La commande publique : un outil pour promouvoir l'art contemporain ?
Depuis 1951, le 1% artistique promeut la création d'art contemporain en région. Un dispositif inscrit dans le code de la commande publique qui fait entrer en collision le monde de la fonction publique et celui de l'art.
Je m'abonne Aux élèves qui défilent de l'autre côté du comptoir en verre, un membre du personnel de service de la cantine scolaire - revêtu d'un tablier et coiffé d'une charlotte hygiénique - lance : "Vous avez vu que vous avez des jolies assiettes et de jolis plateaux ? C'est ce qui s'appelle le 1 % artistique." La définition, quoique faisant de nombreux raccourcis, tient la route. Cette scène a été filmée par la chaîne de télévision locale Télénantes à Saint-Philibert-de-Granlieue , en Loire-Atlantique, au début du mois de septembre dernier. Ici, le 1 % artistique a été investi dans ces accessoires du quotidien indispensables à la pause déjeuner des élèves du nouveau collège de la commune. Une initiative saluée par le président du conseil général, Pierre Grosvalet, comme étant "tout à fait originale".
Depuis le début des années 1950, la démarche du 1 % artistique consiste à dédier 1 % du budget prévisionnel hors taxes (dans la limite de 2 millions d'euros) de tout travail - de construction, de réhabilitation ou d'extension - réalisé sur un bâtiment public, qu'il appartienne à l'État ou aux collectivités territoriales, à la commande ou l'acquisition d'une oeuvre contemporaine signée d'un artiste de la région.
" Des blocs de béton aux contours subjectifs "
De fait, et comme ironise la chaîne Télénantes dans son reportage, le 1 % artistique aboutit, le plus souvent, à la création de "blocs de béton aux contours subjectifs". Une réalité visible un peu partout sur le territoire français, notamment dans l'enceinte des établissements scolaires publics, auxquels le dispositif était initialement réservé avant d'être élargi à d'autres lieux d'exposition à ciel ouvert. Une initiative qui pointe du doigt, au-delà de tout problème d'appréciation de l'art contemporain, le défi principal soulevé par le concept même de cette spécificité française : la commande publique est-elle un outil idoine pour promouvoir l'art ?
Oui, assure de son côté le gouvernement qui, par la voix officielle du ministère de la Culture et de la Communication, estime avoir, par l'unique biais de ce "dispositif volontariste, réussi à donner un second souffle à l'art public". Les chiffres tendent à donner raison à cette vision des faits. Depuis la création du 1 % artistique, ce sont en tout près de 12 500 oeuvres qui ont ainsi été créées, en France métropolitaine et dans ses territoires d'outre-mer, par pas moins de 4 000 artistes confirmés ou émergents.
Un patrimoine considérable, que le gouvernement entend valoriser grâce, notamment, aux "journées du 1 % artistique". Lancées en 2014 sous l'égide du ministère de l' éducation nationale et du ministère de la Culture et de la Communication, ces dernières visent, à la manière des "journées du patrimoine" avec lesquelles elles coïncident dans le temps, à ouvrir au grand public l'accès aux oeuvres du 1 % artistique créées dans les établissements scolaires. Car ces oeuvres sont souvent négligées par leur public d'élèves et d'enseignants à force d'être côtoyées quotidiennement. La deuxième édition de la manifestation s'est déroulée du 14 au 20 septembre 2015 et a ainsi rassemblé 200 établissements. Jouant pleinement la carte de la médiation artistique, ils ont mobilisé enseignants et élèves, invités à rédiger, en particulier, des fiches d'accompagnement des oeuvres pour en faciliter la compréhension par les non-initiés.
Promouvoir l'art contemporain sous toutes ses formes
Le 1 % artistique vise à promouvoir l'art contemporain sous toutes ses formes. Les oeuvres réalisées dans ce cadre peuvent, en effet, prendre la forme d'oeuvres "traditionnelles" - peintures ou sculptures - ou emprunter des médias plus modernes qui utilisent - ou mixent - vidéo, design, graphisme, création sonore ou paysagère. Plus en détail, le ministère de la Culture et de la Communication ajoute qu'il peut s'agir "d'oeuvres de dessin, de gravure, de lithographie, aussi bien que d'oeuvres graphiques et typographiques, photographiques, ou utilisant la lumière et d'oeuvres appartenant à la catégorie des arts appliqués. Le 1 % peut aussi concerner des oeuvres utilisant les nouvelles technologies ou faisant appel à d'autres disciplines artistiques, en particulier pour le traitement des abords et l'aménagement d'espaces paysagers, la conception d'un mobilier original ou la mise au point d'une signalétique particulière. La combinaison de plusieurs de ces interventions est possible dans le cadre d'une même construction."
Seul dénominateur commun : être innovant. Sur les aires d'autoroute, où l'art issu du 1 % artistique s'affiche encore, vestige d'une époque où les autoroutes étaient assujetties à ce dispositif, il est encadré par un ensemble de contraintes propres à ce cadre spécifique : être voyant mais pas contemplatif, solide, durable.
L'acheteur public : homme-clé en amont
Pour que la politique artistique de l'état dont témoigne le 1 % artistique soit couronnée de succès, c'est en amont que l'essentiel du travail doit être réalisé. Homme-clé, l'acheteur public a, entre autres tâches, celle, complexe, de veiller au respect de la procédure spécifique de passation des marchés dont fait l'objet cet achat public spécifique. Cette dernière est caractéristiquement définie par trois textes fondateurs. D'abord, l'article 71 du code des marchés publics, le décret n° 2002-677 du 29 avril 2002 consolidé le 2 décembre 2012 et, enfin, une circulaire du ministre de la Culture et de la Communication.
Éternel enjeu de l'optimisation de la commande publique, la clarté des règles qui la régissent a été améliorée par plusieurs réformes visant à simplifier la procédure du 1 % artistique. Désormais, cette dernière prévoit la création d'un comité artistique en charge de piloter, tant sur le fond que sur la forme, la commande de l'oeuvre envisagée. Composé du maître d'ouvrage, du maître d'oeuvre, de l'utilisateur du bâtiment concerné, ainsi que du directeur régional des affaires culturelles (Drac) auquel viennent s'ajouter, en guise de caution artistique supplémentaire, trois personnalités jugées référentes dans ce domaine, ce dernier décide des grandes lignes de l'appel à candidatures qu'il revient à l'acheteur de finaliser. C'est une sorte de "bon de commande", qui fixe à la fois les paramètres d'attribution et d'exécution du marché : nature de l'oeuvre, emplacement, conditions de dépôt des candidatures, rémunération, délai imparti... Ce dernier doit également être diffusé par l'acheteur. Seule consigne : faire un maximum de publicité. À cette fin, le ministère de la Culture et de la Communication héberge sur son site internet une plateforme dédiée. Objectif : que les artistes consultent librement et facilement les appels en cours.
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Entre mérite artistique et administratif : un processus d'attribution particulier
Une politique d'ouverture de nature à favoriser l'égalité des chances est au coeur du processus de sélection. Le ministère de la Culture et de la Communication rappelle, à cet égard, que la parité doit, autant que possible, être respectée dans le choix des artistes. Cela n'empêche pas l'inclusion d'un certain nombre de critères purement administratifs dans le processus de sélection. L'acheteur doit ainsi veiller à la présence, dans les dossiers de candidature, d'un certain nombre de documents, parmi lesquels : une attestation sur l'honneur du candidat indiquant qu'il n'a pas fait l'objet, au cours des cinq dernières années, d'une condamnation pour les infractions visées aux articles L. 324-9, L. 324-10, L. 341-6, L. 125-1 et L. 125-3 du code du travail ; une lettre de candidature dite "DC4" ou équivalent pour identifier le candidat (entreprise seule, personne physique ou morale, groupement) ; une déclaration du candidat dite "DC5" ou équivalent, renseignant la situation financière, les moyens, références et qualifications du candidat. Le dossier comporte aussi des rubriques de déclaration et attestation sur l'honneur de nature à s'assurer que ce dernier ne fait pas l'objet d'une interdiction de concourir et qu'il est en règle avec les obligations en vigueur en matières sociale et fiscale.
Un acheteur public bien épaulé
Vouées à servir d'intermédiaire entre les personnalités du monde des arts et celles de la fonction publique qui s'entrechoquent, de fait, dans toutes les étapes de la mise en place du 1 % artistique, le Centre national des arts plastiques (Cnap) et ses antennes régionales (Drac) jouent, enfin, un rôle de conseil auprès de l'ensemble des parties prenantes, acheteurs en tête.