Recherche
Mag Décision Achats
S'abonner à la newsletter S'abonner au magazine
En ce moment En ce moment

Gérer en mode secteur protégé

Publié par le

Pour satisfaire leur obligation d emploi de salariés handicapés, de plus en plus de grands groupes misent sur la sous-traitance auprès du secteur protégé. Un exercice souvent complexe qui suppose, de la part des acheteurs, un panel de bonnes pratiques adapté à ces fournisseurs pas comme les autres.

Je m'abonne
  • Imprimer
La sous-traitance auprès du secteur protégé permet de réduire le quota d'embauche de personnes handicapées à 3 %.

@ DR

La sous-traitance auprès du secteur protégé permet de réduire le quota d'embauche de personnes handicapées à 3 %.

Payer une contribution annuelle de 1 500 fois le Smic à l'Agefiph (Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées) : c'est la facture très salée dont doit s'acquitter toute entreprise n'ayant mené aucune action en faveur de l'insertion des travailleurs handicapés entre 2005 et 2010. Prévue par la loi du 11 février 2005, imposant aux structures de 20 salariés et plus l'embauche de 6 % de collaborateurs en situation de handicap, cette sanction financière est proportionnelle au nombre de personnes handicapées manquantes dans les effectifs des entreprises. Mais face à une pénurie chronique de travailleurs handicapés qualifiés dans l'Hexagone, cette tâche est bien souvent un défi. L'alternative, pour nombre de grands comptes, consiste donc à actionner un deuxième levier prévu par la loi pour remplir cette obligation : la sous-traitance auprès du secteur protégé (gestion des espaces verts, blanchisserie, etc.). Une solution qui permet de réduire le quota d'embauche à 3 %. Les donneurs d'ordre favorisent donc l'insertion des personnes handicapées oeuvrant dans les Esat (Etablissements de services d'aide par le travail) et EA (Entreprises adaptées). « Cette pratique commence à avoir du succès auprès des entreprises et, notamment, des services achats », souligne Olivier Chalon, business manager, responsable du practice achats durables chez Lowendal Masaï. Un avis partagé par Tomas Delage, responsable développement au service économique de l'Unéa (Union nationale des entreprises adaptées) : « Loin d'être l'apanage des ressources humaines et des missions handicap des entreprises, la sous-traitance auprès du secteur protégé devient le terrain d'expertise des acheteurs avec lesquels nous sommes régulièrement en contact. »

Olivier Chalon, Lowendal Masaï

« La sous-traitance auprès du secteur protégé commence à avoir du succès auprès des services achats. »

Lorène Lion, BPCE

Lorène Lion, BPCE

Témoignage
« Nous avons favorisé la cotraitance »

Réaliser 30 millions d'euros d'achats auprès du secteur protégé d'ici à 2013. Tel est l'objectif de BPCE Achats, le GIE dédié aux achats du groupe BPCE (réseaux des Banques Populaires et des Caisses d'Epargne). Comment ? En lançant en juillet 2010, en partenariat avec la DRH, un projet ambitieux, baptisé Phare (Politique handicap et achats responsables). « BPCE dépensait deux millions d'euros par an auprès de ce secteur, soit 0,07 % du volume achats, explique Jean-Christophe Tran, directeur général adjoint de la structure. Grâce à cette démarche, ce taux va pouvoir atteindre 1 %.» Une action parrainée par le top management du groupe qui a signé une charte fixant les principes de cette politique. Une initiative qui a démarré via un travail d'identification des familles d'achats pouvant constituer des volumes d'affaires récurrents. Pour mener à bien cette tâche, le groupe s'est appuyé sur deux poids lourds du secteur, le réseau Gésat et l'Unea. L'objectif de ce partenariat : fournir aux acheteurs un accompagnement adapté lors du sourcing par la mise à disposition d'outils dédiés (bases de données fournisseurs, plateforme d'appel à projet...). « Nous avons aussi planché sur la rédaction de clauses à introduire dans les cahiers des charges. Sans oublier la mise au point d'un outil de calcul des gains prenant en compte les réductions de cotisation à payer à l'Agefiph», complète Jean-Christophe Tran. Pour confier des volumes de dépenses significatifs au secteur protégé, le groupe s'est attelé au déploiement d'achats groupés et d'accords de référencements dans diverses familles (nettoyage des distributeurs automatiques, cartes de visites, etc.). « Sur certaines prestations comme la signalétique, nous avons favorisé la cotraitance entre nos partenaires « ordinaires » et ces nouveaux fournisseurs », conclut Lorène Lion, en rappelant qu'une des clés du succès de cette politique globale repose sur le travail en binôme mené entre acheteurs et référents handicap dans chaque entité locale.

BPCE

ACTIVITE
Banque
PRODUIT NET BANCAIRE 2010
23 Mds d'Euros
VOLUME DACHATS 2010
3 Mds d'Euros
EFFECTIF TOTAL
127 000 personnes
EFFECTIF ACHATS
40 personnes

Deux univers totalement différents

« Toutefois, ce type d'initiative ne peut reposer sur les acheteurs seuls, prévient Hervé Hillion, directeur général d'Headlink Partners. Il s'agit d'un projet d'entreprise qui doit émaner du top management du groupe et faire l'objet d'un partenariat, en interne, entre RH et achats. » D'autant plus que la collaboration entre donneurs d'ordres fournisseurs du secteur protégé n'est pas une mince affaire. « Ce sont deux univers totalement différents. Les services achats étant par nature à la recherche de rentabilité tandis que ces fournisseurs spécifiques restent animés par une mission 100 % sociale : le bien-être et l'insertion de leurs collaborateurs », analyse Dominique du Paty, fondatrice d'Handiréseau, société de conseil spécialisée dans les achats solidaires.

Pour faire converger les contraintes des uns et des autres, un certain nombre de réseaux de mise en relation se sont donc imposés comme Handeco, Gesat, Unéa, ou encore Pas@Pas. Leur point commun ? Proposer aux acheteurs des outils et solutions afin de les assister tout au long du process de sous-traitance. Et cela dès le sourcing : « Le réseau Gesat a mis au point une base de données exhaustive de 2 000 Esat et EA qualifiés, via des fiches détaillées. Grâce à un moteur de recherche adapté, les acheteurs peuvent procéder gratuitement à leur référencement fournisseurs par région et secteur d'activité », détaille Magali Munoz, directrice de projets en charge de la coordination nationale des actions de l'AMIH, Agence nationale Manpower Insertion Handicap, et membre du conseil d'administration du réseau Gesat. « Un outil sur lequel mise déjà une soixantaine d'entreprises partenaires du réseau comme notre groupe d'intérim », se félicite-t-elle, en rappelant que le nombre de grands comptes associés au Gesat a augmenté de 100 % en quatre ans. Chez Handeco mais également chez Pas@Pas, association créée en juin 2010 par une dizaine de directions achats (SNCF, La Poste, RATP etc.), un annuaire similaire mutualisé par les deux entités a également été lancé. « Particulièrement innovant, cet outil été conçu par les acheteurs eux-mêmes, il a donc été bâti en fonction des besoins propres à notre métier », rappelle Pierre Pelouzet, directeur achats de la SNCF, président de Pas@Pas et de la Cdaf (Compagnie des acheteurs de France).

Module de consultation en ligne

Autre solution proposée par ces organismes : une place des marchés en ligne qui permet aux acheteurs de lancer directement leurs appels d'offres auprès des fournisseurs du secteur. « Grâce à ce module de consultation, il est possible de publier son cahier des charges et de préciser l'ensemble de ses critères de sélection. Le client envoie ensuite l'appel d'offres aux fournisseurs de la plateforme qu'il a lui même référencés », indique Joseph Ramos, délégué général d'Handeco. Et Pierre Pelouzet (SNCF) de rappeler : « Cette solution est accessible aux donneurs d'ordres à des tarif volontairement bas. Notre objectif est de rallier un maximum de direction achats à notre démarche. »

Si ces outils apportent effectivement une aide de taille aux acheteurs, ils sont loin d'être suffisants. Au-delà du choix du bon partenaire, le pilotage de la relation fournisseurs représente un véritable challenge. « Pour que les Esat fournissent des prestations d'aussi bonne qualité que les partenaires dits «ordinaires», et dans les délais impartis, l'acheteur doit les accompagner avec une attention toute particulière. Démarche qui ne prévaut pas nécessairement dans une collaboration classique », prévient la fondatrice d'Handiréseau, qui propose des programmes de sensibilisation et de formation des acheteurs en la matière. Un créneau sur lequel surfent les principales organisations représentatives du secteur. « La formation des acheteurs est la clé du succès dune telle opération, rappelle Pierre Pelouzet, car elle favorise l'instauration d'un dialogue adapté avec le fournisseur. » Une relation humaine de qualité et de proximité induisant des visites régulières de l'acheteur sur le site de son partenaire. « Les EA, pour certaines, sont des PME aux capacités de productions limitées. Un critère que doit prendre en compte le donneur d'ordres pour que le périmètre de son offre soit le plus réaliste possible », rappelle Tomas Delage (Unéa). Certains observateurs militent même pour un allotissement systématique des marchés afin de permettre au fournisseur de se concentrer sur un lot unique. « Pour être efficace, l'Esat doit disposer, dès le départ, d'un cahier des charges clair et rassurant afin que ses équipes puissent travailler dans les meilleures conditions. C'est un cheminement dont l'acheteur doit tenir compte », renchérit Dominique du Paty (Handiréseau).

Professionnalisation du secteur

Autre facteur de succès d une telle collaboration : apprendre à confer au secteur protégé des prestations à forte valeur ajoutée pour la main-d'oeuvre dépassant le ramassage des sacs poubelle. « Les Esat et EA sont spécialisés dans un panel d'activités plus valorisantes pour le secteur et pourtant encore méconnues des donneurs d'ordres : traduction, organisation d'événements, architecture de réseaux informatiques, etc. », a rappelé Emmanuel Chansou, directeur exécutif du réseau Gésat, lors d'une conférence sur les achats publics responsables organisée en mars dernier à l'université Léonard de Vinci. Tout l'enjeu des années à venir pour le secteur protégé est de relever le cap de la professionnalisation et ainsi s'imposer comme des concurrents à part entière. Un vaste chantier sur lequel planchent les réseaux représentatifs et les grands comptes investis en la matière dans le cadre de comités de pilotage, clubs, etc. Objectif affiché : inciter les Esat et EA à se regrouper afin de pouvoir décrocher des marchés d'envergure. « Nous avons même créé des filières métiers dédiées aux EA dans différents domaines d'activité, comme les centres d'appels ou DEEE (Déchets d'équipements électriques et électroniques), propres à favoriser la mutualisation des capacités de production et des bonnes pratiques entre entreprises adaptées », détaille Tomas Delage en citant pour exemple le regroupement de neuf EA, sélectionnés par la Société Générale pour un marché de démantèlement des matériels informatiques en fin de vie. Toujours dans une optique de professionnalisation, certains donneurs d'ordres soutiennent même directement des acteurs du «secteur protégé» par du transfert de matériel ou de ressources humaines, etc.

Sans oublier une autre action, initiée cette fois par le réseau Gesat : la remise exclusive d'un prix à la fin de l'année pour récompenser les Esat/EA les plus innovants, en termes de gestion RH, de services proposés... Une manière de «tirer vers le haut» un public qui en a besoin.

 
Je m'abonne

Charles Cohen

NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles

Retour haut de page