Que penser du financement locatif pour le secteur public ?
Louer et payer à l'usage plutôt qu'acheter de manière définitive. Une stratégie qui implique de se projeter à moyen-long terme et d'envisager l'investissement en coût complet, mais qui pourrait être plus profitable tant au niveau économique qu'écologique.
Je m'abonneLa question d'utiliser le levier du financement locatif plutôt que de procéder à des achats secs se pose de plus en plus dans la sphère publique. Le recours à ce nouveau type de financement au sein des collectivités et des établissements publics, notamment des établissements de santé qui ont un besoin d'équipements et de renouvellement de ces équipements importants, fait son chemin. Il faut dire que le modèle est séduisant dans le contexte socio-économique qui est le nôtre actuellement. Évolution accélérée des technologies, budgets contraints et nécessité d'innover en permanence, constituent autant de raisons objectives de remettre en cause la façon d'investir des organismes publics.
La location reste le plus "indolore"
"À l'Etablissement français du sang, comme bon nombre d'établissements publics, nous sommes de plus en plus contraints financièrement. Chaque année, lors de l'élaboration budgétaire, nous sommes obligés d'arbitrer entre achat direct ou location. De plus en plus souvent, le choix se porte sur de la location qui reste plus "indolore" sur nos finances. Cela permet de lisser le coût sur plusieurs années", explique Olivier Fraissinet, responsable de la commande publique à l'ESF.
Les achats publics sont majoritairement constitués d'achats de fournitures, de services ou de travaux, or un grand nombre de familles d'achats peut tout à fait s'adapter au modèle de financement locatif. C'est déjà le cas pour les parcs informatiques, les téléphones et imprimantes, un certain nombre d'équipements médicaux, etc. Et cela pourrait s'étendre à bien d'autres produits. "À l'ESF, nous utilisons beaucoup la location pour nos équipements médicaux (machines de prélèvement, analyses), notre parc de voitures (en LLD) ou bien encore pour, par exemple, les machines de distribution de café. Cela permet de suivre l'évolution des équipements et d'avoir, tous les 4 ans, un équipement renouvelé et à la pointe de la technologie", souligne Olivier Fraissinet.
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Pour l'UGAP cela ne fait aucun doute, l'intérêt du modèle est réel. C'est pourquoi la centrale d'achats public a déployé, à l'issue d'une procédure d'appels d'offres, une offre de financement locatif qui rend l'ensemble de son catalogue accessible à la location via la société Rigby Capital. Depuis le lancement de cette offre, la demande ne cesse d'augmenter, notamment de la part des établissements de santé. "70 % de nos dossiers de financement locatifs proviennent des hôpitaux et 60 % concernent des équipements médicaux. Nous avons aussi financé des flottes d'ambulances", indique Sébastien Taupiac, directeur santé à l'UGAP.
Pourquoi cette tendance à la location plutôt qu'à l'achat ?
Tout d'abord parce que l'argent n'est pas cher. On va plus naturellement vers ce modèle de financement lorsque les taux sont bas. "La deuxième raison est l'impact du digital qui accélère encore l'obsolescence des matériels : les normes, les modes de consommation, les aspects sécuritaires évoluent très vite. On ne peut plus garder un matériel 10 ans aujourd'hui", insiste Sébastien Taupins. Le troisième levier qui permet à ce modèle de trouver de plus en plus écho dans la sphère publique est que le secteur a un énorme enjeu d'attractivité.
"Aujourd'hui, un décideur public doit répondre à deux enjeux d'attractivité : le service public doit être attractif pour le client/patient/citoyen selon l'organisme que vous représentez, ET pour les personnes qui travaillent pour ce service public", explique encore Sébastien Taupiac.
La nécessité d'être toujours au meilleur niveau technologique, "up tu date" pour l'anglicisme, impose au secteur public d'avoir la capacité à être en temps réel sur l'offre et remet en cause la logique très franco-française de la propriété. "Le coût de la location est souvent en 'coût complet'. C'est-à-dire que cela inclut la fourniture (consommables et machine) et les services (maintenance) et dans une logique achat, cela fait sens", estime Olivier Fraissinet.
"De plus, dans le cadre de ces contrats de location, l'autre avantage est que cela permet potentiellement de reporter à plus tard l'achat, et donc, le coût de l'investissement. Enfin, si jamais l'acheteur n'est pas intéressé par l'équipement, il peut très bien demander au prestataire de le reprendre au terme de la convention. Ce qui garantit fluidité et souplesse pour l'entité publique." C'est donc un moyen d'avoir accès à la modernité sans créer de ligne de crédit supplémentaire d'un point de vue comptable.
Cela permet à l'entité publique de s'inscrire dès le départ dans une logique de dépenses dont la durée est forcément limitée et connue à l'avance, alors qu'en pleine propriété, les coûts varient beaucoup plus qu'on ne le pense et n'offrent pas de vision budgétaire précise.
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Des freins de taille persistent
Il existe tout de même des freins au développement du financement locatif. Le premier étant la répartition comptable telle qu'elle existe aujourd'hui dans la sphère publique, avec d'un côté un budget de fonctionnement et de l'autre un budget d'investissements distincts. Un loyer vient en effet alourdir la section de fonctionnement alors même que les décideurs publics cherchent en priorité à amenuiser cette partie en diminuant les coûts de fonctionnement le plus possible.
Le deuxième frein est culturel. Dans le secteur public français, on a coutume de réfléchir en coût annuel, alors qu'avec le locatif il faut avoir une logique en coût complet sur une durée plus longue (5, 6, ou 7 ans). "Bien ancré dans le privé, le financement locatif fait face à une incompréhension du secteur public qui ne répond pas aux mêmes contingences budgétaires et a donc du mal à se projeter dans la location", explique Frédéric Gabillon, expert-comptable associé au sein du cabinet FGAE et membre du cercle Colbert.
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D'une logique budgétaire annuelle court terme, il faut passer à une logique pluriannuelle moyen terme, ce qui n'est pas un changement évident. "Même si nous avons réussi à faire bouger les lignes avec Rigby Capital, nous constatons encore ici ou là des rejets de principe du financement locatif", estime Sébastien Taupiac.
Les deux autres freins que sont la faible capacité à s'endetter et la nécessité de faire un appel d'offres, sont spécifiques au secteur public. De plus, "si le choix de la stratégie d'achat entre location ou acquisition se réfléchit car il y a des avantages, il ne faut pas oublier que la location reste forcément plus chère que de l'achat direct. Ce qui n'est pas négligeable", estime Olivier Fraissinet, responsable de la commande publique de l'ESF.
La particularité du financement locatif est en effet que l'organisme public paiera un loyer TTC sans récupération possible de la TVA et sans possibilité de bénéficier du FCTVA, le fonds de compensation pour la TVA, qui constitue la principale aide de l'État aux collectivités territoriales en matière d'investissement.
Le changement, c'est maintenant ?
"En 18 mois, nous avons réussi à fortement rationaliser les quatre freins", se félicite Sébastien Taupiac. En prenant en charge le risque financier et en garantissant un coût faible, l'UGAP lève deux des principaux freins. "C'est l'UGAP aujourd'hui qui exécute le marché avec son partenaire Rigby Capital, c'est donc nous qui payons les loyers à notre partenaire et proposons à toute la sphère publique la même offre, aux mêmes conditions. Comme c'est nous qui faisons la proposition financière, pas besoin d'appels d'offres, ni pour l'équipement ni pour le financement, nous sommes capables de nous positionner en 48 heures", détaille le directeur santé de la centrale d'achats.
Sur le coût, là encore, comme l'UGAP garantit les paiements et les volumes, la centrale est sûre d'obtenir les taux les plus faibles puisqu'elle porte sur "sa signature et sa caution" des dizaines de millions d'euros par an. "La valeur résiduelle est également un sujet important à étudier et affiner au cas par cas. Sur des contrats de 5, 6 ou même 7 ans, nous avons démontré des positionnements plus performants économiquement en financement qu'en investissement". En un an l'UGAP aura réalisé plus de 30 ME HT de dossiers de financement locatif.
Les pratiques sont indiscutablement en train d'évoluer."Notre objectif est d'amener par ce biais le secteur public au même niveau de modernisation et d'innovation que le privé. Le secteur public est en pleine mutation et se transforme vite et bien. Dernier enjeu, devenir plus attractif vis-à-vis de ses agents, de ses collaborateurs au travers de cadres et d'outils de travail plus en phase avec l'évolution de notre société amenée à passer de la propriété à l'usage", insiste Sébastien Taupiac.
Mais changer de logique budgétaire et passer à un lissage en coût complet de la dépense est un exercice très complexe pour un décideur public. "La barrière de la difficulté budgétaire immédiate en passant d'un budget annuel aligné sur un calendrier politique à une stratégie de dépenses pluriannuel ne sera pas simple à dépasser. Il faudra sûrement une harmonisation fiscale ou le développement de structures qui permettent la récupération de la TVA pour convaincre les plus sceptiques", souligne Frédéric Gabillon. Mais avec la caution forte d'une centrale d'achats comme l'UGAP et des taux de financements toujours très bas actuellement, c'est peut-être le bon moment pour faire la bascule.