mouvement devrait encore s'accélérer avec l'entrée en scène de nouvelles règles ayant trait à la transparence. « Pour mobiliser un critère, il faut pouvoir le vérifier », souligne Malika Kessous. En effet, bientôt, il ne suffira pas de faire, il faudra dire : calculer l'impact de son achat, le quantifier (deux enjeux en soi), et le publier. « La transparence devient une notion forte avec les SPASERS, comme en témoigne la naissance de plusieurs observatoires régionaux de la commande publique qui, souvent, n'hésitent pas à afficher leur ambition de publier des données sur l'ensemble des achats de leur territoires, et pas uniquement sur les commandes publiques », décrit Aurore Lermant. Par exemple, quel pourcentage de la masse financière des achats reste local. Cette transparence accrue devrait inciter une proportion non négligeable d'acheteurs privés à sauter le pas, compte tenu des tendances actuelles de consommation.
Taxonomie à préciser et inquiétudes suscitées ...
Acquérir les bonnes connaissances, et se doter ainsi d'un bon arsenal de formation et d'évaluation, permettra également d'éviter le green washing, qui est un des écueils principaux à éviter. « On ne peut pas faire l'économie de la formation, estime Malika Kessous. Mais les acheteurs ne peuvent pas être spécialistes en tout. Il leur faut donc des outils faciles à utiliser, sécurisants... Par exemple, les éco-labels sont robustes et très efficaces. » Les exigences accrues de la commande publique entraîne en effet un autre axe de progrès : la naissance de labels, qui pourront simplifier la vie des acheteurs publics - et, dans le même temps, des acheteurs privés, comme par exemple le label RFAR (Relation Fournisseur Achat Responsable), porté par le Conseil National des Achats. Pour l'instant, chacun utilise un peu ses propres outils pour évaluer ses fournisseurs, sans obligation véritable ; seul le bilan carbone est exigé depuis le début de l'année. Il existe sinon des normes ISO, mais qui concerne le plus souvent des obligations de moyen plutôt que de résultat. Du coup, « le secteur public est en attente de normes et de labels, et il y a beaucoup de choses à labelliser : relations fournisseurs, traçabilité... L'idée étant que les labels permettront aux acheteurs de ne pas avoir à réinventer tout un système à chaque fois, ni à devenir experts spécialistes en achats responsables », explique Aurore Lermant, directrice d'Ytera, conseil en achat responsable. Et qui permettra aux acheteurs privés de leur emboîter le pas.
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