Les nouveaux contours de la travel policy
Le tourisme en col blanc se redessine en profondeur, avec des stratégies de réduction carbone engagées sur le long terme et peut tirer parti des technologies avancées pour optimiser l'existant
Je m'abonneLa Covid-19 a clairement bousculé la culture du voyage d'affaires. " Ce qui prime aujourd'hui, c'est la nécessité ou non d'opérer un déplacement. Si le caractère essentiel est avéré, le voyage doit se prévaloir d'un impact carbone raisonnable et être accessible à des prix et à des horaires qui conviennent au collaborateur et à l'employeur. Les entreprises ont atteint une réelle maturité sur cette problématique, la retranscrivant dans leurs politiques voyage ", énonce en préambule Brigitte Jakubowski, présidente de JK Associates Consulting. En retour, les collaborateurs adoptent des comportements nettement moins énergivores, se montrant globalement plus responsables. " On sent une volonté générale de participer à la préservation de l'environnement. Cette prise de conscience n'est plus uniquement véhiculée par la génération Z ", confirme Brigitte Jakubowski. Cette préoccupation environnementale est largement partagée par les collaborateurs de l'Université Paris Est Créteil qui revoyait sa politique de voyage tout récemment, avec notamment la mise en place de Notilus, solution de gestion des voyages d'affaires et des frais professionnels. " Outre la gestion des réservations de voyage et les notes de frais, elle assure la conformité avec les politiques internes et fournit une analyse des dépenses, permettant ainsi de cibler une optimisation des coûts et de tendre vers une décarbonation du voyage professionnel ", explique Hélène Dacosta, directrice des affaires financières et des achats à l'université Paris Est Créteil. Moins énergivore, le ferroviaire remporte naturellement les suffrages pour les déplacements, et notamment pour les trajets n'excédant pas les 4 heures. " La seconde classe peut devenir une obligation pour des raisons d'ordre économique et écologique ", ajoute Brigitte Jakubowski. L'introduction du TGV M courant 2025 va dans le sens de cette tendance. Dit " modulaire ", il promet de réduire de 20% la consommation d'énergie et d'améliorer le bilan carbone de 37 % par rapport aux autres rames, en accueillant 740 passagers contre 634 aujourd'hui.
Une décarbonation multimodale
Plus globalement, ce sont tous les déplacements qui sont au centre des préoccupations environnementales des entreprises. " Progressivement, les grands groupes tendent à gérer le déplacement dans son intégralité, amenant les parties prenantes à collaborer entre elles pour faire converger toutes les problématiques ayant trait à la mobilité, à l'environnement, à la sécurité et au voyage ; parvenant même parfois à y adjoindre la politique des frais ", constate Brigitte Jakubowski. Dans le secteur hôtelier, des labels ont vu le jour, notamment le label de l'association Bâtiment Bas Carbone décliné à ce secteur en mars dernier ou le label Clef Verte, qui récompense plus de 1500 établissements sur le sol français, plus de 5000 au total dans 60 pays. Parmi eux, des groupes hôteliers comme Best Western France ou Appart'City qui sont déjà parvenus à labelliser une très large partie de leurs réseaux. " Les missionnaires sont invités à observer ces distinctions dans le choix de leur hébergement ", illustre Hélène Dacosta. L'arbitrage n'en est pas moins facilité, d'autant que les acteurs ne sont pas logés à la même enseigne en termes d'outillage. D'autres critères rentrent également en ligne de compte, comme le confort de la chambre, le tarif et la proximité avec le lieu de rendez-vous, d'après Brigitte Jakubowski : " Dans les contrées lointaines, la sécurité l'emporte largement sur les préoccupations environnementales ". Au sein de l'Université Paris Est Créteil, ces informations peuvent être saisies dans la plateforme, afin qu'elles soient intégrées dans les critères de choix d'un hôtel en France. Les locations de voitures électriques et hybrides ont également le vent en poupe, à condition que l'offre ne fasse pas défaut, au risque de complexifier encore davantage les décisions. C'est là que la digitalisation, et notamment l'intelligence artificielle, pourrait apporter un concours non négligeable. Les calculateurs automatiques de CO2 - qui ont investi les plateformes de voyage - peuvent renseigner sur l'impact carbone d'une réservation. Utile, " ce type d'indicateur reste toutefois perfectible, ne reflétant pas toujours l'empreinte carbone globale. Le poids du passager n'est pas intégré dans la mesure de l'empreinte carbone d'un voyage en avion, le ferroviaire ne tient compte que de l'énergie consommée lors du trajet... ", rappelle Brigitte Jakubowski.
L'IA, utile pour l'expérience client mais timide côté travel management
" L'impact global attendu de l'IA sur l'expérience des voyageurs d'affaires peut être significatif et se manifeste à travers plusieurs aspects clés, dont la simplification de processus ", considère Hélène Dacosta. Pour décarboner efficacement ses voyages d'affaires, l'entreprise doit investir dans des outils qui lui permettent d'opérer les " meilleurs " arbitrages. " Cela nécessite qu'elle puisse obtenir de la part de ses fournisseurs une cartographie suffisamment précise et informative sur sa manière de voyager pour aider à sa prise de décision ou, à défaut, qu'elle puisse reprendre le lead sur l'analyse de ses consommations ", recommande Brigitte Jakubowski. Parmi les technologies avancées, l'Intelligence Artificielle est attendue au tournant, promettant de belles avancées dans le domaine du voyage d'affaires dans les années à venir. L'outil ChatGPT développé par OpenAI a investi de nombreux secteurs, et notamment celui du tourisme, boostant ainsi la productivité. Booking a transformé l'expérience de réservation en ligne en intégrant l'IA pour personnaliser les suggestions. " Elles peuvent être parfois trop biaisées et induites par vos recherches passées ", regrette Brigitte Jakubowski. Le recours aux chatbots et aux assistants virtuels peut être envisagé comme une manière de simplifier la planification et la réservation des voyages. Des solutions d'IA existent aussi pour gérer les tâches administratives associées, comme la plateforme Jenji qui assure la gestion des frais professionnels. Pour l'heure, le rôle de l'IA dans la gestion des déplacements professionnels des grandes organisations reste relativement limité d'après Brigitte Jakubowski. " A terme, elle devrait pouvoir fournir une analyse détaillée des voyages opérés, proposer des scenarii avertis et vertueux et contribuer à améliorer l'expérience voyageur ". Quelle que soit la promesse, l'implémentation d'une IA doit répondre à une stratégie mûrement réfléchie, amenant son lot de bouleversements organisationnels mais aussi humains. Elle doit être conduite en étroite collaboration avec la DSI et les services impactés. Et nécessite, de prime abord, une évaluation de la maturité technologique en interne. En bref, c'est un virage qui doit être mesuré et apprécié.