Les achats deviennent plus responsables. Témoignages
Au-delà de la performance, la fonction achats peut soutenir des enjeux d'intérêt général qu'ils soient économiques, sociaux ou environnementaux.
Je m'abonne Pour développer le tissu économique local en soutenant les TPE/PME, les acheteurs disposent d'un outil : la charte des achats responsables. Plus de 2 000 entreprises s'en sont saisies, selon Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises et président de l'Observatoire des achats responsables, à l'origine de la démarche avec le CNA. Moins connu est le label "Relations fournisseurs et achats responsables" qui en découle : "On compte 40 labellisés alors qu'il en faudrait 400 pour ne pas se faire imposer une méthode anglo-saxonne de RSE alors que nous avons de l'avance", a commenté le médiateur, lors d'une table ronde organisée le 14 novembre dernier par le CNA.
Parmi les signataire de la charte, le Conseil régionl d'Ile-de-France a également adopté un "small business act" en 2017 pour faciliter l'accès des TPE/PME à la commande publique. Sa méthode comprend la création d'une centrale d'achat, des allotissements fins et le recours à des intégrateurs lors des remises en concurrence. "Pour les 200 millions d'euros que nous dépensons annuellement en formation, nous allotissons par bassins d'emploi ", a illustré Charles-Edouard Escurat, directeur achats à la Région Il-de-France.
Au Crédit Agricole, on mise sur le soutien aux start-ups rassemblées par thèmes au sein de 31 "villages" répartis entre les différentes caisses régionales. "Nous avons créé une base d'environ 500 start-ups qui sont accessibles à tous nos métiers", a expliqué Sylvie Robin-Romet, directrice des achats groupe. La banque verte utilise également ses rénovations d'agences (700 à 800 par an) : l'architecture et le mobilier sont des marchés nationaux mais les travaux font l'objet d'appels d'offres locaux. En rentrant dans les process, en négociant et en offrant aux artisans une visibilité sur leur carnet de commande à deux ou trois ans, la facture des directions régionales n'a pas dérapé.
Mettre le pied à l'étrier
L'achat responsable comporte également une dimension sociale dont s'est saisie la direction des achats de l'État (DAE). "Nous avons défini un panel de dispositions telles que l'insertion, le soutien au handicap, l'égalité hommes/femmes, l'éthique ou encore la traçabilité des produits", a expliqué Malika Kessous, en charge des achats responsables à la DAE. Pour sa part, le conseil régional d'Ile-de-France donne une dimension sociale à ses achats de trois manières : par des marchés réservés (stimulation de l'offre), des achats d'inclusion (travail rendu moins pénible) et des chantiers d'insertion (500 millions d'euros pour 144 000 heures d'insertion en 2019). "Mais il y a un véritable écosystème à connaître avec les EA, les ESAT et les facilitateurs", a insisté Charles-Edouard Escurat.
Reste que, malgré des aides, l'insertion ne coûte pas moins cher aux entreprises qui jouent le jeu. Et elle soulève parfois des questions pour celles qui sont attributaires de marchés publics. "Quand les marchés se succèdent, que fait-on des salariés ensuite ?", a interrogé Isabelle Quettier, directrice des achats de Suez. Par ailleurs, le groupe a créé "La maison pour rebondir" pour favoriser l'insertion de personnes éloignées de l'emploi tout en s'écartant des traditionnels métiers du nettoyage, des espaces verts ou de la restauration. "Nous avons formé un plombier pour des interventions rapides dans les logements d'un quartier difficile d'une collectivité. Nous avons également formé 20 migrants comme chauffeurs", a t-elle cité en exemple.
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Même volonté de sortir des sentiers battus au Crédit Agricole avec l'informatique : sur 63 fournisseurs, deux appartiennent au secteur protégé. Mais la direction des achats ne peut pas tout : "Il reste à donner envie à nos métiers de les référencer", a insisté Sylvie Robin-Romet. Pour les y inciter, elle propose au Comex de fixer à chaque dirigeant des objectifs d' "achats inclusifs" pour 2020 avec un impact sur sa rémunération variable.
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Economiser les ressources
Dernier volet d'un achat responsable : la maîtrise de l'impact environnemental : "Cette approche est plus simple à mettre en oeuvre que l'insertion sociale puisqu'elle se base sur le cycle de vie des produits et des services", a argumenté Dominique Veuillet, en charge de la promotion des achats responsables à l'Ademe. Chez Suez, la réflexion porte sur l'économie des ressources : "Nous avons travaillé sur le TCO avec les category managers", a confié Isabelle Quettier. Illustration avec le remplacement de pompes décidée après une analyse du TCO : leur consommation en représentait 90 % contre 10 % pour le coût d'acquisition. Même raisonnement appliqué aux véhicules : un plan de modernisation du parc a été engagé pour économiser sur la maintenance et les consommations.
Pour sa part, le Crédit Agricole mise sur la co-construction pour limiter son impact environnemental. "Pour le mobilier, nous avons élaboré notre cahier des charges avec des fournisseurs et des utilisateurs, ce qui nous a permis d'utiliser moins de matériaux", s'est félicitée Sylvie Robin-Romet. Quant à la DAE, elle promeut l'économie circulaire dans ses marchés de téléphonie (avec des offres reconditionnées) et d'informatique : "Nous considérons le taux de plastiques recyclés, l'écolabel, la notion de réparabilité ou encore la collaboration avec des acteurs de l'économie sociale et solidaire pour redonner vie au matériel", a détaillé Malika Kessous.
Une nouvelle problématique émerge, celle de la "dissolution" qui concerne des achats à vocation éphémère. Un sujet que commence à défricher Olivier Debargues, directeur des achats de Paris 2024 : "Que faire du matériel après les JO ? Faut-il le donner et à qui ? Le vendre aux enchères ? Vaut-il mieux louer plutôt qu'acheter ?", s'est-il interrogé. Face à cet enjeu, il reste quatre ans pour conforter la méthode et le savoir-faire des acheteurs.