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[Tribune] Fabien Voisin (Inria) : "Sans volonté politique, point de maturité pour les achats publics"

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[Tribune] Fabien Voisin (Inria) : 'Sans volonté politique, point de maturité pour les achats publics'

Le responsable national des achats de l'Inria, Institut national de recherche en informatique et automatique, Fabien Voisin nous livre ici un véritable plaidoyer pour la fonction achats dans le secteur public qui est aussi un vibrant hommage au travail exécuté par les acheteurs publics au quotidien.

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Depuis plus de 15 ans, des voix se sont élevées pour critiquer l'absence (sauf exception) de culture achat dans le public. La notion de bonne gestion des deniers publics recouvrait une réalité bien peu reluisante, celle de la prévention de la corruption, de la prévarication, du clientélisme et du financement occulte d'organisation politiques ou associatives.

L'encadrement juridique et le poids des contrôles (contrôle de légalité, contrôle financier, Commission de marchés publics de l'Etat, contrôle du juge administratif, contrôle du juge pénal) qui pesaient sur la commande publique, ont conduit à recruter des spécialistes juridiques (juristes marchés publics) pour gérer les achats dans la sphère publique.

Prévention du risque juridique

En légitimant la fonction achat uniquement sur la prévention du risque juridique, c'est une démarche prudente qui s'est instaurée, dans laquelle les contacts avec les opérateurs économiques étaient proscrits, le formalisme poussé à son paroxysme et le prescripteur était plus un tricheur potentiel qu'une partie prenante interne à accompagner dans la recherche d'efficacité de son achat.

Les acheteurs étaient (et le sont parfois encore) rattachés aux directions et services juridiques. Personne n'était satisfait et l'accès aux marchés était "réservé" aux seuls opérateurs économiques rompus à cet exercice et qui connaissaient parfaitement les pratiques de l'achat public.

Ceux qui voulaient utiliser le levier de la commande public pour développer leur activité jouaient finalement au loto en envoyant un dossier pour recevoir, longtemps après, une lettre les informant simplement du rejet de leur offre, parfois sans avoir été analysée, pour non-respect d'une exigence formelle sans intérêt pour l'achat. Ceux qui avaient eu la chance de voir leur offre étudiée, ne savaient pas pourquoi ils n'avaient finalement pas obtenu le marché.

Le code des marchés publics était, dans cette approche, tantôt un alibi, tantôt une arme de dissuasion, tout le temps un instrument de la défiance interne/externe.

- Un alibi pour le service des marchés, qui ne légitimait son intervention que par l'existence des règles et du risque juridique associé. Il n'était donc pas nécessaire de chercher à évoluer. Le code était à la fois le repère du juriste, qui guidait son action, mais aussi son repaire qui lui permettait de ne pas la (se) remettre en question (fondement de sa légitimité).

- Une arme à la disposition du service marché, face à un prescripteur qui aurait souhaité une démarche achat un peu plus audacieuse, ou tout simplement cohérente avec le secteur économique auquel il s'adressait ; une arme aussi à la disposition des opérateurs" spécialistes " de la commande publique, qui savaient parfaitement dissuader les juristes marchés d'oser la moindre audace susceptible d'ouvrir un peu plus la concurrence, en les menaçant (souvent implicitement) d'un recours. Car pour un service marché, le vrai objectif est d'éviter le contentieux (de la passation). Pourtant, un contentieux n'est pas forcément perdu...C'est dire la confiance qu'un service marché traditionnel a dans sa propre action et son approche de la gestion du risque. Nous sommes loin, très loin finalement des principes du code que sont la bonne gestion des deniers publics et l'efficacité des marchés.

Cette règlementation, principalement le code des marchés publics, est - dans ce cas de figure - un instrument de la défiance entre service marchés et prescripteur (défiance interne), mais aussi entre les organisations publiques et les opérateurs économiques (défiance externe).

Lire en page 2 : Pour une démarche achat efficace

Depuis 2001 et les réformes successives du code, la démarche achat s'introduit peu à peu dans la sphère publique. La création, au niveau de l'Etat, du service des achats de l'Etat (SAE), en passe de devenir une Direction des Achats de l'Etat, traduit et illustre cette évolution. Même si, tant au niveau des collectivités locales (d'ailleurs le directeur actuel du SAE était directeur des achats de la mairie de Paris) que de l'Etat et ses établissements, un mouvement de professionnalisation avait été engagé sans attendre la création du SAE.

La vraie différence entre les différentes organisations publiques est, comme dans le privé, liée à la taille et aux moyens des organisations. Une " petite " collectivité, comme une TPE ou une ETI, pourra difficilement mette en place une fonction achat et atteindre un haut niveau de maturité achat. Par contre, elle pourra faire en sorte que le code des marchés publics devienne un véritable outil de la confiance.

En effet, les contrôles se sont allégés, la règlementation s'assouplit au fil des réformes (même si l'on constate, avec surprise, certains retours en arrière sur le plan du formalisme dans le projet de décret) et l'approche économique des achats publics n'est plus un tabou (c'est même une obligation pour l'Etat et une nécessité pour les collectivités).

Car, comme pour le privé, c'est bien l'état des finances publiques qui joue le rôle d'accélérateur de la professionnalisation des achats publics.

Et l'on constate que la réglementation de la commande publique peut être considérée comme l'ADN des achats publics permettant de les distinguer des achats privés.

Pour une démarche achat efficace

En réalité, la démarche achat efficace est la même dans le privé et le public. En termes de pilotage, il est nécessaire d'établir une politique achat qui sera le fondement de la légitimité d'une fonction achat rénovée, séparée des directions juridiques, et lui fixera ses objectifs classiques (C/Q/D) ainsi que des objectifs plus spécifiques conformes aux politiques publiques en faveur du développement durable, de la responsabilité sociale et sociétale et du soutien à l'innovation.

Ensuite, la spécialité de chaque organisation lui permettra de distinguer des politiques spécifiques pour ses achats métiers (qui seront l'équivalent des achats de production réalisés parfois par ses établissements (les BU), lorsqu'il s'agit d'une organisation mutli-sites). Pour les établissements de recherche, cela revient à définir une politique spécifique pour les achats scientifiques.

Ces politiques achats, issues de la stratégie générale de chaque organisation et des politiques métiers pilotés par les différentes directions, se déclineront en stratégies particulières pour chaque famille d'achat. Ce qui permettra de faire émerger des expertises achats, associée pour chaque famille, aux expertises métiers et d'instaurer le plus en amont possible cet indispensable dialogue (au sens de "dia logos" : à travers la logique de) acheteur / prescripteur et de rétablir la confiance en interne. C'est le seul moyen d'identifier des gisements d'économies pérennes, en gardant à l'esprit que plus de 60% des gains économiques proviennent d'actions sur les politiques de consommations et d'utilisation, les actions sur les prix ayant un effet plus limité.

Au-delà des aspects stratégiques, l'évolution (la création ?) du métier d'acheteur public signifie une démarche achat similaire à celle du privé, à savoir la nécessité pour l'acheteur d'investir les différentes phases de l'achat et le dialogue avec le contrôle de gestion. Les phases ultra-amont (politique / stratégie), amont (marketing achat, sourcing et veille) qui sont celles qui génèrent les gains les plus importants, consultation et choix, suivi d'exécution et mesure de la performance.

Lire en page 3 : "Le code doit devenir une donnée à intégrer dans la démarche" et "la professionnalisation des achats à l'Inria"

Le code doit devenir une donnée à intégrer dans la démarche

Dans cette approche, le code des marchés publics n'est plus le fondement de la légitimité de l'acheteur public, il n'est qu'une donnée environnementale (certes contraignante) à intégrer dans la démarche. C'est la différence principale avec les achats privés, l'autre différence étant l'intégration dans les achats publics des objectifs de politiques publiques (d'où, parfois, la schizophrénie de l'acheteur public soumis à des injonctions paradoxales (économies vs allotissement ou achats responsables), du moins lorsqu'il n'est pas encore parvenu à un niveau de maturité achat suffisant.

Instrument de la confiance aussi pour les opérateurs économiques qui savent que l'acheteur public n'est pas autorisé à prendre les mêmes libertés que dans le privé et qu'il doit en permanence garantir l'équilibre du contrat entre les parties. Ce qui permet aussi à l'acheteur public de prévoir des plans de progrès dans ses contrats et d'utiliser les clauses incitatives pour faire vivre le marché via des stipulations innovantes (RFA, partage des économies en cas de réalisation de gains de productivité,..).

Professionnalisation des achats à l'Inria

Cette prise en compte de la vie du contrat dans le cadre d'une démarche achat performante, ne peut être réalisée que par une démarche initiée bien en amont de la consultation et destinée, à partir de l'analyse du marché fournisseur, à établir un cahier des charges (fonctionnel, idéalement) cohérent avec le secteur économique adressé.

L'acheteur public, s'il se professionnalise, peut redonner du sens à son travail en participant à la création de valeur dès lors qu'il agit selon une orientation et des objectifs cohérents avec la stratégie de son entité.

Chez Inria, nous avons mis en oeuvre un parcours de professionnalisation des achats certifiant (accompagnés par le cabinet CKS public). L'organisation achat a été réformée pour s'articuler autour d'un système de management national des achats, dans lequel chaque acheteur, y compris ceux qui sont dans les 8 centres de recherche de l'institut, devient lead buyer sur une famille d'achat, en binôme avec un prescripteur.

Leur mission est de proposer des stratégies d'achat nationales sur leur famille et, si elles sont validées par le comité national des achats, de déployer les dispositifs contractuels d'approvisionnement pour l'ensemble des sites lorsque cette stratégie est pertinente. Libérés d'une partie des achats transversaux (convertis en simples approvisionnements au niveau des centres), en plus de leur mission nationale sur leur famille d'achat, ils restent en parallèle acheteurs pour les achats spécifiques de leur centre, notamment les achats scientifiques pour lequel ils ont une plus forte valeur ajoutée.

Ce système de management national des achats a pour but la consolidation des achats, l'harmonisation des modes de faire, le déploiement des mutualisations et le développement des synergies.

Il est générateur de gains achats pour l'Inria, c'est aussi une plus grande garantie concernant l'avenir professionnel des acheteurs dont le niveau d'employabilité augmente considérablement. Non seulement pour exporter ce modèle auprès d'entités publiques qui souhaiteraient s'inscrire dans une démarche similaire et accroitre leur maturité achat. Ce qui devrait être une évidence pour tous, lorsque l'on sait que le levier achat, actionné par des " vrais " acheteurs publics - rompus aux techniques d'achat via le perfectionnement individuel et experts en matière de marchés publics - permet d'optimiser souvent le 2ème poste de dépenses d'une entité (après les dépenses de personnel).

Ils deviennent aussi des profils susceptibles d'intéresser des entreprises privées, parfois à la recherche d'un peu plus de rigueur dans leur procédure d'achat.

Lire en page 4 : "Sans volonté politique, point de maturité pour les achats publics"


Sans volonté politique, point de maturité pour les achats publics

Nous voici donc enfin parvenu à la définition de l'acheteur public, métier émergent en pleine création. La professionnalisation des acheteurs passe par le développement du savoir-faire (hard skills), et du savoir être (soft skills). Ce perfectionnement viendra compléter son expertise juridique en matière de commande publique. Il lui permettra d'appréhender la règlementation comme un moyen de rétablir la confiance avec toutes ses parties prenantes, internes et externes. Il n'est donc pas question d'opposer règlementation de la commande publique et achat performant, les deux forment un tout : l'achat public performant.

Cet achat public performant consiste donc à mettre en oeuvre des règles contraignantes, mais maitrisées (on pourrait même dire " domptées ") par l'acheteur, tout en développant une véritable démarche achat permettant enfin à l'acheteur public, d'appréhender positivement son métier, comme un vrai "problem solver", créateur de valeur, confiant en son action. La crainte et la frilosité font place alors à l'audace et la créativité, rendues possibles par sa maitrise de la règlementation. Cette maitrise lui permettra, au final, de se déprendre de cette réglementation (au sens où elle n'est plus le fondement exclusif de sa légitimité et de son action) tout en maitrisant, tout au long de sa démarche, le risque juridique.

Il ne reste qu'une condition, et de taille, pour parvenir à un stade de maturité achat performant dans le public. C'est d'ailleurs la même condition à laquelle se sont heurtés (et se heurtent encore parfois, ce qui est incompréhensible, les acheteurs du privé) : la volonté politique, la conviction que doivent avoir les directions générales (dont la culture achat est parfois bien pauvre) de l'intérêt d'une fonction achat mature et performante, et bien entendu, leur soutien sans faille à cette évolution du métier d'acheteur public.

 
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