Peut-on éliminer la candidature d'une entreprise à cause de son sous-traitant ?
Écarter la candidature d'une entreprise à un appel d'offres public, au motif que son sous-traitant ne dispose pas de la qualification exigée : la décision d'une mairie du Var a été validée par le tribunal administratif de Toulon, en septembre dernier. Légitime, et reproductible ?
Je m'abonne"Irrecevable". La mairie de Toulon a tranché, en juillet dernier, pour le rejet de la candidature d'une société de création et d'entretien d'espaces verts, à son appel d'offres pour des travaux d'abattage et de remplacement d'arbres sur son territoire. Le motif : le sous-traitant proposé par l'entreprise ne disposerait pas de la qualification exigée pour procéder à une partie des travaux. La décision, confirmée début septembre par le tribunal administratif du Var, saisi par l'entreprise, peut-elle faire jurisprudence ?
Retour sur les faits et expertise de d'Hervé Huguet, directeur de Citia, cabinet indépendant spécialisé dans le conseil et l'assistance à l'achat public.
L'appel d'offres
Mai 2014, la ville de Toulon publie un appel d'offres pour un marché compris entre 200 000 et 800 000 euros. "La consultation concerne des travaux d'abattage et de remplacement d'arbres dangereux, morts ou sénescents [...]. Les arbres remplacés sont fournis par la Ville. Des prestations de confortement sont également prévues dans le cadre du présent marché et concernent les végétaux plantés en remplacement par le titulaire ; elles seront exécutées sur 12 mois après la réception des travaux de plantation", apprend-on dans l'avis de marché de la collectivité toulonnaise.
Le rejet
Coup de tonnerre. Le leader de la création, de la réhabilitation et de l'entretien des espaces verts, techniquement, professionnellement et financièrement compétent, voit sa candidature rejetée, au motif que son sous-traitant ne disposerait pas des compétences requises et, notamment, de la qualification "Qualipaysage e-140" ou équivalente. Car, la mairie, dans son appel d'offres, est claire : "Le marché pourra être attribué à une seule entreprise ou à un groupement d'entreprises conjoint ou solidaire. En vertu de l'article 51 II du code des marchés publics, en cas de groupement conjoint, le mandataire est solidaire de l'ensemble des membres du groupement."
L'entreprise soutient, quant à elle, avoir présenté l'ensemble des documents exigés par le règlement de consultation et n'avoir jamais "souhaité faire valoir les capacités de son sous-traitant au stade de la candidature". Elle saisit le tribunal administratif (TA) de Toulon.
Le jugement
Le TA valide la décision de la mairie. Dans son jugement du 5 septembre 2014, le juge du référé précontractuel commente : "Le pouvoir adjudicateur était tenu de vérifier, au stade de l'examen des candidatures, le niveau de capacité professionnelle du sous-traitant conformément aux stipulations du règlement de la consultation. [...] La société requérante "n'est pas fondée à soutenir que la commune de Toulon a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en rejetant sa candidature au motif de l'insuffisance professionnelle du sous-traitant".
Maître Michelin, avocat de la société, souligne, de son côté, "l'incohérence du raisonnement de la commune de Toulon dès lors que si [elle] disposait à elle seule des capacités techniques et professionnelles pour exécuter le marché, il est surprenant que l'on puisse reprocher une carence en la matière à son sous-traitant."
L'oeil de l'expert
Le jugement n'a rien d'évident, analyse Hervé Huguet, directeur du cabinet Citia. "Saisi de l'affaire, le juge a donné raison à l'acheteur public en se basant, entre autres, sur la déclaration de sous-traitance (formulaire DC4) et le bordereau des prix unitaires, documents constitutifs de l'offre. Or, en l'état actuel de la réglementation, ce n'est que lorsque la candidature est retenue que l'offre peut être examinée, précise-t-il.
Si la sous-traitance est un droit pour le titulaire d'un marché de services, celle-ci est soumise à l'acceptation, par le pouvoir adjudicateur, du sous-traitant et à l'agrément de ses conditions de paiement (art. 112 du code des marchés publics (CMP)). Rappelons que le refus d'agrément, s'il est discrétionnaire, est limité par l'abus de droit (Cassation 2 février 2005, 03-15 409)", souligne encore le spécialiste.
La situation peut-elle se renouveler ou pousser les futurs candidats à moins de transparence dans leur déclaration ? "Quand il analyse une offre présentée avec un sous-traitant, rien n'empêche un pouvoir adjudicateur de prendre en compte cette offre tout en rejetant le sous-traitant, explique le conseil. En effet, "en cas de sous-traitance, le titulaire demeure personnellement responsable de l'exécution de toutes les obligations résultant du marché" (art. 113 CMP). L'offre sera alors jugée sans la participation du sous-traitant et notée en fonction de l'impact objectif de cette absence sur les critères de jugement."
Et de conclure : "au stade de la candidature, tout candidat peut présenter un sous-traitant pour que soient prises en compte, en complément des siennes, les capacités techniques et financières de ce dernier (art. 45 CMP). Si la candidature du sous-traitant n'est pas retenue à ce stade, celle du candidat doit être examinée seule et acceptée s'il possède les capacités techniques et financières requises."