Les achats, fer de lance des politiques publiques ?
Le 6 novembre 2024, au ministère de l'Intérieur, le 8e Forum annuel des achats publics, organisé par le Conseil National des Achats (CNA), a été l'occasion d'un débat : faire des achats publics un moteur de la transition écologique et sociale. Digest de la rédaction.
Je m'abonneLes achats publics ne se contentent plus d'assurer le fonctionnement des administrations : ils incarnent désormais un levier stratégique pour répondre aux défis écologiques, sociaux et économiques. Réduction du CO2, soutien à l'économie solidaire, relocalisation : la commande publique peut non seulement répondre aux urgences actuelles, mais aussi façonner un avenir plus durable et inclusif.
Une réponse collective aux catastrophes naturelles
Les incendies de forêt de l'été 2022 ont été un révélateur en France, exposant des failles dans les moyens engagés dans la lutte contre les feux. Le colonel Franck Verriest, chargé de mission au sein de la Direction Générale de la Sécurité Civile, explique : "C'est la crise des incendies gigantesques qui a permis de prendre conscience de nos fragilités capacitaires et de réagir collectivement."
Face à cette urgence, la France a mis en place un pacte capacitaire. Avant 2022, les SDIS opéraient souvent de manière autonome, avec des équipements hétérogènes d'un département à l'autre. Aujourd'hui, l'homogénéisation de la flotte et l'achat groupé a permis de rationaliser les investissements. Grâce à une mutualisation des achats, 1 083 véhicules de lutte contre l'incendie ont été financés à hauteur de 150 millions d'euros chacun par l'État et les collectivités locales. La réussite repose sur plusieurs facteurs : la mutualisation des achats, la standardisation des équipements, et le soutien de l'État aux collectivités territoriales. Comme le rappelle Franck Verriest, "Ce projet n'a pas seulement permis d'acheter des camions, mais aussi de changer la mentalité des acteurs. Aujourd'hui, un camion de feu de forêt à Dunkerque sera aussi opérationnel à Pau."
Au coeur de cette opération d'alliance entre achats et politiques publiques, l'Union des Groupements d'Achats Publics (UGAP) a facilité la liaison entre les administrations publiques et les fournisseurs privés en coordonnant les achats groupés et en veillant à inclure les spécifications techniques des SDIS. "Notre mission est de standardiser les équipements tout en garantissant une production locale", précise Lionel Ferraris, directeur à l'UGAP. Malgré les défis de la crise logistique de 2022, marquée par une pénurie de composants, l'opération a assuré les premières livraisons dès septembre 2023.
Des chantiers bas carbone : le pari audacieux de la Société des Grands Projets
En matière de durabilité, l'ampleur des chantiers du Grand Paris Express - avec 68 gares et des millions de tonnes de CO2 générées - pose un défi de taille. Sophie Mendy, adjointe à la direction des achats de la Société des Grands Projets (SGP), explique comment la réduction des émissions de CO2 devient une priorité absolue.
" Nous avons intégré des critères environnementaux dans nos appels d'offres pour inciter les entreprises à proposer des solutions à faible empreinte carbone. Ces efforts, qui concernent notamment l'utilisation de bétons bas carbone, sont encouragés par des primes financières ", précise-t-elle. C'est un mécanisme incitatif qui vise à encourager les pratiques durables mais également à anticiper les futures réglementations climatiques. " Investir dans le bas carbone aujourd'hui, c'est garantir la résilience de nos infrastructures demain, " est persuadée l'experte. Il s'agit d'une approche proactive qui place la durabilité au coeur des chantiers publics et redéfinit les priorités économiques à l'échelle nationale.
Une économie inclusive et relocalisée
Si la SGP illustre la capacité des grandes infrastructures à intégrer la transition bas carbone, d'autres acteurs comme la SNCF prouvent que la durabilité va de pair avec une inclusion sociale renforcée. Avec un volume d'achats annuel de 15 milliards d'euros, la SNCF met sa puissance d'achat au service de l'économie sociale et solidaire. " Notre objectif est de réaliser 100 millions d'euros d'achats inclusifs d'ici 2030, " déclare Renaud Lafouillade, chef du pôle achats responsables. Ces engagements se traduisent par des contrats favorisant l'emploi de personnes en insertion ou en situation de handicap.
En effet, les ambitions de la SNCF ne s'arrêtent pas là. " Nous avons intégré des indicateurs RSE dans nos appels d'offres, comme la réduction des gaz à effet de serre ou l'inclusion sociale, " insiste le chef des achats responsable. Soutenue par la formation des acheteurs, la stratégie démontre que performance économique et responsabilité sociétale peuvent cohabiter.
Le secteur textile embrasse la même dynamique. Engagée dans la relocalisation de la production et l'insertion sociale la société Résilience fait ainsi figure de pionnière. L'entreprise a remporté un marché public pour fournir 80 000 t-shirts à la police nationale et à la gendarmerie. Jean Soufflet, son dirigeant, décrit les défis rencontrés : " La concurrence internationale, notamment face aux produits chinois, reste rude. Mais nos pratiques responsables, axées sur une production locale et traçable, séduisent les donneurs d'ordre. "
À l'évidence, la démarche prouve que l'achat public peut impulser des changements majeurs dans la relocalisation industrielle, tout en répondant à des exigences sociales et environnementales. " Les pouvoirs publics doivent continuer à soutenir ce type d'initiatives, même si elles impliquent des coûts légèrement supérieurs, " plaide le dirigeant d'entreprise.